Etudes de médecine : comment lutter contre les violences sexistes et sexuelles ?

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

20 novembre 2023

France – Comment lutter contre les violences sexistes et sexuelles en milieu étudiant ? La conférence des doyens en faculté de médecine a organisé un colloque au sujet des risques psychosociaux et des violences sexistes et sexuelles (VSS) où représentants des syndicats étudiants et doyens ont dressé des constats – malheureusement édifiants – et proposé des solutions.

Manque de moyens

Sujet prégnant et douloureux, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles a fait l'objet d'un colloque organisé par la conférence des doyens des facultés de médecine le 7 novembre dernier. Lors d'une table ronde, qui réunissait aussi des bien des représentants de syndicats d'étudiants que d'institutions, Jérémy Darenne, président de l'Anemf (association nationale des étudiants en médecine de France), a regretté un manque de moyens consacré à la lutte contre les VSS : « on constate un manque de moyens pour ces dispositifs. Maintenant il faut faire en sorte que ces solutions soient effectives et les mettre en place de manière coordonnée. » Tandis que Maeva Tisserand, chargée de mission à la Coordination nationale d'accompagnement des étudiants en santé, précisait que, hors domaine de la médecine, la situation est tout aussi dégradée.

Culture sexiste

Guillaume Bailly, président de l'Isni, a abondé dans le sens de Jérémy Dardenne pour déplorer le manque de moyens accordé, tout en dénonçant une culture sexiste moyenâgeuse en France : « Les chefs de services sont plutôt des hommes alors que les médecins sont maintenant à 70% des femmes. Les postes de décision sont encore occupés par les hommes. Alors maintenant, au quotidien, comment cela se passe-t-il lorsque vous êtes une femme médecin ? Nous avons fait une petite étude sur le sujet à l'Isni. Quand une interne femme rentre dans la chambre d’un patient, ce dernier prend l'interne pour une infirmière dans 70% des cas, et demande à voir un médecin, quand bien même l'interne lui aurait expliqué en détail sa pathologie. Ce genre de quiproquo n'arrive que dans 3% des cas avec les internes hommes. »

Lourdeur des procédures

Guillaume Bailly a aussi regretté la lourdeur de la procédure : « Quand les femmes sont victimes de violences sexuelles, les CHU demandent aux plaignantes de porter plainte au pénal, pour démarrer l'enquête administrative. C'est un peu la double peine. Sans les syndicats, c'est compliqué. » Afin de remédier à ce problème, Guillaume Bailly suggère des solutions radicales, comme le retrait immédiat d'un agrément de stage au médecin accusé de VSS : « Les doyens ne doivent pas hésiter à enlever les agréments, nous sommes aussi là en commission pour appuyer ce genre de démarches. Un PUPH qui reste en poste et harcèle 50 étudiants, c'est autant de médecins qui ne s'installeront pas par la suite. La solution est pourtant simple : il faut évacuer la personne qui est problématique car en la gardant, il n'y a plus personne qui veut faire de clinicat. » 

Procédures indépendantes

Isabelle Laffont, doyenne de la Faculté de médecine de Montpellier, est revenue sur les propos de Guillaume Bailly, en rappelant que les procédures administratives et pénales sont indépendantes l'une de l'autre : « À propos des procédures concernant les étudiants et non les internes, le dépôt d'une plainte administrative est totalement indépendant du dépôt de plainte au commissariat. » Elle a également tenu à préciser que les VSS ne sont pas du seul fait du corps enseignant : « Nous, à la faculté de Montpellier-Nîmes, nous avons beaucoup d'histoires entre étudiants et très peu avec des enseignants. »

Signalements

Maeva Tisserand a également précisé que les procédures de signalement des VSS sont généralisées à l'ensemble des établissements publics, qu'il s'agisse des établissements de santé ou des universités : « Ce qui cadre les procédures de signalement dans les universités et administrations publiques, c'est exactement le même texte de loi datant de 2019. On a donc un dispositif de signalement quel que soit l'établissement public. » Louise Wetterwald, chargée de mission Lutte contre les discriminations relatives aux violences sexistes et sexuelles à l’ISNAR-IMG, s'est pour sa part interrogée sur les causes des VSS en milieu hospitalier : « Nous nous sommes interrogés pour savoir pourquoi notre milieu est particulièrement à risque pour les femmes qui le composent. Nous avons identifié deux causes, l'aspect très hiérarchique de notre métier, mais aussi la culture carabine dans laquelle on baigne, qui est souvent portée par des étudiants plus âgés, mais aussi par des médecins. Cette culture est particulièrement discriminatoire. »

Formation des médecins lors de l'agrément des stages

Après le diagnostic, Louise Wetterwald propose des solutions : « Nous demandons des actions sur la formation des médecins tous les cinq ans lors de l'agrément des stages. On peut aussi encourager des campagnes de sensibilisation dans les services. Les cellules de signalement sont parfois peu connues, peu fonctionnelles, les étudiants ont aussi peur de se confronter à leurs agresseurs au sein de ces cellules. Parfois l'agresseur est protégé. Pour nous, le retrait de l'agrément de stage doit être effectif immédiatement : car un agresseur sexuel, on le sait, fait plusieurs victimes. Il faut aussi retirer les fonctions facultaires. Ensuite, il est nécessaire de rester vigilant lorsque l'agresseur revient dans son service ; il existe par exemple des formations pour les agresseurs, des associations le font. On peut imaginer que dans les cellules de signalement il y ait des personnes en charge de ce type de formation pour qu'ils puissent retourner sur les terrains de stage sans récidiver. »

Lever la peur de la dénonciation

Encore faut-il que les victimes osent dénoncer leur agresseur, ce qui n'est pas chose aisée, comme l'a rappelé Isabelle Laffont : « Il y a une sous-déclaration majeure de ces épisodes. Nous avons, à la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, mis en place des évaluations de stage obligatoires car les étudiants n'osaient pas dénoncer ce qu'ils voyaient. Ils avaient peur d'être pénalisés. » Maeva Tisserand en a profité pour rappeler que désormais, la plateforme d'écoute du Cnaes (Coordination Nationale d’Accompagnement des étudiants et étudiantes en santé) est désormais opérationnelle.

De son côté, Jean Canarelli, président du conseil départemental de Corse du sud, a rappelé que les plaintes ordinales, restent des outils puissants pour lutter contre les VSS : « Pour ce qui est des médecins déviants, l'Ordre est là pour agir et il ne faut pas sous-estimer cette solution. Si un médecin est conduit devant le conseil de l'Ordre, cela peut aller jusqu'à une interdiction d'exercice, on l'a fait encore récemment. »
 

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