France – De par leur impact sur de nombreuses glandes endocrines et leurs conséquences délétères de mieux en mieux connus sur la santé, les perturbateurs endocriniens nécessitent un effort en termes de recherche en vue de faire évoluer la réglementation, a expliqué le Pr Nicolas Chevalier, chef du service d’endocrinologie (CHU de Nice) lors d’une conférence de la Société française d’endocrinologie (SFE) [1].
Tous exposés à un cocktail quotidien de perturbateurs endocriniens
Les perturbateurs endocriniens sont des molécules qui viennent interférer avec notre système endocrine endogène, soit en bloquant la synthèse des hormones, soit en mimant leur action en modifiant l’équilibre hormonal au quotidien.
« Il est désormais connu que nous baignons tous dans un cocktail quotidien de perturbateurs endocriniens, a indiqué l’endocrinologue. Tous les Français sont exposés au quotidien à au moins un ou deux bisphénols [que l’on retrouvent] dans les cheveux. Selon un rapport européen, la majorité des européens dépasse les valeurs seuils toxiques en bisphénols. De même, nous sommes imprégnés de phtalates (8 à 11) et de pesticides (entre 0 à 25 selon mode de vie et le lieu d’habitation). La problématique de cette exposition touche l’adulte mais aussi des périodes de vie que l’on voudrait préserver, comme la grossesse et la petite enfance ».
Une publication de 2011 qui fait toujours référence (Woodruff, EHP, 2011) avait montré que le contenu « habituel » du liquide amniotique comprend des composants phénoliques, des phtalates, des dérivés des pesticides et notamment du DTT, même s’il a été banni depuis plus de 40 ans, des perfluorés, des composés halogénés et des métaux lourds.
Une action délétère sur les gonades
Concernant les perturbateurs endocriniens, « tout a commencé avec des pathologies de la reproduction, on a très vite parlé d’hypofertilité, de malformations du tractus génital chez l’homme comme chez la femme (cf l’affaire du Distilbène).
On connait aussi le rôle carcinogène de ces molécules (principalement des cancers hormonaux dépendants : sein, prostate, testicule). Des observations de puberté précoce ont été rapportées, notamment par des équipes de recherche montpelliéraines ».
Aujourd’hui, d’autres travaux font suspecter un rôle dans le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), dans la ménopause précoce et dans l’endométriose. Mais le spectre d’action des perturbateurs endocriniens ne se limite pas aux gonades et toutes les glandes peuvent être la cible de ces molécules, la thyroïde en particulier avec des tableaux de goître, mais aussi ce qu’on appelle des fausses résistances aux hormones thyroïdiennes qui, probablement, vont être le lit des troubles neurologiques que l’on peut observer dans la petite enfance, comme les troubles du spectre autistique, les troubles de l’attention.
A l’âge adulte, des travaux rapportent un rôle dans la démence même si la voie impliquée n’est pas clairement déterminée.
Un impact sur le diabète et l’obésité
Aujourd’hui, la liste des pathologies s’allonge et le sujet phare qui focalise l’attention des chercheurs et des médecins qui travaillent sur les perturbateurs endocriniens (PE) est la sur-incidence du diabète et de l’obésité, car le tissu adipeux reste une glande endocrine, le pancréas également. Et si l’on regarde les courbes de prévalence entre le diabète et l’obésité à travers le monde, on observe une similitude frappante de la courbe comparée avec celle de la production de produits chimiques dans le monde.
En travaillant sur les données européennes, les travaux de Juliette Legler (Utretch, Pays-Bas) et Leonardo Trasande (New-York, EU) ont permis de rapporter que 42 300 cas d’obésité infantile en 2010 sont liés à l’exposition aux bisphénols tandis que 30 100 cas de diabète de type seraient liés au DDT (bien qu’interdit depuis plus de 40 ans). « D’autres maladies liées aux perturbateurs endocriniens tirent vers le haut les coûts de santé, et notamment les maladies neurodégénératives », a ajouté l’orateur.
L’inaction en termes de régulation européenne des perturbateurs endocriniens coûte 157 milliards d’euros à l’Europe chaque année (Bellanger, JCEM, 2015). Et ce, principalement en lien avec l’utilisation de pesticides dont l’usage a été autorisé jusqu’au 31/01/19 alors que l’on savait qu’ils avaient une toxicité avec une demi-vie supérieure à 10 ans. « On peut donc imaginer être encore imprégné pendant 40 à 50 ans, avec des effets néfastes à la clé », considère le Pr Chevalier.
Où en est la France ?
« La France un des pays les plus moteurs à l’échelle européenne pour avancer sur la régulation des perturbateurs endocriniens comme en témoignent les différents plans environnement qui ont toujours inclus les PE », a indiqué l’endocrinologue.
La 2ème stratégie sur les PE (2018/19) requérait la publication d’une liste officielle de perturbateurs endocriniens, ce qui a été réalisé par l’Anses en avril 2021 sur 906 substances d’intérêt. Prochainement, il est prévu par la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) un étiquetage (à partir d’une base de données open data) qui va concerner les denrées alimentaires, les cosmétiques, les jouets, les pesticides et les dispositifs médicaux hors médicaments. Il s’agira d’afficher la liste des composés PE avérés ou suspectés pour informer le plus grand nombre et se prémunir face à ces molécules.
« Au-delà de ces mesures de régulation, il faut que l’on puisse avancer dans la recherche car on arrive toujours un peu après la bataille avec les PE », insiste le spécialiste.
En effet, les modèles utilisés aujourd’hui sont très imparfaits. « On ne peut pas se limiter à l’utilisation de modèles cellulaires in vitro qui ne vont concerner qu’un type cellulaire et le plus souvent 1 ou 2 molécules. Comme on évite les modèles animaux et qu’on ne peut exposer des humains, on ne dispose souvent que de données épidémiologiques qui ne montrent un effet toxique que tardivement, donc bien après l’exposition ». D’où l’importance de développer de nouveaux modèles comme, par exemple, les organoïdes*.
« Il est Important d’avoir des soutiens dans cette recherche car aujourd’hui le seul appel à projet qui soutient les recherches sur les PE est le PNR Est porté par l’Anses. Enfin, reste à explorer la problématique des mélanges et faibles doses », a conclu le Pr Chevalier.
*Les organoïdes sont des ensembles multicellulaires développés pour ressembler à un organe (ou partie d’organe) et fabriqués artificiellement à partir de cellules souches issues d’un individu.
Le Pr Chevalier déclare avoir reçu des honoraires de la part de AstraZeneca, Boeringher Ingelheim, Dexcom, Effik, Eli Llly, Medtronic, Merck, NovoNordisk, Sanofi, SVR. I a aussi reçu des aides à la recherche payées à son institution de la part de Sanofi, NovoNordisk, Biofortis, Medtronic, Vitalaire et Novartis.
Suivez Medscape en français sur X.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Exposition prénatale aux perturbateurs endocriniens et atteinte hépatique précoce
Les perturbateurs endocriniens sont-ils les nouveaux diabétogènes ?
L'infertilité masculine est-elle en passe de devenir une menace pour l'espèce humaine ?
Effet des pesticides sur la santé, le rapport accablant de l’Inserm Perturbateurs endocriniens: 7 conseils pratiques
15 perturbateurs endocriniens associés à une ménopause précoce
Crédit image de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2023
Citer cet article: Perturbateurs endocriniens : promouvoir la recherche en vue de durcir la réglementation, dit la SFE - Medscape - 2 oct 2023.
Commenter