France– Une équipe de chercheurs français vient de publier des résultats inattendus sur le lien entre développement cognitif des jeunes enfants et exposition aux écrans [1].
Ils montrent que le temps d’exposition aux écrans n’est pas le seul facteur à prendre en compte pour évaluer le développement cognitif des enfants. Le contexte, notamment la télévision pendant les repas, joue un rôle plus important en particulier dans l’acquisition du langage.
Pour arriver à cette conclusion, les épidémiologistes ont travaillé sur la cohorte Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) qui a recruté 18329 enfants à leur naissance en 2011 et les suit régulièrement depuis.
Ils se sont penchés sur les données à 2 ans, 3, 5 ans et 5,5 ans, collectées entre 2013 et 2017. « On s’est intéressés au temps d’écrans, rapporté par les parents, pour 5 types d’écran : télévision, console de jeux vidéo, tablette, smartphone et ordinateur », précise le Dr Jonathan Bernard, chercheur en épidémiologie à l’Inserm et coauteur de l’étude.
Ce travail a été réalisé au Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (CRESS), sous la tutelle de l'Inserm, l'Université Paris Cité et l'Université Sorbonne Paris Nord, en lien avec l'unité Elfe à l'Ined.
« Notre étude montre une relation négative entre l'utilisation d'écrans et le développement cognitif, mais nous jugeons cet effet modeste, notamment lorsque nous prenons en compte tous les facteurs qui sont liés à l'environnement familial des enfants », souligne-t-il. « Ce sujet est souvent traité de manière assez binaire dans le grand public, mais le constat est en réalité plus nuancé », ajoute-t-il
« Le principal enseignement de ce travail, c'est que tous les domaines cognitifs ne seraient pas affectés de manière uniforme par l’exposition aux écrans. C'est surtout le développement du langage oral qui est le plus particulièrement touché ».
Par ailleurs, le contexte d’utilisation jouerait un rôle au moins aussi important que le temps d’écran passé par les enfants, notamment l’usage de la télévision lors des repas. « Quand on ne prend pas du tout en compte les facteurs sociaux et les activités des enfants, on voit clairement des corrélations négatives pour toutes les relations possibles testées. C’est un effet que nous appelons « super brut ». Maintenant, cette corrélation, est-elle causale ? Est ce qu'elle est due à d'autres facteurs ? C'est tout l'intérêt du traitement statistique », poursuit-il.
Dans un article publié en avril dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, son équipe décrivait qu’à 2 ans, la majorité des enfants passaient moins d’1h par jour devant un écran et 1,4 % plus de 4h quotidiennement. Ils observaient ensuite un « basculement vers la droite de la courbe, avec, à 5 ans, et demi, 42 % qui passaient moins d’une heure par jour et une grosse moitié qui y passaient plus d’une heure par jour, dont environ 3 % plus de 4h par jour », énumère-t-il.
Dans l’étude publiée cette semaine, les chercheurs se sont intéressés à l'utilisation des écrans pendant les repas, en particulier la télévision. « Nous avons posé une simple question : est-ce que la télévision est régulièrement allumée pendant les repas ? À 2 ans, oui ou non ? Et dans notre étude, on observe que c'est le cas pour 41% des familles ».
Pas de relation entre le l'usage d'écrans et un retard de développement cognitif
Ils ont ensuite mesuré le développement du langage expressif à 2 ans avec un questionnaire parental, le raisonnement non-verbal à 3 ans et demi et le développement général à 3 ans et demi et 5 ans et demi (social, autonomie, motricité, langage expressif, compréhension du langage, apprentissage des langues et des nombres).
Ils se sont aussi intéressés à des facteurs « tiers » comme le sexe, l’âge gestationnel, le mode de garde, le sommeil, le temps passé dehors, ou à jouer à des jeux sans écrans, ainsi qu’à à des facteurs sociaux : niveau d’études des parents, parents séparés ou non, temps de travail, revenus, etc.
Les résultats montrent que des corrélations négatives existent en « super brut », pour tous les paramètres testés mais que lorsque les facteurs familiaux sont pris en compte, il y a une diminution de la corrélation de 40 à 80 %.
« Et lorsqu'on prend en compte les activités tierces des enfants, il y a encore une petite réduction de 10 à 20 % de l'impact du temps d'écran sur le développement cognitif, ce qui nous mène au final à un effet qu'on estime causal et résiduel, qui est assez modeste, de l'ordre de 1,5 point de QI », explique le Dr Bernard.
« On n’observe presque rien en réalité, pas de relation entre le l'usage d'écrans et un retard de développement cognitif », résume-t-il. « En revanche, sur le langage, il y a des effets plus forts que sur les autres domaines du développement, en particulier lorsque la télévision est allumée pendant les repas.
Différence de 2 semaines dans l’acquisition du langage
Les chercheurs observent en effet une différence de 2 semaines (24 vs 24,5 mois) dans l’acquisition du langage à 2 ans chez les enfants qui regarde la télé pendant le repas et par rapport aux enfants qui ne la regardent pas. Cela correspond à la même différence qu’entre un enfant né à 37 semaines de grossesse et un enfant né à terme.
« Nous interprétons cela par le fait que c’est un moment d’échange verbal entre membres d’une famille. Pour un enfant de 2 ans, il peut acquérir de nouveaux mots, comprendre, répéter. Et la télévision allumée risque perturber les échanges dans les deux sens, car l’enfant comme ses parents sont focalisés sur la télé, qui en plus diffuse un bruit de fond gênant pour la conversation ».
Sur le plan clinique, une perte de 1,5 point de QI a un effet mineur, non significatif et l’enfant n’acquière pas une retard de développement.
« Mais attention, un effet clinique n’est pas un effet de santé publique », met en garde le chercheur.
« Si ce n’est pas grave pour un enfant donné d’être exposé aux écrans pendant les repas, cela peut être plus grave si c’est une population entière ». En comptant une génération avec 750 000 enfants, si 59 % ne regardent pas la télévision et 41 % la regardent, cela donnerait environ 309 000 enfants exposés aux écrans. « Si on fait une expérience hypothétique avec 0 % [de ces 309 000] enfants exposés, près de 8000 enfants franchiraient le seuil de 85 points de QI, considéré comme inférieur à la moyenne », indique-t-il.
Les limites de l’étude
Parmi les limites de l’étude, le chercheur note que pendant la période étudiée, 2013-2017, l’utilisation des tablettes et des smartphones était encore limitée, ce qui ne permet pas de connaître précisément l’impact de leur utilisation.
« De plus il y a peu de temps d’écrans très élevés, donc c’est difficile de conclure sur les cas excessifs. Enfin, c’est difficile pour des parents enquêtés de mesurer précisément le temps d’écran », note-t-il.
Notons également que cette étude n’a porté que sur le développement cognitif, n’ont pas été étudiés ici les éventuels problèmes comportementaux ou les problèmes de poids qui pourraient être associés à une utilisation excessive des écrans.
En revanche, les forces de l’étude Elfe sont qu’il s’agit d’une étude nationale avec un échantillon de très grande taille, et un grand nombre de facteurs. « Donc c’est l’étude la plus robuste publiée sur le sujet », estime-t-il.
Pour le Dr Bertrand, « au niveau des messages de prévention, on se focalise souvent sur le temps d’écran, mais ce n’est peut-être pas le discours qu’il faut avoir. Mieux vaut prendre en compte la façon dont les écrans prennent leur place dans le contexte familial », conclut-il.
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Citer cet article: Développement cognitif des enfants face aux écrans : des résultats inattendus - Medscape - 18 sept 2023.
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