Urgences : le ministre de la Santé reconnaît des tensions mais assure que « l’hôpital tiendra »

Christophe Gattuso

22 août 2023

Paris, France – En dépit de la pénurie d’effectifs en cette période estivale et alors que la canicule s’abat sur le pays, le ministre de la santé, Aurélien Rousseau, assure que la situation des urgences est sous contrôle. Seuls 5 services ont fermé et une quarantaine sur 680 ont été conduits à fermer partiellement, assure le ministre de la Santé qui refuse de parler d’aggravation de la situation des urgences hospitalières par rapport à l’an dernier, comme l’affirment plusieurs syndicats de médecins.

Coup de chaud

L’été est toujours une épreuve pour un ministre de la Santé. Aurélien Rousseau en sait quelque chose, qui a déjà dû « mouiller la chemise » depuis sa prise de fonctions, il y a un mois. Confronté à un épisode de canicule, cette semaine, le successeur de François Braun doit également faire face à un coup de chaud ces dernières semaines dans les services d’urgence. Ce n’est pas un hasard si le ministre a successivement rendu visite aux urgences du CHU de Bordeaux le 31 juillet, puis au CHU de Toulouse et SMUR 31 le 14 août. Il faut dire que la situation est particulièrement difficile dans de nombreux services d’urgence qui, en période estivale, doivent à la fois faire face à une hausse d’activité en même temps qu’à une baisse d’effectifs. L’été dernier, une enquête édifiante de Samu Urgences de France à laquelle avaient répondu la moitié des services d’urgence du pays avait établi que de nombreux services se trouvaient grandement fragilisés, avec une hausse d’activité de 12% en juillet 2022 par rapport à l’année précédente, et un manque criant de lits d’hospitalisation. 88 établissements avaient dû restreindre leur accès ou fermer totalement la nuit, et 75 Smur avaient été contraints de fermer des lignes…

« Des zones rouges partout en France »

Le Dr Marc Noizet, président de Samu Urgences de France, et chef des urgences de l’hôpital de Mulhouse, qui exprimait déjà, il y a un mois, ses craintes auprès de Medscape édition française, affirmait il y a quelques jours que l’état des lieux s’était encore dégradé. « La situation est plus grave que l’an dernier car les difficultés touchent dorénavant tous les départements de France, a-t-il affirmé sur Europe 1 . L’an dernier, on avait des zones rouges. Cet été, ces zones rouges touchent tous les départements, les gros et les petits services. La nouveauté, c’est que des services d’urgence en zones touristiques, qui voient leur affluence doubler ou tripler, sont en très grande précarité comme aux Sables d’Olonne (87), Arcachon (33) ou Saint-Tropez (83). » L’urgentiste déplore également la fermeture de lignes Smur, « ce qui met en danger le maintien de la prise en charge de l’urgence vitale ». Ce dont s’était déjà inquiétée dans nos colonnes la Dre Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de la Société Française de médecine d’urgence (SFMU)

La situation des urgencies est plus grave que l’an dernier car les difficultés touchent dorénavant tous les départements de France Dr Marc Noizet

Le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), estime également que la situation des urgences, cet été, est « pire que l’an dernier ». « Ce ministre, comme le précédent, est dans le déni de la situation, a déclaré à BFM-TV l’urgentiste de Bobigny (Seine Saint-Denis). Aucune mesure concrète n’a été prise. Nous demandons une meilleure rémunération des gardes des médecins, du personnel supplémentaire, l’arrêt des fermetures de lits, mais aussi du personnel pour décrocher le 15. D’année en année, la situation s’aggrave. »

Nous demandons du personnel supplémentaire, l’arrêt des fermetures de lits, mais aussi du personnel pour décrocher le 15. D’année en année, la situation s’aggrave Dr Christophe Prudhomme

En Gironde (33) où s’est rendu le ministre de la Santé, le Dr Philippe Revel, chef du service des urgences du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, fait également état d’une « situation beaucoup plus critique que l’an dernier ». « On a été obligés de réduire l’activité presque tous les jours de l’été, et certains services ont dû fermer, ce qui ne s’était jamais produit », a-t-il confié au Monde.

La presse quotidienne régionale a fait été cet été des difficultés des services d’urgences dans toute la France, contraints de fermer la nuit à Manosque (Var), Carpentras (Vaucluse), à Laval et Château-Gontier (Mayenne), Niort (Deux-Sèvres), Meulan-en-Yvelines (Yvelines)…

La situation est grave mais pas désespérée, selon Rousseau

Aurélien Rousseau a tenté ces derniers jours de répondre aux médecins urgentistes mais aussi de rassurer la population. Il a pour la première fois donné des éléments chiffrés. Sur les 680 services d’urgence, de nombreux sont en tension, a concédé le ministre de la Santé. « Cinq sont fermés complètement et une quarantaine ont été conduits à fermer partiellement, notamment dans la nuit profonde », a-t-il déclaré sur France Inter. Jurant de ne pas vouloir minimiser les difficultés, l’ancien directeur de l’ARS Ile-de-France s’est montré confiant : « L’hôpital a tenu et tiendra, j’ai vu lors de mes déplacements la détermination des soignants qui, pour certains, sont épuisés, certains sont revenus de congés. La crise n’est pas tout à fait la même que l’an dernier. Ce qui est nouveau cette année, c’est le dialogue entre la ville et l’hôpital, qui a permis d’anticiper. »

Le passage par le 15, solution ou problème ?

Malgré les difficultés rencontrées, le ministre de la Santé affirme que l’accès de tous les Français à un service d’urgence est préservé partout en France. « Sur tous les territoires, il y a une organisation qui permet de prendre en charge les risques vitaux de tous nos concitoyens, a argumenté Aurélien Rousseau, sur BFMTV,  lundi 21 août. Oui, la situation est extrêmement tendue mais la réalité, c’est que dans notre pays, on est pris en charge si on est malade. Le système de régulation que nous avons mis en place avec le 15 permet d’adresser les malades là où ils pourront être le mieux pris en charge. »

Les médecins ne partagent pas tous cet avis. « On dit aux gens de ne pas se rendre aux urgences mais d’appeler le 15, c’est de l’hypocrisie, a déclaré à Ouest France la Dr Emmanuelle Kerrand, urgentiste au Centre hospitalier de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor (22). Cette incitation à faire le 15 occasionne une sur-sollicitation des centres de régulation qui croulent sous les appels. On tourne en rond ! » Nouvelle preuve de ce malaise, les assistants de régulation médicale sont en grève illimitée depuis le 3 juillet (69 centres 15 sur 100) pour réclamer des revalorisations salariales et des embauches. Mais leur mouvement reste peu visible car les ARM grévistes sont généralement assignés par l’administration, et ils occupent donc leur poste. 

La crise des urgences a sans doute aussi été en partie accentuée cet été par la nouvelle loi Rist plafonnant à 1390 euros brut le montant des gardes de 24 heures, qui a pu amener certains intérimaires à ne plus travailler aux urgences.

Sur tous les territoires, une organisation permet de prendre en charge les risques vitaux de tous nos concitoyens Aurélien Rousseau

Une première réponse politique

Interpellé par les syndicats de médecins urgentistes, le ministre de la Santé a apporté de premiers éléments de réponse. Il annoncé samedi 19 août sur France Inter la pérennisation prochaine des majorations des indemnités horaires pour les sujétions de nuit, que réclamaient les urgentistes. « Aujourd’hui, on a de plus en plus de mal à recruter des personnels qui acceptent cette contrainte du travail de nuit », a-t-il reconnu.

Cette annonce répond pour partie aux demandes de Samu Urgences de France, qui réclame la reprise des discussions avec le ministère de la Santé pour trouver des solutions pérennes et redonner de l’attractivité à la profession d’urgentiste. « Cet été aura encore été une épreuve pour les professionnels de nos services, leur épuisement est perceptible et nombreux sont ceux qui expriment leur envie de quitter le métier face à la dégradation continue des conditions de travail et d’exercice, décrit Samu Urgence de France dans une lettre au ministre de la Santé. Les mesures de revalorisation et d’amélioration de l’attractivité des carrières hospitalières que nous soutenons depuis plus d’un an deviennent maintenant urgentes. » Les seules primes ne seront pas suffisantes pour améliorer la situation.

Les mesures de revalorisation et d’amélioration de l’attractivité des carrières hospitalières que nous soutenons depuis plus d’un an deviennent maintenant urgentes Samu Urgences de France

 

 

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