Gaza, Palestine – L’intensification des conflits dans la bande de Gaza a placé les hôpitaux, les médecins et les patients dans la ligne de mire. Au cours du week-end du 11 novembre, les offensives militaires contre les hôpitaux de la bande de Gaza ont fait la une des journaux et sur les réseaux sociaux, notamment dans le plus grand hôpital de la région, Al-Shifa. Aux premières heures de mercredi15 novembre, l'invasion d'Al-Shifa, située au nord de Gaza, a été rendue publique. Sans électricité, sans eau, sans produits de base ni médicaments, l'hôpital abrite toujours des milliers de réfugiés.
L’hôpital d'Al-Shifa visé
Depuis le début du conflit, les organisations internationales, telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), n’ont cessé de demander à ce que l’on garantisse la protection des établissements et des équipes de soins de la région, mettant souvent les professionnels de santé face à un dilemme : protéger leur propre vie ou prodiguer des soins médicaux à la population.
« Nous sommes extrêmement préoccupés par la sécurité du personnel et des patients. Leur protection est essentielle », a déclaré tout récemment le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus lors d’une communication vidéo.
De son côté, l'armée israélienne affirme qu'il s'agit d'une opération de précision, basée sur des informations de renseignement et « dirigée contre le Hamas dans une zone très spécifique de l'hôpital-Shifa », et qu'elle continue de faire tout son possible pour atténuer le risque pour les civils.
Le gouvernement israélien affirme avoir fait tout son possible pour éviter des pertes civiles et nie catégoriquement les attaques contre les hôpitaux. Les autorités israéliennes confirment toutefois des bombardements et des conflits dans les zones adjacentes aux établissements de santé. Selon les forces israéliennes, d'importantes installations du Hamas se trouvent dans des tunnels qui utilisent les hôpitaux comme boucliers. Des allégations démenties côté palestinien.
Pour autant, selon le directeur général de l’OMS, « même si les établissements de santé sont utilisés à des fins militaires, les principes de distinction, de précaution et de proportionnalité s’appliquent toujours ».
« La sécurité des patients et du personnel, ainsi que l'intégrité des systèmes de santé dans l'ensemble de la communauté, sont des sujets de préoccupation majeurs. Le droit humanitaire international doit être respecté », a ajouté le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Suite à l’action israélienne dans le plus grand hôpital de l’enclave palestinienne, le Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) a approuvé une résolution appelant à « des pauses humanitaires urgentes et prolongées et des couloirs dans toute la bande de Gaza ».
L'OMS précise que les difficultés de communication avec le territoire ne permettent pas de mettre à jour le nombre de morts et de blessés ces derniers jours. L’organisation a cependant pu confirmer une large réduction de la capacité de réponse des services de santé.
Une situation sanitaire plus que critique
Selon l'OMS, seul un quart des hôpitaux de Gaza fonctionnent actuellement. Sur les 36 que compte la région, 26 sont fermés en raison de dommages sur les installations ou du manque de carburant pour faire fonctionner les générateurs.
Le nombre total de lits d'hôpitaux est passé de 3 500 avant le début des combats à environ 1 400 lits, alors que la région compte une population d'environ 2,2 millions d'habitants.
Dans une déclaration commune , des représentants de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (Unicef) et du Fonds des Nations Unies pour la population appellent à « des mesures internationales urgentes dans le but de cesser immédiatement les attaques contre les établissements de santé à Gaza ».
« Des bébés prématurés et des nouveau-nés sous assistance respiratoire meurent à cause des coupures d’électricité, d’oxygène et d’eau à l’hôpital d’Al-Shifa, tandis que d’autres sont en danger. Le personnel de plusieurs hôpitaux signale un manque de carburant, d’eau et de fournitures médicales de base, mettant immédiatement en danger la vie de tous les patients* », peut-on lire.
*Actualisation : Après plusieurs décès, plus de trente bébés prématurés ont pu être évacués dimanche 19 novembre de l’hôpital Al-Shifa vers l’hôpital de Rafah (au sud de la bande de Gaza), pour y recevoir « des soins urgents dans l’unité de soins intensifs néonatals », a annoncé le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus.
La situation à l'hôpital Al-Shifa a également été soulignée par les organisations humanitaires telles que Médecins sans frontières (MSF) et le Croissant-Rouge , qui continuent d'opérer dans le nord de Gaza.
Au cours du week-end du 11 novembre, des professionnels de santé britanniques ont organisé une veillée devant la résidence officielle du Premier ministre à Londres. Ils portaient des affiches avec 189 noms de professionnels de santé décédés depuis le début du conflit.
Les soins comme priorité
Les générateurs étant inopérants en raison du manque de carburant, les médecins effectuent des opérations chirurgicales et d’autres procédures à l’aide des lampes de poche de leurs téléphones portables. Compte tenu du manque d’anesthésiques et de médicaments contre la douleur, même les amputations sont pratiquées sans sédation.
Dans ce contexte, la question se pose de savoir pourquoi de nombreuses équipes de santé tardent à quitter la région et à migrer vers le sud, comme l’exige Israël. « Pensez-vous que j'ai fait des études de médecine et des études supérieures pendant 14 ans au total, juste pour penser à ma vie et non à mes patients ? (...) Ce n'est pas pour cela que je suis devenu médecin » avait déclaré le Dr Hammam Alloh, un médecin palestinien renommé, dans une interview avec la journaliste Amy Goodman, du portail Democracy Now dans un entretien donné le 31 octobre, par téléphone.
« Si je pars, qui prendra soin de mes patients ? Nous ne sommes pas des animaux. Nous avons le droit de recevoir des soins médicaux adéquats. Nous ne pouvons simplement pas partir », disait-il, indiquant qu’en plus d’agir au péril de leur vie, les professionnels de Gaza sont confrontés au fardeau émotionnel de ne pas pouvoir prodiguer les soins souhaités aux patients dans un scénario de guerre, sans ressources et sans repos.
Depuis, le Dr Hammam Alloh et d'autres membres de sa famille sont morts après qu'un bombardement aérien a frappé leur maison samedi dernier. Le médecin travaillait à l'hôpital Al-Shifa.
Emotion dans le monde entier
Au cours du week-end du 11 novembre, les réseaux sociaux ont été submergés d’images de professionnels de santé et de patients en souffrance. Une vidéo montrant des bébés prématurés entassés dans des arrangements de fortune, après que les incubateurs ont cessé de fonctionner en raison d'un manque d'électricité, a été l'une des plus partagées.
Dans différentes parties du monde, des professionnels de santé se sont sentis concernés par le sort de leurs collègues. Les associations médicales de plusieurs pays ont fait preuve de solidarité avec les professionnels de Gaza et se sont jointes au chœur appelant à la fin des hostilités contre les établissements de santé.
Au cours du week-end du 18 novembre, de nombreux réfugiés, professionnels de santé, patients et blessés ont pu quitter l'hôpital d'Al-Shifa. « Au cours des 24 à 72 prochaines heures, dans l'attente de garanties de sécurité de la part des parties au conflit, des missions supplémentaires sont organisées pour transporter d'urgence les patients d'Al-Shifa vers le complexe médical Nasser et l'hôpital européen de Gaza, dans le sud de la bande de Gaza. Cependant, ces hôpitaux fonctionnent déjà au-delà de leurs capacités, et les nouveaux transferts de patients de l'hôpital Al-Shifa mettront encore plus à l'épreuve le personnel et les ressources sanitaires déjà surchargés », indiquait l'OMS dans un communiqué samedi 18 novembre.
Aussi, d'autres attaques contre des établissements de santé ont été signalées. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) a indiqué que samedi, une frappe aérienne aurait touché et détruit la clinique suédoise du camp d'Ash Shati, à l'ouest de la ville de Gaza, où quelque 500 personnes déplacées avaient trouvé refuge. Samedi soir, une autre frappe aérienne a touché l'hôpital Al Mahdi dans la ville de Gaza, tuant deux médecins et en blessant d'autres.
La violence dans les hôpitaux et autres établissements de santé est souvent rapportée lors des conflits. Ces dernières années, les experts ont alerté sur le nombre d’établissements et de professionnels concernés. L’exemple le plus récent est la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Les autorités du pays attaqué affirment que les troupes russes ont mené plus d'un millier d'attaques de ce type, y compris celles visant des ambulances. Selon les Ukrainiens, les attaques russes ont endommagé 956 établissements de santé et en ont détruit 144.
Plusieurs enfants atteints de cancer transférés vers l’Égypte et la Jordanie
Une douzaine d’enfants atteints d’un cancer ou d’autres maladies du sang ont été évacués avec leurs accompagnateurs de la bande de Gaza, dans le Territoire palestinien occupé, vers l’Égypte et la Jordanie afin de pouvoir y recevoir leur traitement en toute sécurité, a indiqué l’OMS dans un communiqué datant du 10 novembre. D’autres enfants devraient être évacués pour être traités contre un cancer dans le cadre de cette initiative. L’OMS s’est félicitée du transfert d’enfants ayant besoin d’un traitement contre le cancer et souligne qu’il est essentiel de procéder sans interruption à des évacuations médicales ordonnées, sans entrave et sûres des patients grièvement blessés et malades à destination de l’Égypte ou en transit par ce pays, via le poste-frontière de Rafah. « Je suis soulagé que des enfants ayant un besoin crucial de soins contre le cancer aient pu quitter l’insécurité et l’incertitude à Gaza et qu’ils continuent de recevoir des traitements vitaux en Égypte et en Jordanie », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus. SL
L’article a été publié initialement sur Medscape en portugais sous l’intitulé Saúde na linha de fogo: ‘Se eu for embora, quem vai tratar meus pacientes?’. Edité et complété par Stéphanie Lavaud.
Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Hôpital de Gaza : « Si je pars, qui soignera mes patients ? » - Medscape - 17 nov 2023.
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