POINT DE VUE

Une épidémie de solitude

Dr Mauricio Wajngarten

Auteurs et déclarations

16 novembre 2023

Nous faisons face aujourd’hui à une « épidémie de solitude, une crise de santé publique qui est sous-estimée et qui nuit à la santé des individus et à la société », a récemment déclaré le porte-parole du gouvernement américain de la santé publique, le Dr Vivek Murthy. [1] Un constat qui concerne de plus en plus de pays, selon l’OMS qui vient de créer une commission internationale sur la solitude. Elle rappelle que l’isolement social peut être aussi néfaste pour la santé que le fait de fumer 15 cigarettes par jour….

La solitude contribue en effet à la survenue de maladies cardio- et cérébro-vasculaires, à la démence, aux troubles dépressifs et aux décès prématurés. L'effet de l'isolement social et de la solitude sur la mortalité est comparable à celui d'autres facteurs de risque bien établis tels que le tabagisme, l'obésité et l'inactivité physique. Les mécanismes biologiques et comportementaux potentiellement impliqués dans cette association font encore l’objet de débats, il n'y a pas de réponses définitives. Néanmoins, des stratégies peuvent d'ores et déjà être mises en place afin de lutter contre cette épidémie.

Définitions et outils d'évaluation

Il faut tout d’abord savoir définir et évaluer le phénomène. Ainsi, le « lien social » englobe à la fois des indices d'isolement social et de solitude. Les deux valeurs sont liées, mais il s'agit de mesures différentes.

L'isolement social est une mesure objective qui décrit l'absence de contacts et de relations sociales. Il est mesuré par la quantité d'interactions sociales. Cet indice est évalué à l'aide de trois questions :

  1. "Combien de personnes vivent habituellement à votre domicile ? ─ (vivre seul(e) = 1 point) ;

  2. "À quelle fréquence rendez-vous visite à des amis/famille ou les recevez-vous à votre domicile ?" ─ (fréquence des visites < 1 fois par mois = 1 point);

  3. "Pratiquez-vous des activités de loisirs/sociales au moins 1 fois par semaine ou plus souvent ?" ─ (ne pas participer aux activités de loisirs/sociales [listées dans un questionnaire] au moins de 1 fois /sem. = 1 point).

Échelle de 0 à 3 points :

≥ 2 points = personne socialement isolée

0 ou 1 point = pas isolé

La solitude englobe quant à elle le sentiment subjectif d'être seul et découle de l'écart entre le niveau de relations interpersonnelles souhaité et le niveau perçu d'un individu. Elle est davantage associée à la qualité des relations. L'évaluation de cet indice comporte deux questions :

  1. "Vous sentez-vous souvent seul(e) ?" ─ (non = 0 point ; oui = 1 point) ;

  2. "À quelle fréquence pouvez-vous vous confier à un proche ?" ─ (de "presque tous les jours" à "une fois tous 2-3 mois" = 0 point ; et de "une fois tous les 2-3 mois" à "jamais " = 1 point)

Échelle de 0 à 2 points :

1 ou 2 points = personne seule

0 point = pas de solitude

Politiques de santé

Des stratégies visant à améliorer les liens sociaux, basées sur six points fondamentaux, ont été proposées [1]:

  1. Renforcer l'infrastructure sociale par le biais de programmes, d'institutions et d'environnements qui favorisent les liens entre les communautés ;

  2. Promouvoir des politiques publiques qui contribuent à créer ces liens, en facilitant l'accès aux transports publics ou en offrant des congés familiaux rémunérés ;

  3. Mobiliser le secteur de la santé, en formant les prestataires de services de proximité à évaluer et à conseiller les patients sur le risque de solitude ;

  4. Réformer les environnements numériques, en veillant à ce que la manière dont nous interagissons numériquement ne mette pas en péril nos relations avec d'autres personnes ;

  5. Approfondir la connaissance des causes et des conséquences de la déconnexion sociale, des populations à risque et de l'efficacité des stratégies adoptées ;

  6. Cultiver une culture du lien social, en encourageant les pratiques quotidiennes qui influencent de manière significative les relations.

Le rôle du médecin

Nous ne disposons d'aucun médicament contre l'isolement social et la solitude. Que pouvons-nous faire en tant que cliniciens ?

  1. Reconnaître l'ampleur du problème ;

  2. Utiliser les outils (voir plus haut) permettant d'évaluer ces indicateurs ;

  3. Rédiger des « prescriptions sociales », ce qui implique d'orienter les patients qui ont besoin d'un soutien social vers des services communautaires.  Malheureusement, il manque encore une définition consensuelle de la prescription sociale ainsi que des études à grande échelle, méthodologiquement solides, sur son efficacité clinique et son rapport coût-efficacité. 

Implications

Un éditorial publié récemment dans le European Heart Journal []souligne la nécessité de mettre en œuvre un « modèle cardiovasculaire biopsychosocial ». Les auteurs rappellent que « l'espèce humaine est sociale par nature. Les êtres humains n'ont pas seulement besoin de la présence des autres, ils dépendent également de relations sociales significatives pour développer une vie adulte saine. En tant qu'individus, nous nous efforçons d'appartenir à une famille, à un groupe de pairs, à une communauté. Ces interactions sociales sont essentielles à notre bien-être physique et mental. »

Rappelons que dans la plus longue étude scientifique jamais réalisée sur le bonheur, les participants les plus heureux présentaient deux facteurs majeurs : ils prenaient soin de leur santé et établissaient des liens forts avec d'autres personnes.

Valoriser les relations sociales prend donc de plus en plus d'importance dans le parcours de santé. Cela doit faire partie de la prise en charge de nos patients, de la population générale, et de notre propre bonheur.

 

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