Paris, France – Les tests sanguins pour détecter précocement une grande variété de cancers – multi-cancer early detection tests ou MCED tests – font l’objet d’un développement intensif. Quelles techniques exploitent-ils ? Quelles sont leurs promesses ? La Dre Suzette Delaloge, oncologue médicale spécialiste du cancer du sein et directrice du programme de prévention personnalisée des cancers (Interception) de l’Institut Gustave Roussy (Villejuif) fait le point sur ces « biopsies liquides », avec une certaine prudence quant à leur potentielle commercialisation, vis-à-vis notamment de l’organisation des soins.

Dre Suzette Delaloge
Mescape édition française : Quels sont les principes généraux de ces différents tests permettant la détection précoce de plusieurs cancers (MCED) ?
Dre Suzette Delaloge : En dépit de leurs spécificités, l’idée générale est de détecter dans les fluides corporels (sang, urine, salive, etc.), certains indices de la présence d’un cancer, par exemple des molécules relarguées par les cellules cancéreuses (cytokines, protéines de l’inflammation, leptine, etc.) ou des particularités de l’ADN tumoral. Dans le sang, ces molécules se retrouvent dans le plasma ou le sérum. Dans l’urine, il s’agit plutôt de détecter les cancers du rein, de la vessie et des voies urinaires.
A quelle échéance ces MCED tests pourraient-ils arriver en routine ?
Dre Suzette Delaloge : Ils sont apparus il y a une dizaine d’années. Leur développement s’est intensifié ces dernières années. Nombreux sont les laboratoires de recherche publics et privés qui mettent au point différents tests de détection précoce des cancers.
Certains développements sont en train d’aboutir, pour une utilisation concrète et au quotidien d’ici 5 à 10 ans. Pour les plus avancés, le matériel biologique principal recherché et analysé est l’ADN des cellules tumorales. Nous avons tous dans notre plasma des fragments d’ADN des cellules mortes (apoptose), mais les cellules cancéreuses en relarguent encore plus que les autres et surtout, leur ADN possède des particularités. L’idée est de mettre au point des tests qui détectent ces particularités.
Les biopsies liquides basées sur des biomarqueurs génomiques pourraient rendre le MCED réaliste, en particulier pour les cancers pour lesquels il n’existe pas de dépistage standard, mais les limites incluent à ce stade des recherches une faible sensibilité pour la détection des cancers de stade I dans les études de validation, et un risque élevé de surdiagnostics.
Sur quelles particularités se fondent les approches les plus avancées ?
Dre Suzette Delaloge : Elles se basent sur l’analyse de la méthylation de l’ADN (processus biologique par lequel des groupes méthyle CH3 sont ajoutés à la molécule d’ADN, et qui conditionne l’expression des gènes). Ce phénomène diffère selon que la cellule est cancéreuse ou non. Parmi les tests en développement qui exploitent cette spécificité, le test Galleri® est le plus avancé.
Une étude préalable du National Health Service (NHS) britannique « SIMPLIFY » publiée en juin 2023 [1] par les chercheurs de l’Université d’Oxford a été conduite chez des personnes consultant dans un centre de santé pour un symptôme (cf. encadré). Elle fournit des résultats prometteurs dans une situation « diagnostique » (il ne s’agit pas du tout ici de dépistage). Une grande étude anglaise randomisée la « NHS-Galleri » est en cours, conduite cette fois-ci en population générale, afin d’évaluer l’intérêt potentiel du même test en dépistage chez 140 000 personnes de 50 à 77 ans.
Dans l’étude SYMPLIFY [1], chez des patients symptomatiques consultant en centre de santé, le test MCED Galleri® avait une valeur prédictive positive de 75,5 %, une valeur prédictive négative de 97,6 %, une sensibilité de 66,3 % et une spécificité de 98,4 %. La sensibilité augmentait avec l’âge et le stade du cancer, de 24,2 % au stade I à 95,3 % au stade IV. Concernant les cas pour lesquels un signal de cancer a été détecté chez des patients atteints de cancer, la prédiction du site d’origine par le test MCED était précise dans 85,2 % des cas.
Cette évaluation prospective à grande échelle d’un test de diagnostic MCED confirme sa faisabilité dans une population symptomatique, mais il n’est pas encore suffisamment précis pour "confirmer ou exclure la présence d’un cancer". Selon les auteurs, « dans les cas pour lesquels le test MCED détecte un signal de cancer dans ce contexte, la probabilité d’un diagnostic de cancer est considérablement augmentée et peut identifier des cancers sur des sites autres que ceux suspectés lors de la référence initiale, réduisant ainsi les retards de diagnostic. » Un test négatif attribue une probabilité plus faible de cancer, mais pas encore suffisamment faible pour éviter la nécessité d’une enquête. Des travaux supplémentaires sont donc nécessaires pour optimiser la valeur prédictive négative.
Tous les types de cancers sont-ils concernés ?
Dre Suzette Delaloge : Le test Galleri® repose sur un profilage complet de la méthylation de l’ADN. Cela permet un diagnostic précoce de la présence d’un cancer, avant même que celui-ci ne soit visible à l’imagerie. Le problème de ces tests est qu’ils ne sont pas très bons pour diagnostiquer précocement les cancers les plus fréquents (sein, colorectal, col de l’utérus…) pour lesquels on dispose déjà de moyens plus performants (test immunologique du cancer colorectal, mammographie, HPV…).
Ces tests sanguins ne seraient donc pas voués à remplacer les dépistages habituels mais à dépister, au sein de la population asymptomatique ou présentant des signes aspécifiques, les cancers pour lesquels on a peu voire aucun moyen dépistage, et qui sont en augmentation, comme les cancers profonds et de diagnostic tardif (pancréas, voies biliaires, ovaire, œsophage, poumon, estomac…).
Les résultats des études publiées sont prometteuses mais d’autres sont en cours afin d’affirmer l’intérêt de ces tests de détection multi-cancers. L’enjeu est d’identifier les cancers à un stade précoce, un stade où il sera plus facile de les guérir et de les contrôler, avec des traitements moins lourds pour les patients et moins de séquelles, mais pas au prix d’une augmentation massive des surdiagnostics comme on a pu avoir avec le taux de PSA dans le cancer de la prostate il y a quelques années !
Quelle serait la cible de ces tests MCED ?
Dre Suzette Delaloge : Nous devons être attentifs au risque de développement « marketing » des MCED tests. Pour l’instant, ils sont majoritairement (le test Galleri®, notamment) développés en population générale pour dépister des cancers qui ne pourraient l’être d’une autre manière, mais aussi parce que c’est la situation la plus intéressante économiquement... Les concepteurs souhaitent se positionner en population générale, peu importe s’il faut tester pour cela des centaines de personnes pour en trouver une qui bénéficiera du test. Par ailleurs, développer des tests de manière isolée, sans les insérer dans des parcours de soins ad hoc n’est pas réaliste. Il est probable que certains de ces tests vont arriver sur le marché dans les 10 ans, mais les systèmes de santé ne sont pas du tout organisés pour les recevoir.
Une publication encore plus récente, de fin juillet 2023, est plutôt enthousiasmante vis-à-vis de la détection précoce du cancer du poumon en réalisant un séquençage de l’ADN circulant [] 2 ] . Qu’en pensez-vous ?
D’abord dépassée par les autres technologies pour les approches « MCED », la technique du séquençage ADN (afin de repérer les mutations somatiques) semble revenir dans la compétition avec ce travail de nouvelle génération. Les auteurs publient des résultats très intéressants, en particulier pour les tumeurs du poumon de stade 1 avec une très bonne sensibilité de 75 % [3]. [Un modèle d’apprentissage automatique utilisant des profils mutationnels à l’échelle du génome, combinés à d’autres caractéristiques et suivis par une tomodensitométrie, a détecté plus de 90 % des patients atteints de cancer du poumon, y compris ceux atteints de stades I et II, ndlr].
Ce travail illustre la difficulté d’être performant vis-à-vis d’un grand nombre de cancers. Ici, les bons résultats concernent essentiellement le cancer du poumon. Nous devons être vigilants, chercheurs comme autorités de santé à ce que les MCED tests fassent leur preuves en termes de sensibilité et de spécificité, de réponse à un besoin médical et d’impact sur la mortalité spécifique. Il ne faut pas que cet engouement pour les MCED multicancers bride le développement de technologies « mono-cancer » éventuellement bien meilleures pour détecter certains cancers en particulier. Cette récente publication [3]est intéressante à cet égard car ce test de séquençage semble être particulièrement bon pour détecter le cancer du poumon.
Une autre approche utilisée dans les MCED tests s’appuie sur l’analyse de la taille des fragments d’ADN dans le sang. Pouvez-vous la détailler ?
Dre Suzette Delaloge : Lorsqu’il n’y a pas de cancer, la taille des fragments d’ADN des cellules est bien plus homogène. Là aussi, l’intérêt des MCED basés sur cette technique réside dans la détection très tôt de cancers moins courants que ceux pour lesquels on dispose déjà de bons moyens de dépistage.
D’autres approches, encore au stade expérimental, détectent certaines protéines, certaines molécules de l’inflammation, de l’ARN... Mais pour de nombreux chercheurs, l’avenir sera de coupler les tests fondés sur l’ADN circulant dans le sang avec la détection de molécules spécifiques de la présence d’un cancer, afin d’obtenir des tests de dépistage précoce encore plus performants voire permettant de cibler un traitement précoce.
Le simple test à partir d’une prise de sang qui permettrait de dépister précocement tous les cancers et remplacerait tous les moyens de dépistage actuel n’est donc pas encore pour demain, même si c’est potentiellement envisageable dans les années à venir. En parallèle, une question importante concerne l’intérêt des dépistages du cancer en population générale versus dans une population plus ciblée, à risque spécifique. Cette dernière option se développe mais nécessite un parcours de dépistage individualisé, se fondant à la fois sur les tests sanguins et les moyens de dépistage actuels (imagerie…), à bon escient en fonction du profil de risque de cancer de chacun (âge, antécédents personnels et familiaux, prédisposition génétique, etc.). »
Selon une modélisation récente [4], ces tests multi-cancers pourraient théoriquement éviter a minima 2000 décès par cancer pour 100 000 personnes de 50 à 79 ans dépistées par an ( -17 % de décès par cancer en moins par an).
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Citer cet article: Quel avenir pour les tests de détection précoce multicancers ? - Medscape - 20 sept 2023.
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