L’élargissement des compétences des paramédicaux chamboulera-t-il leur responsabilité professionnelle ?

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

16 novembre 2023

Paris, France – L’accès direct aux infirmières en pratique avancée (IPA), kinésithérapeutes et orthophonistes mais aussi l’élargissement du champ de compétences de plusieurs professions paramédicales par la loi Rist promulguée le 19 mai dernier auront-ils des répercussions sur le champ de leur responsabilité civile professionnelle (RCP) ? C’est ce que prédit la MACSF.

Des représentants d’IPA, de pharmaciens et de kinés, joints par Medscape édition française, en doutent fortement.

On l’appelle la loi Rist mais si on en croit la MACSF, on devrait plutôt l’appeler la loi risque. Lors de la présentation de son traditionnel baromètre de la responsabilité médicale, le premier assureur du monde de la santé, a défendu la thèse selon laquelle la loi portée par la députée Renaissance du Loiret Stéphanie Rist, qui vise à améliorer l’accès aux soins en créant un accès direct aux infirmières de pratique avancée (IPA), aux kinésithérapeutes ainsi qu’aux orthophonistes et en élargissant les compétences de plusieurs professions paramédicales, les exposeraient à un plus fort risque médico-légal.

Les activités des IPA « porteuses d’un risque médico-légal »

Dans un exercice prospectif, les experts de la MACSF, sans aller jusqu’à avancer des chiffres, ont émis l’hypothèse que les IPA pourraient être concernées par une plus forte exposition au risque.

Au-delà de leurs activités de prévention, de dépistage et d’orientation, mais aussi de surveillance clinique, les IPA pourront prendre en charge sans prescription la prévention et le traitement des plaies. « Les IPA pourront réaliser des actes techniques sans prescription médicale avec un risque majoré de notre point de vue, mais aussi prescrire des médicaments, dispositifs médicaux et examens biologiques ou renouveler et adapter les prescriptions médicales, analyse le Dr Thierry Houselstein, directeur médical à la MACSF. On est très clairement sur une activité médicale de prise en charge des patients avec un diagnostic. Et ces nouvelles activités sont porteuses d’un risque médico-légal. »

 
On est très clairement sur une activité médicale de prise en charge des patients avec un diagnostic. Et ces nouvelles activités sont porteuses d’un risque médico-légal Dr Thierry Houselstein
 

Même si ces évolutions sont encadrées dans le cadre de protocoles d’organisations entre l’établissement et l’IPA, qui précisent notamment les modalités de prise en charge des patients ou d’échanges d’informations entre le médecin et l’IPA, l’assureur est formel : « Le risque médico-légal est lié au champ de compétences élargi des actes sans prescription médicale initiale, au droit de prescription en direct et à l’accès direct. C’est à ce niveau-là qu’il nous faudra être très vigilants à l’avenir. »

Vers des erreurs de diagnostic ?

A ce jour, les motifs de réclamation habituels à l’encontre des infirmières concernent des erreurs ou des maladresses lors de la réalisation d’un acte technique (hémorragie suite à une prise de sang au niveau de l’avant-bras, brûlures lors de certains soins), un défaut d’information du patient ou des erreurs médicamenteuses... L’objet des futures réclamations pourrait changer si l’on en croit le directeur médical de la MACSF.

« En se projetant d’ici 5 ou 6 ans, il nous semble que l’on pourrait avoir des erreurs de diagnostic et de prescription, des absences de compte rendu de prise en charge, des défauts de suivi de résultats d’examen prescrits par l’IPA… L’IPA sera au centre de la prise en charge du patient. S’il y a un défaut d’information d’un autre professionnel de santé, cela pourra être à l’origine d’une perte de chance », affirme le Dr Houselstein, qui pointe aussi le risque de « dépassement de compétences ».

Les IPA ne seraient pas les seules concernées par l’évolution du risque médico-légal. La probabilité de mise en cause pourrait être plus forte pour les pédicures podologues habilités à prescrire des orthèses plantaires ou pour les opticiens lunetiers à adapter la prescription. Mais aussi pour les sage-femmes, infirmiers, pharmaciens, et à certains étudiants en médecine et pharmaciens, qui se sont vu confier de nouvelles missions en matière vaccinale.

« Pas un sujet » pour les paramédicaux

Les professionnels concernés par un élargissement de compétences que Medscape édition française a contactés sont loin d’être aussi alarmistes que la MACSF. « Nous ne pensons pas que la montée en responsabilité des IPA aura une incidence sur leur exposition au risque, affirme Julie Devictor, présidente du Conseil national professionnel des IPA. Nous sommes même convaincus que les IPA peuvent améliorer les prises en charge. »

Sans occulter le risque d’erreur que peuvent commettre tous les professionnels de santé, Julie Devictor rappelle que les IPA sont expérimentées, formées en 5 ans et avec en moyenne 14 ans d’expérience. Le champ d’intervention des IPA demeure par ailleurs très encadré.

« On ne peut pas prescrire de soins infirmiers, de compléments alimentaires ou de Doliprane, il n’y a pas grand risque. Et on ne fera que ce que l’on sait faire dans le respect des recommandations des bonnes pratiques. » La présidente du CNP-IPA confie avoir rencontré un concurrent de la MACSF qui propose même des remises assurantielles aux professionnels d’une équipe intégrant des IPA car le parcours de soins du patient serait « plus sécurisé. »

 
On ne fera que ce que l’on sait faire dans le respect des recommandations des bonnes pratiques Julie Devictor
 

Pas de hausse récente de la sinistralité ni des primes

Les pharmaciens, qui ont vu une extension de leurs compétences vaccinales, et qui devraient être habilités à prescrire des antibiotiques après un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) positif pour les angines et les cystites, courent-ils un risque plus important de sinistre ?

Olivier Rozaire, pharmacien à Saint-Bonnet Le Château (Loire) et président de l’URPS Auvergne Rhône-Alpes ne le pense pas non plus. « Il n’y a pas eu de hausse des primes RCP des pharmaciens ces dernières années, en dépit des nouvelles responsabilités des pharmaciens, explique-t-il. Le champ de compétence s’élargit et le sujet sera peut-être un jour sur la table mais on a surtout une activité de prévention et de dépistage, des vaccins mais pas de gestes invasifs. Je ne crois pas que ce soit un vrai sujet » affirme Olivier Rozaire

 
Il n’y a pas eu de hausse des primes RCP des pharmaciens ces dernières années, en dépit des nouvelles responsabilités des pharmaciens Olivier Rozaire
 

Sébastien Guérard, ne se dit pas non plus préoccupé par cette problématique, que ce soit en tant que président de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR) ou de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS).

« En 2007, la régularisation de l'utilisation du titre d'ostéopathe (10% des kinésithérapeutes à cette époque étaient ostéos), n'a pas augmenté la sinistralité chez les masseurs kinésithérapeutes alors que ces soins se font en accès direct », commente-t-il. Depuis 2016, ajoute-t-il la loi permet déjà aux kinésithérapeutes de prendre en charge un patient, dans le cadre de l'urgence et en l'absence d'un médecin, sans prescription médicale et lui prodiguer les premiers soins.

« Nous n’avons constaté aucune augmentation de la sinistralité, précise Sébastien Guérard. La loi Rist se fait à compétence constante, sans que l'on augmente le champ de compétences des kinésithérapeutes ou des orthophonistes : c’est simplement que l’on fait notre boulot, parfois sans prescription médicale. »

 
Nous n’avons constaté aucune augmentation de la sinistralité, La loi Rist se fait à compétence constante, […] c’est simplement que l’on fait notre boulot, parfois sans prescription médicale. Sébastien Guérard
 

Vigilance

Quoi qu’il en soit, la MACSF demeure attentive aux conséquences des changements règlementaires. « Nous allons suivre l’évolution des compétences de chaque profession de santé afin d’adapter, au fur et à mesure, les garanties de leur couverture en responsabilité civile professionnelle selon leurs besoins et leurs nouvelles modalités d’exercice » déclare Nicolas Gombault, directeur général délégué de la MACSF.

A ce jour, la RCP des IPA est identique à celle des infirmières diplômées d’Etat et le risque est mutualisé à l’ensemble de la profession mais rien ne dit que les IPA ne disposeront pas un jour de leur propre prime de responsabilité professionnelle.

« Nous ferons le bilan des réclamations et s’il y avait une trop grande distorsion entre les deux risques, nous serions peut-être amenés à différencier les choses entre les infirmières et les IPA », conclut Nicolas Gombault.

 
Nous ferons le bilan des réclamations et s’il y avait une trop grande distorsion entre les deux risques, nous serions peut-être amenés à différencier les choses entre les infirmières et les IPA Nicolas Gombault
 

 

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