Laval, France—Le 24 juin dernier, le gouvernement a publié le décret fixant les modalités d'exonération de cotisations sociales pour les médecins libéraux en cumul emploi retraite pour l'année 2023.
Il en ressort qu’en respectant un plafond de 80 000 euros de revenus, les médecins libéraux sont soustraits au versement de cotisations retraites.
Un dispositif qui néanmoins ne s'applique pas aux médecins salariés en cumul emploi-retraite, comme nous l'explique le Dr Éric Jouan, lui-même médecin salarié exerçant à Laval en Mayenne (53).
Quoi qu’il en soit, avec douze autres médecins salariés retraités, ils ont mis sur pied une organisation innovante qui permet de répondre en grande partie à la problématique de l'accès aux soins sur leur territoire de santé, tout en confortant un exercice privilégié de la médecine. Entretien.
Medscape édition française : Pourquoi avez-vous décidé de poursuivre votre activité en cumul emploi retraite ?
Dr Éric Jouan : Il faut d'abord évoquer les problèmes de démographie médicale, c'est un sujet préoccupant, un sujet de santé publique. En 2017, j'étais encore en exercice libéral dans une maison de santé pluridisciplinaire que j'avais créée, en Mayenne, à Laval précisément. À ce moment-là, 12 médecins généralistes sont partis à la retraite sans être remplacés, et 7000 à 8000 patients n'avaient pas de médecin traitant.
J'étais aussi maitre de stage universitaire et responsable des internes sur le département. J’ai, en ce qui me concerne, pris ma retraite en 2019. Quand nous nous sommes rendu compte de la pénurie de médecins, plutôt que d'attendre que de jeunes médecins s'installent, nous nous sommes intéressés aux médecins qui prenaient leur retraite.
Nous avons défini un cahier des charges à la demande du conseil départemental de l'Ordre des médecins : les 13 médecins nouvellement retraités acceptaient de reprendre du service à la condition de ne faire que de la médecine.
Nous ne voulions effectuer aucune charge administrative. Nous voulions bien recommencer à raison d'une journée par semaine, afin d'avoir tous les jours trois médecins, mais sans avoir à gérer les droits des patients, entre autres. Nous avons ainsi demandé à avoir des secrétaires administratives, un local mais sans avoir à les payer.
Quels sont les interlocuteurs qui ont mis à disposition ces installations et ce personnel ?
Dr Éric Jouan : Il s'agit de la mairie de Laval et de l'agglomération, ainsi que du département de la Mayenne. Ils ont été d'accord et ont mis à notre disposition un local avec trois cabinets de consultation, deux secrétaires, mais il fallait encore trouver un porteur de projet. Nous avons fait appel à un mutualiste. Harmonie mutuelle a accepté de s'occuper de la gestion, mais nous avions là aussi imposé une condition : qu'il ne fasse pas un centime sur le dos des médecins. Nous sommes donc rémunérés par la mutuelle selon le nombre de jours que nous effectuons et non le nombre de consultations que nous faisons. Nous effectuons entre 30 et 35 consultations par jour.
Quelles sont vos amplitudes horaires ?
Dr Éric Jouan : Nous commençons à 9h00 en même temps que les secrétaires. Nous terminons à 18h30.
Avez-vous résolu le problème d'accès aux soins ?
Dr Éric Jouan : Nous n'avons pas entièrement résolu ce problème, mais nous apportons une réponse. Nous sommes le plus gros cabinet de médecine générale du département. Nous avons surtout créé un accès aux soins aux personnes les plus précaires. Lorsque j'étais médecin libéral, je recevais entre 8 et 10% maximum de CMU. Là, nous accueillons plus de 45% de patients en CMU.
Comment expliquer cet écart ?
Dr Éric Jouan : Bien évidemment les patients en CMU génèrent des problèmes de paiement pour les médecins libéraux, qui se demandent quand ils seront remboursés par l'assurance maladie, par exemple. Nous, étant salariés, nous ne nous posons pas cette question. Nous permettons à ces populations de bénéficier d'un accès aux soins. Nous avons ainsi 5700 patients avec médecin traitant.
Recevez-vous des internes ?
Dr Éric Jouan : Oui, nous recevons aussi des internes car nous étions tous anciens maitres de stage. Nous leur proposons un statut salarié, avec deux CDD.
Combien de temps encore ces médecins retraités vont-ils exercer ? La pérennité de la structure est-elle établie ?
Dr Éric Jouan : Des médecins nouvellement retraités veulent nous rejoindre. Nous sommes en train de travailler avec Laval agglomération pour mettre en place une quatrième ligne de médecins (nous en sommes à trois lignes), mais il nous faut plus d'espace. C'est un projet à moyen terme, nous souhaitons aussi ouvrir notre structure aux jeunes médecins.
Vous avez donc suscité des vocations parmi les médecins nouvellement retraités du département ?
Dr Éric Jouan : Oui, mais aussi hors du département. Nous comptons dans nos effectifs trois médecins du Maine-et-Loire (49), qui font trois quarts d'heures de route pour effectuer leurs consultations dans notre centre.
Le soutien de la mutuelle, qui est gestionnaire de votre centre, est-il solide ?
Dr Éric Jouan : Si cette mutuelle se retire, alors nous chercherons un autre porteur de projet. Mais cette mutuelle a compris son intérêt puisque notre organisation a été clonée à Cholet, Saumur, Le Mans, avec le même porteur de projet.
Malgré tout, vous cotisez à perte pour les organismes sociaux. Cela ne vous embête pas ?
Dr Éric Jouan : Bien sûr, ce n'est pas juste. Mais l'argent n'est pas notre principale motivation. Nous avons tous fait ce métier car cela nous passionne, et nous aimons encore ce que nous faisons aujourd'hui. C'est un complément à notre retraite, et de toute manière nos agendas sont très souples, nous pouvons très facilement nous faire remplacer dès lors que nous souhaitons partir en vacances.
En fait, vous exercez la médecine de manière idéale, sans contrainte administrative ?
Dr Éric Jouan : C'est pour cela que les jeunes internes sont très intéressés par notre structure : ils ne font que de la médecine, sans s'embarrasser de contraintes administratives.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Crédit de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2023
Citer cet article: 13 médecins retraités reprennent du service…débarrassés de toute charge administrative : témoignage de l’un d’eux - Medscape - 24 août 2023.
Commenter