Paris, France — Face à un enfant qui s’endort en classe, qui somnole, qui a des difficultés à se concentrer, on pense : heure tardive du coucher, trop d’exposition aux écrans… Or, si ces causes sont courantes, il faut aussi penser à une éventuelle narcolepsie, interpelle une nouvelle campagne d’information lancée par le laboratoire Bioprojet et l’Association française de narcolepsie cataplexie et hypersomnies rares (ANC)*.
Maladie rare — elle touche 0,02-0,05 % de la population —, la narcolepsie débute généralement vers 15 ans, avec un second pic d’apparition vers 35 ans, tout en sachant que chez 10% à 15% des patients, elle commence avant l’âge de 10 ans.
Aussi, loin des clichés d’endormissements soudains ou de chutes spectaculaires, la narcolepsie est parfois plus difficile à diagnostiquer et les retards diagnostiques, de 10 ans en moyenne, selon le Protocole National de Diagnostic et de Soins (PNDS) narcolepsie, peuvent mener à des échecs scolaires et à des souffrances psychiques liées à des stigmatisations, en plus du poids de la maladie.
« La maladie touche 10 à 20 000 personnes en France et on en diagnostique qu’un tiers », s’inquiète le Pr Yves Dauvilliers (Hôpital Gui de Chauliac, Université de Montpellier, Inserm) qui insiste sur l’importance de sensibiliser aux différents symptômes de la maladie.
Ne pas confondre fatigue et somnolence
Le premier symptôme de la narcolepsie est la somnolence. « La narcolepsie, ce n’est pas que de la somnolence, c’est plein de signes mais la somnolence est le symptôme le plus sévère », explique le Pr Dauvilliers.
Aussi, « il ne faut pas confondre la somnolence et la fatigue », indique le Pr Dauvilliers avant d’ajouter « les adolescents sont souvent fatigués. Il faut mener un interrogatoire sur les habitudes de vie afin de ne pas passer à côté d’une narcolepsie. Mes patients atteints de narcolepsie qui viennent avec 8 ans de délai au diagnostic n’ont pas eu d’autre diagnostic avant, on leur a dit : « ce n’est rien, ça va passer, tu grandis, tu manques de magnésium, tu te couches trop tard, c’est à cause des écrans » ».
Or, contrairement à la fatigue, dans la narcolepsie, le sommeil survient en pleine activité. « Les patients ont parfois du mal à rester éveillés en parlant, en mangeant. Ce ne sont pas des gens qui vont s’endormir devant la télé », précise le neurologue.
La cataplexie peut être inexistante ou partielle
Si la somnolence n’est pas spécifique de la narcolepsie ; il existe de multiples causes de somnolence (dépression, obésité, écrans…), d’autres signes comme les cataplexies peuvent orienter vers le diagnostic.
Les cataplexies n’existent que dans la narcolepsie et touchent les deux tiers des formes pédiatriques. Il s’agit d’une perte de la force musculaire en lien avec une émotion qui peut toucher l’ensemble du corps.
Les cataplexies peuvent être partielles, il ne s’agit pas toujours de chutes brutales. Un relâchement des muscles du visage, pouvant entrainer une ouverture involontaire de la mâchoire accompagnée d’une protrusion inhabituelle de langue, souvent au cours d’un rire, doit faire penser à une cataplexie.
Prise de poids rapide, hallucinations…les autres signes qui doivent alerter
Outre la cataplexie, la narcolepsie peut être accompagnée d’autres symptômes, comme les hallucinations et une prise de poids rapide, qui doivent attirer l’attention.
Chez les patients narcoleptiques, le sommeil paradoxal survient dans la veille sans que le sujet s’endorme. « Les patients ne sont pas encore complètement endormis mais ils rêvent, ce qui engendre des hallucinations visuelles mais parfois aussi auditives. Ils n’arrivent pas à bouger. C’est souvent effrayant. Ils dorment mal la nuit, se réveillent fréquemment avec beaucoup d’activité onirique », décrit le spécialiste du sommeil.
Autre signe révélateur, dans un tiers des cas, dans l’année où surviennent la somnolence et éventuellement les cataplexies, les patients vont prendre rapidement du poids. Avec la somnolence, c’est l’une des manifestations remarquables chez l’enfant et l’adolescent. « On ne parle pas de 2 à 3 kilos, parfois, les patients prennent 10, 15, 20 kilos », indique le Pr Dauvilliers.
Aussi, quand la maladie survient très tôt, avant 8-9 ans, il peut y avoir une puberté précoce.
Se tourner vers un centre de référence
En présence de signes évocateurs d’une narcolepsie, plusieurs examens doivent être réalisés dans un centre de référence pour confirmer que le sommeil paradoxal arrive avant le sommeil lent et le sommeil profond contrairement à la population générale pour laquelle les sommeils lent et profond précèdent le sommeil paradoxal.
Il faut donc procéder à un enregistrement du sommeil la nuit (polysomnographie) et à un test itératif de latence d’endormissement (TILE). Ce test est réalisé en 5 séquences lors desquelles le patient est invité à s’allonger et à se laisser gagner par le sommeil. Si l’endormissement est rapide et que le sommeil paradoxal apparait de façon précoce (moins de 15 minutes), il s’agit d’une narcolepsie. Le TILE doit être réalisé après l’enregistrement d’une nuit de sommeil objectivant au moins 6 heures de sommeil.
En fonction du contexte, d’autres examens peuvent être réalisés comme le dosage de l’orexine (hypocrétine), qui permet d’obtenir un diagnostic de certitude, le typage HLA, voire une IRM cérébrale pour éliminer une lésion cérébrale hypothalamique.
L’analyse des biomarqueurs
Presque tous les patients narcoleptiques ont le typage HLA-DPB1 mais il existe aussi dans 20 % de la population générale donc ce n’est pas un test diagnostique. « Si on ne l’a pas, on n’est surement pas narcoleptique mais si on l’a, on a juste plus de chance de l’être », explique le Pr Dauvilliers.
Le deuxième marqueur est l’absence des neurones qui synthétisent l’hypocrétine ou orexine. Chez le patient narcoleptique, ces neurones sont reconnus comme du non-soi et sont détruits par le système immunitaire.
Par une ponction lombaire, un dosage de l’orexine/hypocrétine peut être réalisé. Lorsque le patient est narcoleptique avec cataplexie, ce taux est effondré (chez les patients narcoleptiques sans cataplexie, les taux d’orexine sont parfois peu ou pas abaissés).
Quels traitements ?
La prise en charge des jeunes patients narcoleptiques doit être personnalisée en fonction des symptômes et du handicap. L’objectif est d’avoir la vie la plus normale possible.
Pour cela, une prise en charge comportementale est préconisée avec des recommandations d’hygiène de vie (horaires de coucher réguliers, éviction des privations de sommeil, programmation de siestes, activité physique et alimentation adaptée). Un projet d’accueil personnalisé à l’école peut contribuer à mettre en œuvre de manière efficace ces stratégies comportementales.
Chez l’enfant, des médicaments ont l’AMM pour la somnolence et les cataplexies. Il s’agit du pitolisant et de l’oxybate de sodium, et la ritaline I.I.
D’autres sont souvent prescrits hors AMM comme la ritaline LP, le modafinil, la venlafaxine.
Enfin, l’aide psychosociale et le soutien des associations sont importants.
* en relation avec le Centre de référence des narcolepsies et hypersomnies rares de Montpellier une campagne d’information nationale
Le Pr Yves Dauvilliers a déclaré être consultant pour UCB SA, Bioprojet Pharma, Flamel Technologies, Jazz Pharmaceuticals et Theranexus.
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Citer cet article: Dormir en classe peut révéler une maladie sous-jacente - Medscape - 25 sept 2023.
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