Derna, Libye : il y a urgence à apporter une aide psychologique à la population 

Daniela Ovadia

Auteurs et déclarations

2 octobre 2023

Derna, Libye – Plus de 3 semaines après les inondations qui ont détruit la ville de Derna, en Libye, l’incertitude demeure quant au nombre exact de victimes. Les besoins sanitaires des survivants viennent quant à eux d’être évalués mettant en exergue le besoin de fournir une aide psychologique à la population endeuillée et traumatisée.

Selon les estimations officielles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [1], l’effondrement de deux barrages en amont de la ville, provoqué par les fortes pluies de la tempête Daniel, aurait fait environ 4 000 morts et 8500 disparus selon l'OMS. Il s’agit toutefois d’estimations prudentes : certains avançant les chiffres de 11 000 morts et de plus de 20 000 disparus, probablement emportés par les vagues qui ont littéralement déraciné les maisons, les déversant dans la mer Méditerranée.

Des centaines de corps ont été enterrés à la hâte dans des fosses communes, sans identification visuelle. Pour de nombreux survivants toujours à la recherche de leurs proches, la certitude de leur disparition ne sera peut-être jamais acquise, à moins qu’une campagne internationale ne soit lancée pour analyser les échantillons d’ADN que les fonctionnaires du ministère libyen de la santé ont prélevés sur chacun des corps enterrés sans nom. Une équipe d’experts en identification corporelle des Émirats arabes unis est arrivée en Libye à la fin de la semaine dernière pour commencer à mettre en place un laboratoire médico-légal [2].

Témoignage des premiers secours

Manoelle Carton, coordinatrice médicale pour Médecins Sans Frontières (MSF), est arrivée à Derna le 13 septembre, trois jours après la catastrophe. « Lorsque je suis arrivée, la ville était remplie de volontaires de toutes sortes et de tous horizons. Il nous a fallu trois heures pour entrer. Aujourd’hui (22 septembre, ndlr), nous sommes entrés et sortis en 10 minutes. Comme souvent dans les grandes catastrophes, après les premiers jours où la machine de la solidarité se déploie parfois de manière désordonnée, ne restent sur le terrain que ceux qui peuvent s’engager dans une aide qui sera durable », explique-t-elle.

Manoelle Carton, Coordinatrice de Médecins Sans Froantières à Derna (Libye)

À son arrivée, il n’y avait déjà plus de corps dans les rues : « Ils ont été ramassés à la hâte, par crainte des épidémies », explique-t-elle.

Le problème infectieux est cependant loin d’être résolu. Selon le Centre libyen de contrôle des maladies(NCDC) 238 de cas d’hospitalisation pour diarrhée avaient été enregistrés entre le 14 et le 18 septembre. La crainte d’une épidémie de typhoïde et de choléra est présente, même si elle n’est pas nécessairement liée à la présence possible de cadavres sous les maisons et dans la boue. « L’eau n’est pas potable et les autorités recommandent de ne pas l’utiliser pour la nourriture », explique Manoelle Carton. « Le ravitaillement arrive de l’extérieur, mais la situation est critique même dans les hôpitaux, où il est difficile de maintenir des conditions d’hygiène élémentaires. Une douche et des toilettes en état de marche peuvent être un luxe ».

Avant la catastrophe, l’hôpital général de Derna avait déjà été fermé pour rénovation et les services répartis dans des centres plus petits situés dans différentes parties de la ville.

L’eau a littéralement coupé la ville en deux : une moitié n’existe plus, alors que l’autre est en bon état. Dans la partie dévastée se trouvait l’hôpital chirurgical, qui est toujours actif mais à un régime réduit, tandis que la médecine et la gynécologie (délocalisées dans un établissement privé) se trouvent du côté préservé », explique Manoelle Carton, qui s’attarde sur le problème du personnel. Beaucoup de médecins et d’infirmières ont perdu des membres de leur famille, quand ils ne sont pas eux-mêmes décédés. Il y a tout un département de médecine territoriale qui a été rayé de la carte avec tous les professionnels qui s’y trouvaient. Pour l’instant, ceux qui peuvent travailler le font, mais nous nous demandons combien de temps ils pourront tenir, d’autant que, au fil des jours, les collègues de Benghazi et de Tripoli doivent reprendre leur travail.

Des âmes blessées… une santé mentale à soutenir

Ce ne sont pas les blessures qui nous préoccupent le plus dans l'immédiat. Il y a un manque de médicaments pour les maladies chroniques : le diabète, l’hypertension, les cancers ne peuvent plus être soignés. Le plus grand centre de diabétologie de la région, qui était basé dans la ville de Sousa, à quelques kilomètres de Derna, a été complètement détruit.

Des employés de Médecins Sans Frontières au travail à Derna (Libye)

« Mais la grande urgence, c’est la santé mentale », poursuit Manoelle Carton. « Tout le monde a perdu quelqu’un, certains ont tout perdu. Les premiers jours, nous avons demandé à être accompagnés par un responsable local du ministère de la Santé. On nous a envoyé un homme qui nous a fait visiter les différentes structures de manière très efficace mais étrangement détachée. À un moment donné, il m’a dit qu’il avait perdu ses neuf enfants et sa femme. Il n’a plus personne et ne peut même pas pleurer. Je ne sais pas combien de temps il pourra faire face, mais quand il craquera, il aura certainement besoin qu’un professionnel l’aide. »

Ce qui surprend les professionnels de la santé qu’ils soient locaux et étrangers, c’est que la demande de soutien psychologique émane directement de la population, dans un pays où la maladie mentale est fortement stigmatisée. « MSF a un projet de santé mentale dans le nord de la Libye, nous avons donc une certaine expérience », explique Manoelle Carton. « C’est un travail très difficile et souvent, le seul soutien que l’on peut apporter est un traitement médicamenteux. Ici, c’est une ville entière qui a vu son destin basculer du jour au lendemain et qui demande de l’aide, mais nous ne savons pas qui sera capable de mener à bien cette immense tâche lorsque la majeure partie de la population, qui est encore sous le choc aujourd’hui, finira par s’effondrer. »

Une situation politique complexe

La situation dans la ville est également compliquée par l’instabilité politique du pays. Au début de la semaine dernière, des manifestations ont été organisées pour dénoncer la gestion de la crise et le manque de prévention. Le ministère libyen des infrastructures avait déjà lancé des alertes sur la stabilité des barrages en 2019, mais aucun travail de consolidation n’avait été effectué. L’avis de tempête a été diffusé faisant penser que le plus grand danger pourrait venir de la mer, sous la forme d’un tsunami. De nombreuses personnes qui vivaient sur le littoral (relativement préservé) ont donc cherché refuge auprès d’amis et de membres de leur famille dans le centre de la ville, où se trouvaient les quartiers les plus anciens, entièrement ensevelis par la coulée de boue. Cela a contribué à l’augmentation du nombre de morts.

Le mercredi 20 septembre, la plupart des journalistes étrangers ont été priés de quitter la ville, officiellement pour ne pas entraver les opérations de secours. Seuls quelques journaux, dont CNN, ont été autorisés à rester quelques jours de plus. 

Les autorités de l’est de la Libye avaient annoncé la tenue d’une conférence internationale pour la reconstruction de Derna le 10 octobre, qui a été reportée en novembre. « Le gouvernement invite la communauté internationale à participer à cette conférence où seront présentés des plans modernes et rapides pour la reconstruction de la ville », indique un communiqué du premier ministre de la Cyrénaïque, Usama Hamad.

Le gouvernement indique que l’organisation de cette conférence est « une réponse aux demandes des habitants de la ville sinistrée de Derna et d’autres villes (de l’est) qui ont subi des dommages ».

 

Cet article a initialement été publié sur Univadis.it, membre du réseau Medscape, traduit par Univadis.fr.

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