L’embolie pulmonaire est la 2ème cause de décès chez les femmes enceintes: comment ne pas passer à côté ?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

21 septembre 2023

Milan, Italie — Au cours du congrès de la Société respiratoire européenne (ERS 2023), la Pre Cécile Tromeur (CHU de Brest) a rappelé la procédure à suivre en cas de suspicion d’embolie pulmonaire chez la femme enceinte. Deux algorithmes spécifiques (CTEP5 et ARTEMIS) ont été validés pour exclure l’embolie pulmonaire en s’appuyant sur le dosage des D-dimères, sans forcément recourir à l’imagerie [1].

La maladie veineuse thrombo-embolique (embolie pulmonaire et/ou thrombose veineuse profonde) touche une grossesse sur 1 000. Selon la dernière enquête sur les morts maternelles en France, elle représente la deuxième cause de décès chez les femmes enceintes. Dans 60% des cas, ces décès sont liés à une prise en charge non optimale.

Pour expliquer ces lacunes, la Pre Tromeur évoque les réticences des cliniciens à utiliser une imagerie potentiellement irradiante chez la femme enceinte « de peur de provoquer des malformation fœtales ». Des réticences qui peuvent amener « à exclure à tort le diagnostic d’embolie pulmonaire, sans avoir réalisé les examens nécessaires ».

Cette peur [de l’iamgerie] est infondée puisque le seuil à partir duquel apparaissent des malformations fœtales est de 100 mGy. Pre Cécile Tromeur

Crainte des radiations

« Cette peur est infondée puisque le seuil à partir duquel apparaissent des malformations fœtales est de 100 mGy. » Or, le niveau d’exposition du fœtus associé à l’imagerie thoracique est < 0,1 mGy. En revanche, il existe un risque de cancer lié aux radiations chez la mère (essentiellement leucémie, cancer de vessie et cancer du sein) en cas d’expositions répétées.

Un retard diagnostique peut aussi s’expliquer par la similitude entre les signes cliniques de la grossesse et ceux de l’embolie pulmonaire (dyspnée, œdème des membres inférieurs…), a ajouté la pneumologue, qui évoque « un véritable challenge pour le clinicien ».

Depuis 2018, deux nouveaux algorithmes diagnostiques ont été validés chez la femme enceinte en cas de suspicion d’embolie pulmonaire. Chacun s’appuie sur un dosage des D-dimères, mais avec des seuils distincts.

Le premier algorithme utilise un seuil des D-dimères à 0,5 µg/ mL. En cas de probabilité clinique faible, un taux de D-dimère inférieur à ce seuil permet d’exclure une embolie pulmonaire. Au-delà du seuil et en cas de probabilité clinique forte, une imagerie thoracique est à effectuer si l’examen par échodoppler veineux des membres inférieurs apparait normal.

Le protocole a été validé dans l’étude prospective CTEP 5 menée chez 395 femmes enceintes présentant des signes suspects (douleur thoracique, dyspnée, avec ou sans hémoptysie, tachycardie) [2].

Le taux de maladie veineuse thrombo-embolique (MVTE) diagnostiqué était de 7,1%. Aucune embolie pulmonaire n’a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi un diagnostic négatif et l’algorithme a permis d’exclure une embolie pulmonaire sans avoir recours à l’imagerie dans 12% des cas.

Un retard diagnostique peut aussi s’expliquer par la similitude entre les signes cliniques de la grossesse et ceux de l’embolie pulmonaire (dyspnée, œdème des membres inférieurs…

Trois critères à évaluer

Le deuxième algorithme s’appuie quant à lui sur trois critères : présence d’hémoptysie, présence de signes clinique de thrombose veineuse profonde et absence de diagnostic différentiel d’embolie pulmonaire. Le seuil des D-dimères est de 0,5 µg/ mL en présence d’un seul de ces critères ou de 1 µg/ mL en l’absence de critère.

En cas de seuil dépassé, un angioscanner thoracique s’impose. L'échodoppler veineux des membres inférieurs devait être réalisé uniquement en cas de signe cliniques de thrombose veineuse profonde.

La performance de cet algorithme a été évaluée dans l’essai ARTEMIS qui a inclus 498 femmes enceintes prises en charge pour une suspicion d’embolie pulmonaire. Le taux d’embolie est de 4%. Le diagnostic a été écarté chez 39% des femmes, sans recours à l’angioscanner. L’efficacité de l’algorithme apparait plus élevée lors du premier trimestre.

Si le deuxième algorithme apparait plus performant, le premier a l’avantage d’être proche de celui utilisé en population générale, a commenté la Pre Tromeur. En cas de discordance entre les deux algorithmes, la pneumologue recommande de « se fier à son sens clinique » et de solliciter ses confrères pour une décision partagée.

Dans les deux algorithmes, les performances de l'échodoppler veineux apparaissent très limitées. L’examen a permis de détecter seulement 1 à 9% des cas des thromboses veineuses profondes, majoritairement chez des patientes avec symptômes.

En conséquence, « il est recommandé d’utiliser cet examen essentiellement chez les patientes avec des symptômes de thrombose veineuse profonde », a indiqué la Pre Tromeur.

AVK et AOD contre-indiqués

Concernant l’imagerie thoracique, les performances de la scintigraphie pulmonaire et de l’angioscnanner sont identiques en termes de diagnostic. Si possible, la scintigraphie est à privilégier pour limiter l’exposition de la mère aux radiations, « même si le taux d’irradiation apparait plus élevé chez le fœtus » (< 0,1 mGy), par rapport à l’angioscanner (<0,01 mGy).

« Dans tous les cas, si la scintigraphie n’est pas disponible, un angioscaner doit être réalisé afin d’avoir la certitude que le diagnostic d’embolie pulmonaire peut être exclu », a insisté la pneumologue.

Dans tous les cas, si la scintigraphie n’est pas disponible, un angioscaner doit être réalisé afin d’avoir la certitude que le diagnostic d’embolie pulmonaire peut être exclu.

 

S’agissant du traitement de l’embolie pulmonaire, aucun essai randomisé n’a été mené dans cette population. Chez les femmes enceintes, le traitement anticoagulant recommandé en première intention est l'héparine de bas poids moléculaire (HBPM), sans risque pour le fœtus puisqu’elle ne passe par la barrière placentaire.

Les antivitamines K (AVK) et les anticoagulants oraux directs (AOD) sont en revanche contre indiqués en raison de leur capacité à passer la barrière placentaire et du risque de malformations fœtales associé.

Dans ses dernières recommandations, la Société de pneumologie de langue française (SPLF) préconise une anticoagulation courte (trois mois pendant une grossesse et six semaines lorsque l’embolie survient en post-partum), le taux de récidive étant faible après un événement survenu pendant la grossesse.

 

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