Une femme sur 6 souffre de dépression post-partum deux mois après l'accouchement

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

26 septembre 2023

France – Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) a publié mercredi 20 septembre une étude sur la prévalence de la dépression post-partum, de l'anxiété et des idées suicidaires des femmes deux mois après l'accouchement[1].

Il en ressort qu’en 2021, deux mois après l’accouchement, une femme sur six présentait une dépression du post-partum, plus d’une sur quatre un niveau d’anxiété important, et une femme sur 20 déclarait des idées suicidaires. Des résultats en accord avec les données internationales sur la santé mentale périnatale.

Ces données sur la santé mentale sont issues de l'enquête nationale périnatale 2021 (ENP 2021) réalisée sur un échantillon représentatif. C'est la première fois que ce type d'enquête qui interroge les femmes à la maternité et à 2 mois après la naissance depuis plus de trente ans et qui permet d’obtenir la photographie globale de la santé périnatale en France, s'intéresse à la santé mentale des mères.

Plus de 7000 femmes répondeuses à l' EPDS

L'étude a porté sur 7 133 femmes qui ont accouché en France métropolitaine au cours d'une semaine donnée de mars 2021 et qui ont complété les 10 items de l’auto-questionnaire Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) à deux mois post-partum. Un score ≥13 (sur un score variant entre 0 et 30), définissant le risque de dépression , a été retrouvé chez 16,7% des femmes (IC95% [15,7-17,7]). « C'est un chiffre plutôt élevé et assez inquiétant : un EPDS à 13 ou plus à huit semaines après l'accouchement signifie que la mère était mal bien avant et qu'elle n'a pas été repérée », commente la Dre Anne-Laure Sutter ( psychiatre, responsable du réseau de psychiatrie périnatale, Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux) interrogée par Medscape édition française.

C'est un chiffre plutôt élevé et assez inquiétant. Dre Anne-Laure Sutter

 

« Il faut faire le dépistage et le repérage des facteurs de risque de dépression post-partum dès la grossesse et en suite immédiate de couches avant le retour au domicile », insiste-t-elle.

Le Dr Romain Dugravier (pédopsychiatre, Centre de psychopathologie périnatale, Institut Paris Brune) explique le défaut de repérage par la formation insuffisante des professionnels en première ligne (sages-femmes et obstétriciens), l'absence de stratégie de dépistage structurée mais aussi la honte et la culpabilité pour une mère de demander de l'aide et une résistance de l'entourage à percevoir et entendre la souffrance d'une jeune mère.

« Il y a une difficulté aussi de la part des professionnels de santé à s'engager dans le dépistage s'ils n'ont pas de réponse à apporter ensuite. Quant aux femmes, elles disent aussi avoir peur d'une prise en charge médicamenteuse d'emblée », détaille-t-il auprès de Medscape édition française. Autant de freins à lever pour améliorer la situation.

Quant aux femmes, elles disent aussi avoir peur d'une prise en charge médicamenteuse d'emblée. Dr Romain Dugravier

 

Les investigateurs ont par ailleurs observé une disparité régionale : certaines régions (Hauts-de-France, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle-Aquitaine) ont des prévalences significativement inférieures  à la moyenne hexagonale quand d'autres (Île-de-France, Centre-Val de Loire et Provence-Alpes-Côte d’Azur) au contraire ont des prévalences supérieures.

« Le Grand Est et les Hauts-de-France ont des unités très actives dans le dépistage précoce », avance la Dre Sutter comme explication. « On ne dispose pas de raisons évidentes pour expliquer ces différences. Cela dit, on sait qu'il y a un gradient croissant de la dépression post-partum en fonction des critères de vulnérabilité sociaux », rappelle pour sa part Romain Dugravier.

Le Grand Est et les Hauts-de-France ont des unités très actives dans le dépistage précoce.

 

A l'Institut Paris Brune où il exerce, les femmes qui viennent d'accoucher remplissent l'EPDS pendant leur séjour à la maternité. « L'EPDS n'est pas parfait et ne permet pas de poser un diagnostic mais il permet de faire émerger le dialogue ».

Quant à l'anxiété, sa prévalence était de 27,6%(IC95% [26,5-28,8]) globalement et de 83,2% (IC95%[80,6-85,7] )parmi les femmes présentant une dépression post-partum. Une disparité régionale était également observée avec des prévalences significativement inférieures en Normandie et en Nouvelle-Aquitaine ou supérieures en région Centre-Val de Loire et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. 

L'EPDS n'est pas parfait et ne permet pas de poser un diagnostic mais il permet de faire émerger le dialogue.

 

Le tabou des idées suicidaires de la jeune mère

« Pendant longtemps, à la différence des anglosaxons qui montraient l'existence d'idées suicidaires chez les jeunes mères, on ne posait même pas la question lors des études sur la dépression post-partum », indique Anne-Laure Sutter. La spécialiste explique encore que « la France sortait les décès par suicide des chiffres de la mortalité maternelle », alors que le suicide est même la première cause de mortalité maternelle en post-partum.

D'après les estimations de l'ENP 2021, la prévalence des idées suicidaires (item 10 de l’EPDS≥1) était de 5,4% (IC95%[4,7-6,1]) globalement et de 23,8%  (IC95% [12,1-26,9]) parmi les femmes atteintes de dépression post-partum. « Je pense que la proportion des femmes en post-partum ayant eu des idées suicidaires est encore plus élevée. Il y a toujours un biais de désirabilité sociale dans les réponses aux auto-questionnaires », estime-t-elle, mais elle se félicite que le tabou commence à être levé.

« Ces résultats sont légèrement en-deçà de ceux rapportés dans la dernière méta-analyse [2] publiée à ce jour (7%) », écrivent les investigateurs dans le BEH.

Pour Romain Dugravier, « la parole est libérée » en effet à la fois sur la dépression post-partum et les idées suicidaires. « De plus en plus de femmes viennent avec une demande de soins », constate-t-il. Et leur prise en charge est cruciale car, on le sait, la dépression post-partum a un impact délétère sur l'individu, le couple et le développement de l'enfant.

« Les enfants dont un parent est déprimé dans la petite enfance sont plus vulnérables à être anxieux et déprimés et à développer un trouble du comportement », rappelle le pédopsychiatre parisien.

Pendant longtemps, à la différence des anglosaxons qui montraient l'existence d'idées suicidaires chez les jeunes mères, on ne posait même pas la question lors des études sur la dépression post-partum.

 

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