La Cour des comptes se penche sur la santé des hôpitaux

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

21 novembre 2023

France – Quelle est réellement la santé des hôpitaux, en particulier publics, que l'on dit moribonds ? La Cour des comptes vient de poser son diagnostic en rendant coup sur coup deux rapports, l'un sur la santé financière des établissements de santé publics post-Covid [1], l'autre sur la concurrence entre établissements publics et privés [2]. Sans compter un troisième rapport, rendu public quelques mois plus tôt, sur la tarification à l'activité [3].

Situation dégradée en 2019

La situation des établissements de santé publics n’est pas bonne, et ce n’est pas seulement la faute de la crise du Covid, durant laquelle une grande partie des activités hospitalière furent mises à l’arrêt. Non, dès 2019, note la Cour des comptes, « la situation financière globale des hôpitaux publics apparaissait dégradée, avec des pertes récurrentes (558 M€ en 2019) ». La cause de cette dégradation : les plans d’investissement Hôpital 2007 et 2012, qui ont entraîné un « triplement de l’endettement financier à hauteur de 30 milliards d’euros » en 2019. Bien sûr, l’ensemble des hôpitaux n’était pas dans le rouge : un tiers d’entre eux présentait un résultat d’exploitation positif, quand un dernier tiers, dont l’assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) était en crise profonde.

La Covid, une aubaine

Paradoxalement, la pandémie de Covid, et son cortège de déprogrammations et de services à l’arrêt, a permis de redresser, temporairement, les comptes des hôpitaux publics. Car les hôpitaux, pour prendre en charge les patients atteints de Covid, mais aussi compenser la perte de revenus causée par les déprogrammations multiples et variés, ont reçu de très nombreuses aides financières : « Les surcoûts liés au traitement des patients atteints par l’épidémie de Covid-19 ont été pris en charge par l’assurance maladie (3 Md€ alloués en 2020, 3,2 Md€ en 2021 et 0,7 Md€ en 2022). » Pour compenser les déprogrammations, les hôpitaux ont aussi reçu « 2,5 Md€ en 2020, 1,6 Md€ en 2021 et 1,8 Md€ en 2022 ». Enfin, « des ressources nouvelles ont été allouées aux établissements de santé en contrepartie des revalorisations de salaires accordées dans le cadre des accords du Ségur de la santé, signés le 13 juillet 2020 (en cumul, 1,1 Md€ en 2020, 5,8 Md€ en 2021, 7,2 Md€ en 2022 et 7,6 Md€ prévus en 2023 »

Nouvelle dégradation des comptes en 2022

Ces aides se tarissant, la situation financière des hôpitaux s’est de nouveau dégradée en 2022, pour atteindre un déficit de 1 073 millions d’euros, soit près du double du déficit de 2019... Qui plus est, l’activité des établissements de santé n’a pas recouvré son rythme d’avant la pandémie de Covid-19 : elle enregistre une baisse de 1,7% de séjours hors séances par rapport à 2019. Cela tient au renoncement aux soins de certains patients, manque de personnels soignants, mais aussi... à la concurrence accrue du secteur privé.

Concurrence du secteur privé

Ce dernier point fait l’objet de toute l’attention de la Cour des comptes, qui lui a consacré un rapport à part entière. Intitulé « Les établissements de santé publics et privés entre concurrence et complémentarité » [2], ce rapport fait le point sur les avantages concurrentiels des différents types d’établissement : publics, privés et privés non lucratifs. En préambule, les auteurs de ce rapport rappellent que « sur 2 989 établissements de santé, on dénombrait 1 347 établissements publics de santé, 972 établissements de santé privés à but lucratif et 670 établissements privés à but non lucratif ». Limité aux activités de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), ce rapport établit que les établissements publics restent hégémoniques, en offrant 66 % des lits et places, contre 25 % pour les cliniques, et 9 % pour les établissements privés à but non lucratifs. Depuis 2014, néanmoins, la concurrence entre public et privé s’accroit sur les courts séjours mais les hôpitaux publics gardent la main sur les « soins pour les pathologies les plus sévères, ou dans les contextes sociaux les plus difficiles ». En revanche, pour ce qui est de la chirurgie, les prises en charge sont majoritairement privées. La Cour des comptes ajoute que sur certains territoires défavorisés, les cliniques accueillent plus de bénéficiaires de l’assurance complémentaires santé solidaire que les établissements publics mais cela reste une exception.

Grille tarifaire différente

Soumis à des charges différentes, ces trois types d’établissement ne bénéficient pas de la même grille tarifaire. Ainsi, les établissements publics et privés non lucratifs qui salarient leurs médecins, ont des budgets plus élevés que les cliniques, et les hôpitaux publics bénéficient en sus d’un régime fiscal et social plus avantageux que celui des établissements privés à but non lucratif. Néanmoins, des « bizarreries » subsistent. Ainsi, les médecins hospitaliers peuvent exercer en mode libéral dans les hôpitaux publics et percevoir des honoraires à l’instar de la médecine de ville. « Une clarification est devenue nécessaire sur l’ensemble du territoire national au regard de la nécessité pour les usagers de pouvoir accéder aux soins dans des conditions financières, géographiques et temporelles correspondant à leurs besoins », glisse la Cour des comptes. 

De même la délivrance d’autorisations d’activités aux établissements de santé, quels qu’ils soient, par les agences régionales de santé (ARS) ne répond pas toujours à des objectifs « d’accessibilité financière et géographique des soins ».

Pertinence des soins

Au chapitre de la pertinence des soins, la Cour des compte note avec étonnement que certains établissements pratiquent outre mesure certains actes. Cette suractivité, dont la principale motivation est pécuniaire, mérite d’être contrôlée, pense la Cour. Sans renier les vertus de la concurrence, la Cour des comptes plaide aussi pour la mise en œuvre d’une grille d’indicateurs de service public hospitalier (accessibilité financière, géographique, temporelle), la participation obligatoire à la permanence des soins des praticiens exerçant en établissement de santé privés, la coopération des médecins libéraux de secteur 2 avec les établissements publics, l’octroi de financements à la qualité aux établissements qui ont des résultats en la matière.

 

Cet article a initialement été publié sur Univadis.fr, membre du réseau Medscape.

 

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