Embolie pulmonaire aiguë : faut-il traiter par cathéter ?

Aude Lecrubier

27 août 2023

Amsterdam, Pays-Bas—Est-il temps de traiter l’embolie pulmonaire aiguë par cathéter comme c’est le cas pour le STEMI aigu? Lors d’un grand débat organisé au Congrès de l’European Society of Cardiology (ESC ) 2023[] 1] sur ce thème, le Dr Ingo Ahrens (Allemagne) a détaillé les arguments « pour » alors que le Dr Olivier Sanchez (HEGP, Paris, France) a listé les éléments en défaveur de l’utilisation de la technique.

Les dernières recommandations de l’ESC sur l’embolie pulmonaire datent de 2019 et indiquent « qu’un traitement percutané guidé par cathéter devrait être considéré chez les patients diagnostiqués avec une embolie pulmonaire à haut risque lorsque la thrombolyse est contre-indiquée ou a échoué ».

Quatre ans plus tard, serait-il temps de changer les pratiques ?

Dr Ingo Ahrens

D’une façon générale, des questions se posent sur la prise en charge optimale des patients souffrant d’EP aiguë mais sur celle de certains patients à risque intermédiaire-élevé dont l’état peut se détériorer rapidement (développement d’un choc cardiogénique dans les 48h) et qui pourraient peut-être bénéficier de traitements plus agressifs que l’anticoagulation, a expliqué le Dr Ahrens.

Pour le Dr Ahrens, « il existe une fenêtre d’intervention dans l’EP aiguë, certes moins évidente que pour le STEMI, mais qui devait être définie pour mettre en place le traitement le plus adapté tel que discuté en réunion multidisciplinaire (équipe de réponse à l'embolie pulmonaire, PERTS) » et éviter un choc cardiogénique associé à un taux élevé de mortalité.

« L’embolie pulmonaire aiguë doit être considérée comme un STEMI avec une prise en charge qui ne peut pas être différée au lendemain ou après le week-end », insiste-il.

Il existe une fenêtre d’intervention dans l’EP aiguë, certes moins évidente que pour le STEMI, mais qui devait être définie pour mettre en place le traitement le plus adapté Dr Ahrens

Pourquoi chercher une alternative à la thrombolyse ?

En cas d'instabilité hémodynamique, un traitement thrombolytique systémique est recommandé qui permet de restaurer rapidement le débit sanguin pulmonaire.

Cependant, seule une minorité des patients reçoit une thrombolyse systémique en raison de comorbidités et du risque d’hémorragies majeures secondaires. Alors que la population européenne est vieillissante, le risque de saignements sévères est particulièrement important chez les patients les plus âgés (>75 ans), a rappelé le Dr Ahrens.

Le Dr Sanchez a toutefois souligné que le traitement par l'altéplase (activateur tissulaire du plasminogène [tPA]) n’était pas associé à un risque accru de saignements.

Reste que parmi les patients qui reçoivent une thrombolyse systémique, 8 % ne répondent pas au traitement rapidement (souvent en raison de thrombus chroniques). L'embolectomie pulmonaire chirurgicale est alors un traitement de reperfusion alternatif, mais n'est pas toujours disponible.

Le Dr Ahrens a donc listé les alternatives qui utilisent la pose d’un cathéter dans les artères pulmonaires pour la destruction et/ou la lyse des caillots. Il existe deux principales techniques de thérapie de l'embolie pulmonaire dirigée par cathéter. L’une est la thérapie thrombolytique par cathéter qui permet d’administrer 10 à 20 % de la dose de thrombolyse systémique directement dans le thrombus dans les poumons, ce qui réduit potentiellement les risques d'effets secondaires hémorragiques. L’autre est l’embolectomie (aspiration…).

Thérapie guidée par cathéter : des données insuffisantes

Plusieurs petites séries de cas rétrospectives, des registres prospectifs de patients et 4 essais randomisés avec un faible nombre de patients suggèrent des bénéfices potentiels des traitements par cathéter mais sur des critères intermédiaires (rapport ventricule droit/ventricule gauche (VD/VG) ou la charge thrombotique qui ont une utilité clinique limitée), a déploré le Dr Sanchez qui appelle à réaliser des essais randomisés sur des critères cliniques durs.

Dr Olivier Sanchez

Concernant la sécurité de ces traitements, les taux de saignements varient fortement en fonction des études, de 0% à 10 % bien que les saignements intracrâniens soient très faibles dans toutes les études.

Mais, les principaux freins à l’utilisation de la thérapie guidée par cathéter, outre l’absence d’études solides, sont liés à la nature même des dispositifs, selon l’orateur.

« Ils utilisent des câbles et des cathéters et peuvent provoquer des décompensations hémodynamiques, des perforations cardiaques, des arythmies, des insuffisances respiratoires aigües ou des saignements liés à la thrombolyse dans le cas de la thrombolyse guidée par cathéter », a souligné le Dr Sanchez qui précise que la thrombectomie par aspiration utilise des cathéters plus larges qui peuvent notamment augmenter la fréquence des traumatismes au niveau des artères pulmonaires et du cœur.

A noter : la thrombectomie rhéolytique (Angiojet) a été associée à une hypotension induite par bradyarythmie à l’origine de collapsus hémodynamiques et de décès. La FDA a donc recommandé de ne pas l’utiliser dans l’embolie pulmonaire.

La thrombolyse reste le gold standard

En pratique, comparant les deux approches, le Dr Sanchez a rappelé que la thrombolyse systémique était largement disponible 24/24 et 7/7, qu’elle était facile à prescrire (IV) à un coût acceptable. En revanche, il a souligné que la thérapie guidée par cathéter n’était disponible que dans des centres spécialisés, qu’elle nécessitait une expertise et un entrainement et qu’elle était très couteuse.

En conclusion, les deux orateurs se sont accordés sur le fait que la thrombolyse reste le traitement de première intention en absence de contre-indication chez les patients à haut risque et chez les patients à risque intermédiaire-élevé qui se détériorent.

Ils encouragent la mise en place d’équipes spécialisées dans l'embolie pulmonaire pour faciliter les discussions multidisciplinaires afin de décider du traitement à suivre pour chaque cas. Le recours à la thérapie guidée par cathéter doit, à ce stade, être envisagée après discussion multidisciplinaire chez les patients à haut risque ou à risque élevé-intermédiaire qui se détériorent ou qui ont des contre-indications à la thrombolyse systémique.

« Mais, à l’avenir il faudra que des essais contrôlés randomisés comparent les deux approches, la thrombolyse systémique et les thérapies guidées par cathéter », a commenté le Dr Sanchez pour Medscape édition française.

A l’avenir il faudra que des essais contrôlés randomisés comparent les deux approches, la thrombolyse systémique et les thérapies guidées par cathéter  Dr Sanchez

 

Quid des patients à risque intermédiaire-élevé ?

« La place des traitements de reperfusion que ce soit la thrombolyse systémique ou la thérapie guidée par cathéter chez les patients avec un risque intermédiaire-élevé doit être précisée par la conduite d’essais randomisés contrôlés suffisamment puissants pour mettre en évidence des différences cliniques », a commenté le Dr Sanchez

Deux essais en cours, PEITHO-3 et Hi-PEITHO devraient apporter des réponses à ces questions.

L'essai randomisé HI-PEITHO a pour objectif d’évaluer le rôle de la thrombolyse par cathéter EKOS (perfusion d'alteplase pendant sept heures à raison de 1 mg/h/cathéter après un bolus de 2 mg) par rapport à l'héparinisation systémique chez les personnes présentant une EP à risque intermédiaire ou élevé. Contrairement à ULTIMA (Kucher 2014), HI-PEITHO a la puissance nécessaire pour examiner les critères cliniques primaires objectifs (décès, EP récurrente et décompensation hémodynamique à sept jours). HI-PEITHO devrait s'achever en décembre 2024.

L’essai PEITHO-3 devrait permettre d’étudier l'efficacité et la sécurité d'une dose réduite de traitement thrombolytique administrée en plus de l'héparine de bas poids moléculaire chez des patients présentant une embolie pulmonaire aiguë à risque intermédiaire-élevé. La moitié des participants recevra un traitement thrombolytique, tandis que l'autre moitié recevra un placebo.

« On veut démontrer la réduction de la mortalité globale, de la survenue d’un état de choc et de la récidive d’EP mais aussi avoir une idée des complications hémorragiques », a commenté le Dr Sanchez pour Medscape édition française.

 

Le Dr Ingo Ahrens n’a déclaré aucun lien d’intérêt.

Le Dr Olivier Sanchez a déclaré les liens d’intérêt suivants : Boehringer Ingelheim, Bayer, BMS, Pfizer, MSD, Boston Scientific, Inari, Sanofi.

 

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