Amsterdam, Pays-Bas — Les nouvelles recommandations sur la prise en charge des endocardites ont été présentées lors du Congrès de l’European Society of Cardiology (ESC) 2023 [1]. Changement majeur par rapport à la version précédente de 2015 : le document valide le passage d’une antibiothérapie intraveineuse à une antibiothérapie orale chez certains patients après stabilisation clinique, ce qui devrait nettement réduire le temps d’hospitalisation.
Ces nouvelles recommandations ont été publiées dans l’European Heart Journal [2]. Elles insistent notamment sur la nécessité de s’appuyer sur un centre de référence et sur des experts pour décider de la prise en charge, qu’importe le niveau de gravité, en particulier lorsque se pose la question de pratiquer un traitement chirurgical en urgence (Classe I).
L’endocardite infectieuse reste rare, mais elle peut avoir de graves conséquences. Dans la moitié des cas, l’intervention chirurgicale est nécessaire pour retirer les tissus infectés et réparer ou remplacer les valves cardiaques atteintes. La mortalité hospitalière est malgré tout élevée puisqu’elle demeure autour de 20 %, tandis que la mortalité à cinq ans peut atteindre 40 %.
Antibioprophylaxie et gestes bucco-dentaires invasifs
L’importance des mesures de prévention est à nouveau soulignée dans ces recommandations. Une bactériémie d’origine cutanée est à l’origine de 40 % des endocardites, dont une majorité liée à une infection par staphylocoque, tandis que l’origine bucco-dentaire (infection par streptocoque) représente un tiers des cas. Les mesures d’hygiène sont donc fondamentales, en particulier chez les individus les plus à risque.
Comme dans les précédentes recommandations, l’antibioprophylaxie reste restreinte aux patients à haut risque d’endocardite, uniquement lorsque des gestes bucco-dentaires invasifs sont programmés. Le niveau de cette recommandation est néanmoins renforcé (Classe IIa à Classe I).

Pr Bernard Iung
« L’antibioprophylaxie a été contestée il y a une dizaine d’années, mais elle se retrouve finalement renforcée dans ces nouvelles recommandations européennes après des résultats d’études observationnelles favorables à cette stratégie », a souligné auprès de Medscape édition française, le Pr Bernard Iung (hôpital Bichat-Claude Bernard, AP-HP, Paris), qui a supervisé la relecture du document par un groupe d’experts.
Les différentes recommandations nationales et internationales ont en effet amené à restreindre progressivement les indications de l’antibioprophylaxie pour se limiter finalement aux gestes buccodentaires invasifs. Les recommandations du NICE au Royaume-Uni sont allées plus loin en abandonnant en 2008 toute antibioprophylaxie, y compris chez les patients à haut risque d’endocardite.
Récemment, une large étude observationnelle américaine a pu confirmer le bénéfice de la prophylaxie pendant les soins bucco-dentaires chez les patients à haut risque d’endocardite, le risque de développer une endocardite étant alors nettement diminué lorsqu’une antibioprophylaxie est administrée avant l’intervention (détartrage, extraction dentaire, chirurgie…) [3].
La définition des patients à haut risque n’a pas évolué depuis les dernières recommandations. Il s’agit de patients avec :
un antécédent d’endocardite ;
une valve prothétique, incluant les valves implantées par voie percutanée (TAVI sur valve aortique ou TMVI sur valve mitrale) ;
une cardiopathie congénitale cyanogène ou traitée avec un matériel prothétique implanté chirurgicalement ou par voie percutanée, jusqu'à 6 mois après la procédure ou à vie s'il persiste un shunt ou une régurgitation valvulaire.
Importance des mesures d’hygiène
La prophylaxie consiste à administrer 30 à 60 minutes avant les soins dentaires de l’amoxicilline ou de l’ampicilline en une dose unique (2 g chez l’adulte, 50 mg/kg chez l’enfant) per os ou en intraveineuse. En cas d’allergie, il est recommandé d’opter pour la céphalexine, l’azithromycine, la clarithromycine, la doxycycline, la céfazoline ou la ceftriaxone. La clindamycine n’est plus indiquée en raison des effets indésirables associés.
Les recommandations insistent sur l’importance d’une hygiène buccodentaire et cutanée stricte, autant chez les patients à haut risque que chez les patients à risque intermédiaire (Classe I). Les patients sont notamment encouragés à être suivis régulièrement par un chirurgien-dentiste (au moins deux fois par an pour les sujets à haut risque). Les plaies doivent être systématiquement désinfectées et la pratique du piercing ou du tatouage est découragée.
Les patients à risque intermédiaire sont ceux qui présentent :
une valvulopathie, quelle que soit l’étiologie (rhumatismale, dégénérative…) ;
une valvulopathie congénitale (ex : valve bicuspide) ;
un dispositif électronique cardiaque implantable ;
une cardiomyopathie hypertrophique.
Nouveauté : l’antibioprophylaxie peut aussi être envisagée chez les patients à haut risque avant une procédure invasive à visée diagnostique ou thérapeutique dans la prise en charge d’une pathologie respiratoire, gastrointestinale, touchant le tractus génito-urinaire ou le système musculosquelettique (Classe IIb).
Quelques légers changements également avec l’antibioprophylaxie recommandée en périopératoire lors d’une chirurgie cardiaque ou vasculaire en prévention d’une infection locale et systémique. Son intérêt est notamment confirmé avant implantation d’une prothèse valvulaire (par voie chirurgicale ou percutanée), d’un matériel intravasculaire ou autre matériel étranger (Classe IIa à Classe I).
Une décolonisation systématique au niveau cutané et nasal n’est pas recommandée sans dépistage préopératoire d’un portage nasal de Staphylococcus aureus (Classe III).
Nouveaux algorithmes de diagnostic
En ce qui concerne le diagnostic, l’échocardiographie et les hémocultures restent fondamentaux.
À la moindre suspicion d’endocardite, une échographie transthoracique (ETT) doit être réalisée rapidement (Classe I), puis complétée par une échographie transoesophagienne (ETO) lorsque le résultat de l’ETT est négatif, si la suspicion clinique est forte (Classe I). L’ETO est aussi recommandée d’emblée en cas de suspicion d’endocardite sur prothèse ou dispositif implantable (Classe I).
« L’ETO apporte des indications complémentaires sur les végétations, les lésions valvulaires et perivalvulaires, qui sont importantes pour le diagnostic, mais aussi dans la stratification du risque et la prise en charge de l’endocardite », a commenté la Dre Nina Ajmone Marsan (Leiden University Médical Cener, Leiden, Pays-Bas), qui a participé à l’élaboration des recommandations, au cours de sa présentation à l’ESC 2023.
Dans les dernières recommandations françaises sur la prise en charge des infections liées à la pose d’un pacemaker ou défibrillateur, les experts avaient également mis en avant l’intérêt de l’ETO, en soulignant la nécessité de recourir à cet outil de manière systématique en cas de suspicion d’infection, qu’importe le résultat de l’hémoculture.
L’imagerie multimodale prend également une place croissante dans ces nouvelles recommandations européennes avec une utilisation renforcée du scanner cardiaque et surtout de la tomographie par émission de positions (TEP-scanner), qui permet de mesurer en trois dimensions l’activité moléculaire ou organique d’un organe.
Intérêt accru pour le TEP-scan
« Le TEP-scan avait été introduit dans le document de 2015, mais les recommandations ont désormais un grade plus important dans le diagnostic de l’endocardite, en particulier en cas d’échographie non contributive chez les porteurs de prothèse, mais aussi dans les valvulopathies natives pour documenter les localisations extra-cardiaques », a indiqué le Pr Iung.
« Cette évolution est liée à la publication d’études, qui ont apporté des précisions sur la sensibilité et la spécificité du TEP-scan. On a eu confirmation de la très bonne performance diagnostique du TEP-scan dans l’endocardite sur prothèse. » Par ailleurs, si une endocardite sur valve native est suspectée, « l‘examen apporte des critères supplémentaires, en particulier sur l’imagerie extra-cardiaque » en cas de doute avec l’imagerie classique.
Les indications de l’imagerie multimodale et en particulier de l’imagerie nucléaire se retrouvent donc élargies dans cette actualisation. De nouveaux algorithmes de diagnostic présentent les différentes imageries à utiliser selon le type d’endocardite suspectée (sur valve native, prothèse ou matériel de stimulation).
En ce qui concerne le diagnostic microbiologique, pas de changement majeur. L’hémoculture doit être pratiquée avant la mise sous antibiotiques (Classe I). Une hémoculture négative est suivie d’une sérologie pour rechercher une éventuelle réaction immunitaire contre des micro-organismes difficiles à cultiver en laboratoire.
Le traitement de l’endocardite repose sur l’antibiothérapie prolongée par voie intraveineuse. « Le document apporte des modalités précises dans le choix de l’antibiothérapie, en fonction du micro-organisme impliqué et du type d’endocardite », souligne le Pr Iung.
La durée du traitement est notamment plus long en cas d’endocardite infectieuse sur prothèse valvulaire (au moins six semaines) qu’en cas d’endocardite sur valve native (deux à six semaines).
Validation du relais vers l’antibiothérapie orale
Un changement majeur apparaît toutefois avec la possibilité de passer à une antibiothérapie orale après au moins dix jours sous antibiothérapie en intraveineuse (ou sept jours après une chirurgie cardiaque) chez les patients dont l’état est stabilisé et en l’absence de complications à l’échographie transoesophagienne (Classe IIa).
Cette nouvelle recommandation s’appuie sur les résultats de l’étude randomisée POET, qui a évalué le passage aux antibiotiques oraux chez des patients hospitalisés pour une endocardite et stabilisés après dix jours d’antibiothérapie intraveineuse [4].
L’étude a montré que les patients passés à l’antibiothérapie orale ne sont restés que trois jours à l’hôpital, après la randomisation, contre 19 jours pour les patients maintenus sous traitement par intraveineuse, soit deux semaines d’hospitalisation en moins.
Après six mois de suivi, le critère primaire associant mortalité toutes causes, chirurgies cardiaques non planifiées, événements emboliques et récidives d’infection a été observé chez 12,1 % des patients sous traitement en intraveineuse, contre 9 % chez ceux passés aux antibiotiques oraux, ce qui a attesté de la non-infériorité de la stratégie.
Récemment, les résultats à cinq ans ont conclu à sa supériorité, en rapportant respectivement 45,2 % et 32,8 % pour le même critère primaire après un suivi médian de 5,4 ans [5].
« Le relais vers une antibiothérapie orale est possible chez des patients sélectionnés, notamment selon le micro-organisme impliqué – essentiellement des cocci à Gram positif –, sous réserve que l’endocardite ne soit pas compliquée », a précisé le Pr Iung. La présence d’une régurgitation sévère ou d’un abcès périvasculaire est une contre-indication.
« Cette innovation va avoir un impact dans la prise en charge de l’endocardite puisque la durée d’hospitalisation va être considérablement réduite. » Cette nouvelle stratégie implique toutefois un suivi rigoureux des patients après la sortie d’hôpital.
Actuellement menée en France, l’étude randomisée RODEO (Relais Oral Dans le traitement des Endocardites à staphylocoques ou streptOcoques multisensibles) pourrait conduire à renforcer cette approche, espère le cardiologue.
Chirurgie : nouvelle définition du traitement en urgence
Les recommandations apportent également des précisions sur le traitement chirurgical, qui concerne un patient sur deux pendant la phase aiguë de l’infection.
L’intervention chirurgicale, qui vise à éliminer les tissus pathologiques et à restaurer la fonction valvulaire, reste recommandée dans les situations suivantes:
insuffisance cardiaque ;
infection non contrôlée locale (abcès périvalvulaire) ou systémique ; (hémoculture positive après une semaine de traitement par antibiotique) ;
végétation volumineuse (≥ 10 mm) et antécédent d’embolie pour prévenir l’embolisation.
Si elle s’avère nécessaire, « l’intervention en prévention du risque thromboembolique doit se faire précocement, pendant la première semaine de traitement, le risque thromboembolique étant particulièrement élevé pendant cette période », a indiqué le Pr Iung.
L’intervention est désormais à envisager en urgence en cas de végétation ≥10 mm, même sans dysfonction valvulaire ou embolie préalable (Classe IIb). Dans tous les cas, elle doit être discutée en tenant compte du risque associé à la chirurgie, « qui peut s’avérer très complexe » (Classe I).
Ces recommandations donnent une nouvelle définition de l’intervention d’urgence qui doit être pratiquée dans les trois à cinq jours.
Enfin, les recommandations insistent sur la nécessité du suivi régulier de ces patients, « qui sont à haut risque de complications » et notamment de récidive d’endocardite. Il convient notamment de s’assurer qu’ils appliquent bien les mesures de prévention (désinfection systématique des plaies, hygiène bucco-dentaire stricte, suivi régulier par un chirurgien dentaire…).
Une récente étude menée à l’hôpital de Bichat chez des patients hospitalisés pour une endocardite a montré un manque de rigueur sur ce point, a indiqué le Pr Iung, qui a participé à ces travaux [6]. « Si les mesures de prophylaxie de l’endocardite sont bien connues des patients, elles sont souvent insuffisamment appliquées ».
Le Pr Bernard Iung a déclaré ne pas avoir de liens d’intérêt.
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Crédit de Une : BSIP
Image texte : DR
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Citer cet article: Nouvelles recos ESC sur la prise en charge des endocardites : validation du relais vers l'antibiothérapie orale - Medscape - 12 sept 2023.
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