France – Après avoir montré en 2019 qu'une augmentation de 10 % de la part des aliments ultratransformés dans l'alimentation est associée à une augmentation de 14 % de la mortalité, une nouvelle étude issue des données de la cohorte NutriNet-Santé trouve une association entre les apports alimentaires d’additifs émulsifiants et un risque accru de maladies cardiovasculaires. Ces résultats font l’objet d’une publication dans le British Medical Journal [1] .
Augmenter le risque d'inflammation et perturber le microbiote
Certaines recherches récentes suggèrent que les émulsifiants peuvent perturber le microbiote intestinal et augmenter le risque d'inflammation, entraînant une susceptibilité potentiellement accrue aux problèmes cardiovasculaires [2,3,4]. Pour s’en assurer, des chercheuses et chercheurs de l’Inserm, d’INRAE, de l’Université Sorbonne Paris Nord, d’Université Paris Cité et du Cnam, au sein de l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren-Cress) ont entrepris d'évaluer les liens entre l'exposition aux émulsifiants et le risque de maladies cardiovasculaires, incluant les maladies coronariennes et les maladies cérébrovasculaires.
Qu’appelle-t-on émulsifiants ?
Les émulsifiants figurent parmi les additifs les plus couramment utilisés dans les aliments industriels. Ils sont souvent ajoutés aux aliments transformés et emballés tels que certaines pâtisseries, gâteaux et desserts industriels, glaces, barres chocolatées, pains industriels, margarines et plats préparés, afin d'améliorer leur apparence, leur goût, leur texture et leur durée de conservation. Ils comprennent les celluloses, les mono- et diglycérides d'acides gras, les amidons modifiés, les lécithines, les carraghénanes, les phosphates, les gommes et les pectines. Les émulsifiants alimentaires sont identifiés dans la liste des ingrédients par un code fixé au niveau européen qui se compose de la lettre « E », suivie d'un numéro permettant d'identifier facilement la catégorie : E400 pour les émulsifiants et agents de texture.
Au total, 95 442 adultes français (âge moyen 43 ans ; 79% de femmes) sans antécédents de maladie cardiovasculaire qui ont participé volontairement à l'étude de cohorte NutriNet-Santé entre 2009 et 2021.
Au cours des deux premières années de suivi, les participants ont rempli en ligne au moins trois (et jusqu'à 21) jours d’enregistrements alimentaires. Chaque aliment ou boisson consommé a ensuite été croisé avec des bases de données afin d'identifier la présence et la dose des additifs alimentaires, dont les émulsifiants. Des dosages en laboratoire ont également été effectués pour fournir des données quantitatives.
Les participants ont été invités à signaler tout événement cardiovasculaire majeur, tel qu'une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral, qui ont été validés par un comité d'experts après examen de leurs dossiers médicaux. Les décès liés aux maladies cardiovasculaires ont également été enregistrés à l'aide du registre national français des décès.
Un suivi moyen de 7 ans
Après un suivi moyen de 7 ans, les scientifiques ont constaté que des apports plus élevés en celluloses totales (additifs alimentaires correspondant aux codes E460[1] à E468) étaient associés à des risques plus élevés de maladies cardiovasculaires. En particulier, cette association était spécifiquement observée pour les apports en E460 (cellulose microcristalline, cellulose en poudre) et E466 (carboxyméthylcellulose).
L'âge, le sexe, le poids (IMC), le niveau d'éducation, les antécédents familiaux, le tabagisme et les niveaux d'activité physique, ainsi que la qualité globale de l'alimentation (par exemple, les apports en sucre, en sel, en énergie et en alcool) – facteurs de risque connus des maladies cardiaques – ont été pris en compte, précisent Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm, et Bernard Srour, professeur junior à INRAE, principaux auteurs de l’étude [5].
D’autre part, des apports plus élevés en monoglycérides et diglycérides d'acides gras (E471 et E472) ont été associés à des risques plus élevés pour toutes les pathologies étudiées. Parmi ces émulsifiants, l'ester lactique des monoglycérides et diglycérides d'acides gras (E472b) était associé à des risques plus élevés de maladies cardiovasculaires et de maladies cérébrovasculaires, et l'ester citrique des monoglycérides et diglycérides d'acides gras (E472c) était associé à des risques plus élevés de maladies cardiovasculaires et de maladies coronariennes.
Une consommation élevée de phosphate trisodique (E339) était également associée à un risque accru de maladies coronariennes.
Aucune association n’a été détectée dans cette étude entre les autres émulsifiants et la survenue de maladies cardiovasculaires.
Des résultats à reproduire pour confirmer le lien de causalité
Il s'agit d'une unique étude observationnelle, qui ne peut donc pas établir de causalité à elle seule, reconnaissent les chercheurs qui notent également certaines limites à cette étude. Par exemple, la proportion élevée de femmes, le niveau d'éducation plus élevé et les comportements globalement plus soucieux de la santé parmi les participants à l'étude NutriNet-Santé par rapport à la population française en général peuvent limiter la généralisation des résultats.
« Néanmoins, l'échantillon de l'étude était important et les auteurs ont pu tenir compte d'un large éventail de facteurs potentiellement confondants, tout en utilisant des données détaillées et uniques sur les additifs alimentaires, allant jusqu’à la marque des produits consommés. De plus, les résultats sont restés inchangés après de multiples analyses de sensibilité, renforçant ainsi leur robustesse », précise un communiqué de presse Inserm [5].
« Ces résultats doivent être reproduits dans d'autres études épidémiologiques de cohorte à travers le monde et les mécanismes élucidés par une approche expérimentale. En dépit de l’importance modérée des associations trouvées, ces résultats sont susceptibles d’avoir des répercussions importantes en termes de santé publique étant donné que ces additifs sont utilisés de façon ubiquitaire dans des milliers de produits ultra-transformés très consommés. Ils apportent de nouvelles connaissances clés au débat sur la réévaluation de la réglementation relative à l'utilisation des additifs dans l'industrie alimentaire, afin de mieux protéger les consommateurs », concluent les chercheurs [1].
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Citer cet article: Emulsifiants alimentaires : selon l’étude NutriNet-Santé, ils pourraient augmenter le risque de maladies cardiovasculaires - Medscape - 11 sept 2023.
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