POINT DE VUE

« Il faut arrêter de dire qu'il n'y a rien à faire contre le vitiligo » Pr Julien Seneschal, CHU de Bordeaux 

Caroline Guignot

Auteurs et déclarations

8 novembre 2023

Bordeaux, France – Des experts internationaux du vitiligo ont publié de nouvelles recommandations en deux parties – l’une dédiée aux algorithmes de prise en charge [1], l’autre aux traitements proprement dits [2] – afin d’actualiser le dernier texte qui datait de 2013. Ces recommandations sont destinées aux dermatologues et aux médecins généralistes, et proposent des algorithmes relativement simples sur lesquels le professeur Julien Seneschal (Service de dermatologie, CHU de Bordeaux) apporte des précisions.

Ces nouvelles recommandations reconnaissent que le diagnostic du vitiligo peut être difficile. Pour quelles raisons ?

Pr Julien Seneschal : Le vitiligo est un diagnostic clinique. Le dermatologue qui en a l'habitude peut assez facilement le caractériser grâce à la lampe à UV, ou lampe de Wood. Elle permet de s’assurer de la disparition complète des mélanocytes au niveau des lésions. Le principal diagnostic différentiel est le pityriasis versicolor où il s’agit uniquement d’une hypopigmentation. Mais en pratique clinique, le retard au diagnostic se compte parfois en années, et il n’est pas rare de voir des personnes traitées au long cours par des antifongiques après un diagnostic erroné de pityriasis, notamment en soins primaires. Le premier message est donc de requestionner le diagnostic si l’on ne constate aucune réponse 4 à 6 mois après un traitement bien conduit. La lampe de Wood permet aussi de rechercher les signes d'activité de la maladie : chez les 20 % de patients ayant une forme évolutive de la maladie, la délimitation des lésions n’est pas évidente, avec des bords flous ou encore avec un aspect en confettis. Sur ce dernier point, la présence d’une dépigmentation permet de différencier le vitiligo de l’hypopigmentation de l’hypomélanose en gouttes idiopathique, qui est non évolutive.

Vous y reprécisez d’ailleurs la définition du vitiligo…

Pr Seneschal : Oui, afin de distinguer les algorithmes de prise en charge des formes non segmentaires, qu’on rassemble sous le terme générique vitiligo, des formes segmentaires qui doivent être qualifiées comme telles. Pour mémoire, les premières représentent 90 à 95 % des cas. Les lésions sont des macules bilatérales et symétriques, et apparaissent chez l’adulte après 30 ans. Le vitiligo segmentaire est plus rare, apparaît le plus souvent chez les enfants et adolescents, et se réfère à des lésions sur un seul segment unilatéral qui apparaissent en une seule poussée. Il faut aussi dire qu’il existe des formes mixtes où les deux coexistent, d’abord segmentaires puis non segmentaires, et des formes dites universelles, lorsque plus de 90 % de la surface corporelle est touchée. Pris dans leur ensemble, toutes ces formes de vitiligo concernent 0,5 à 2 % de la population.

Quels messages délivrer aux patients, lors du diagnostic ?

Pr Seneschal : Il faut d’abord combattre les idées reçues. J’en distingue trois principales : la première est que la maladie est liée au stress. Si celui-ci peut aggraver la maladie chez quelqu’un ayant une prédisposition, il n’est pas un facteur déclenchant en tant que tel, car les patients présentent une prédisposition génétique associée dans 90 % des cas à des médiateurs du système immunitaire. Le stress est un facteur favorisant au même titre que les facteurs environnementaux. Les frottements constituent aussi un facteur de risque, ce qui explique la localisation fréquente des lésions de vitiligo au niveau des coudes, des genoux ou des faces internes des jambes ou des bras.

La seconde idée reçue est qu’il faut protéger les lésions du soleil. Au contraire, une exposition raisonnable est utile pour favoriser la repigmentation, et la dépigmentation n’augmente pas le risque de cancer cutané.

La dernière concerne la prise en charge : 65 % des patients rapportent que leur médecin leur a dit qu’il n'y avait pas de traitement efficace, ce qui est faux, comme le rappellent nos recommandations. Aussi, si on pense qu’un vitiligo récent a plus de chances de se stabiliser et de repigmenter, il est possible de proposer un traitement pour des lésions anciennes.

Comment orienter la stratégie thérapeutique ?

Pr Seneschal : Schématiquement, le premier objectif est de stabiliser les lésions, puis d'essayer de faire repigmenter les lésions stables, et enfin de maintenir cette repigmentation. Nous proposons deux algorithmes, l’un pour le vitiligo (non segmentaire), l’autre pour les formes segmentaires. Dans tous les cas, la décision est prise dans le cadre d’une décision médicale partagée : il faut concilier les objectifs du patient – stabilisation, repigmentation – et les options possibles. La présence de poils blancs au sein même des lésions est par exemple un critère de mauvais pronostic ou de mauvaise réponse au traitement qu’il faut considérer, car il signifie que les cellules souches mélanocytaires folliculaires sont atteintes.

Devant une forme très généralisée, il faudra aussi procéder par pallier : en déterminant par exemple un premier objectif – une zone du corps à soigner en premier lieu – puis avancer pas à pas, à mesure de l’amélioration clinique. On pense que le fait d’hydrater la peau permet parfois de limiter les poussées, car cela restaure la barrière cutanée, même si ce n'est pas réellement prouvé. Outre le traitement médical, il ne faut pas hésiter à proposer aux patients des soins de support, notamment pour ceux anxieux ou stressés par cette maladie très visible, une prise en charge psychologique. Concernant les compléments alimentaires, la prise d’un anti-oxydant (la superoxyde dismutase gastroprotégée) semble promouvoir la repigmentation obtenue par photothérapie chez certains patients, mais ce complément n’est pas remboursé.

Quelles sont les grandes lignes de la prise en charge du vitiligo ?

Pr Seneschal : La plupart des traitements utilisés aujourd’hui pour stabiliser puis repigmenter les lésions non segmentaires le sont hors AMM. Le premier d’entre eux, qui peut être envisagé en soins primaires après confirmation du diagnostic, est l’utilisation des dermocorticoïdes pour les lésions situées en dehors du visage : on conseille une application le soir, 5 jours sur 7 ou parfois 15 jours par mois. Leur efficacité ne peut être évaluée qu’après 6 mois d’application au minimum. Ils permettent d’avoir plus de 50 % d’amélioration chez 50 % des patients hormis au niveau des mains et des pieds qui sont des zones qui répondent souvent difficilement au traitement. Pour les lésions du visage, on utilise le tacrolimus, un inhibiteur de calcineurine par voie locale, relevant d’une ordonnance d'exception par le dermatologue. Le visage est une zone qui repigmente plus facilement, et on obtient une pigmentation quasi complète dans 80 % des cas. La photothérapie est recommandée en association pour promouvoir la repigmentation pendant la période estivale, une exposition au soleil sans protection est préconisée 15-20 minutes 2 fois par semaine. En période hivernale, la photothérapie peut être conduite en cabines ou avec un laser Excimer pour des lésions très localisées. Lorsque la maladie est très active, on peut être amené à utiliser des stratégies de corticothérapie générale par minibolus selon une posologie adaptée au poids le samedi et le dimanche matin pendant 12 à 24 semaines. Cette stratégie permet de stabiliser la maladie dans 80 % des cas. D’autres immunomodulateurs oraux sont utilisés hors AMM, comme le méthotrexate ou la ciclosporine, mais les preuves de leur efficacité sont faibles. Une fois la repigmentation, un traitement d’entretien est nécessaire car 50 % des patients vont récidiver au même endroit dans l'année qui suit l’arrêt du traitement. On préconise l’application deux fois par semaine du tacrolimus sur le visage ou des corticoïdes topiques sur le reste du corps. Cela permet de maintenir une amélioration de la repigmentation dans 80 % des cas. La photothérapie est moins utile en traitement d’entretien.

Les recommandations introduisent aussi les innovations thérapeutiques émergentes, comme le ruxolitinib qui a obtenu un enregistrement européen en avril 2023. Quelle place cet inhibiteur de JAK 1 et 2 prendra-t-il une fois dans les pharmacies françaises ?

Pr Seneschal : Le ruxolitinib topique seul a été comparé au placebo dans deux larges études de phase 3 chez plus de 600 patients versus placebo en monothérapie. Appliqué 2 fois par jour pendant un an, il apporte plus de 75 % d’amélioration de la pigmentation au niveau du visage chez 50 % des patients et plus de 50 % d’amélioration chez 50 % des patients au niveau du corps. Il est maintenant à l’étude en combinaison avec la photothérapie. Il a reçu une AMM européenne en 2023 et est attente de mise sur le marché. Il inaugure une véritable vague d’innovation avec d’autres inhibiteurs de JAK actuellement évalués dans le vitiligo, comme l’upadacitinib, le ritlecitinib ou le baricitinib. On va enfin arrêter d’entendre qu’il n’y a plus rien à faire face au vitiligo.

Messages clés pour les généralistes :

  • Attention aux diagnostics différentiels.

  • Favoriser une exposition raisonnable sans protection au soleil.

  • Orienter les patients vers le dermatologue sans efficacité probante des dermocorticoïdes

Messages clés pour les dermatologues :

  • Prendre en charge précocement les formes actives de la maladie.

  • La prise en charge des enfants et femmes enceintes nécessitent quelques précautions décrites dans les recommandations.

  • Arrivée d’une nouvelle génération de traitements ciblés.

 

Cet article a initialement été publié sur Univadis.fr, membre du réseau Medscape.

 

 

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