POINT DE VUE

Un bon médecin peut-il ressentir du dégoût ?

Dr Mauricio Wajngarten

Auteurs et déclarations

21 août 2023

Au cours d'une conversation entre amis, quelqu'un m’a fait remarquer qu'il ne pourrait jamais pratiquer la médecine parce qu'il était dégoûté par certaines odeurs, la saleté, les insectes etc... Curieux, je me suis renseigné sur ce sujet : le dégoût.

Le mot dégoût est défini comme une « répulsion pour quelque chose de désagréable, une répugnance à l'égard de quelque chose ». Parmi les synonymes on peut retenir « le malaise, l’abomination, l’écœurement, l’aversion, la désaffection, le mépris, les difficultés, le rejet… ». Les antonymes quant à eux incluent « l’empathie, l’affection, l’affinité, l’amitié, l’amour, la fraternité, l’égalité, l’attachement… ».

Le dégoût influence-t-il la pratique clinique ? Un « bon » médecin peut-il ressentir de l’écœurement, du mépris, du rejet, ou être dépourvu d'affection et d'empathie ? Le sujet mérite d'être débattu...

Un instinct de défense

Les animaux sont sous la menace constante « d'attaques » infectieuses. La simple existence de cette menace peut modifier leur comportement avant même que l'infection ne se produise.[1] Le dégoût des agents pathogènes permet ainsi de détecter des indices indiquant la présence de parasites ou de bactéries, et favorise les comportements préventifs. Le dégoût serait donc une émotion ayant évolué avec les êtres humains, leur permettant d’éviter de contracter certaines maladies.

Fréquent chez les professionnels de la santé

Une étude a montré que le dégoût est une émotion fréquemment ressentie par les professionnels de santé… mais rarement avouée ouvertement [2]. Dans certains cas, ce dégoût contribue à des comportements de négligence, voire de maltraitance à l'égard des patients. Mais la plupart des soignants développent des stratégies pour surmonter ce dégoût ; ils s’appuient principalement sur l'empathie. L'étude suggère par ailleurs aux professionnels de santé de discuter de ce sentiment de dégoût avec leurs collègues, et non pas d’en avoir honte ou de cacher leurs émotions comme si cela ne faisait pas partie de la réalité des soins.

Une émotion qui influence le choix de la spécialité

Toutes les spécialités médicales n'exigent pas une forte exposition aux « déclencheurs de dégoût ». La recherche montre que les personnes qui ont une moindre sensibilité au dégoût sont plus susceptibles d’envisager de choisir une spécialité impliquant des procédures plus invasives, comme la chirurgie ou la médecine d’urgence. Une étude menée chez des internes en médecine suggère cependant qu'une faible sensibilité au dégoût n'est pas une condition préalable à la réussite en médecine d'urgence. [3,4]

Les déterminants de la sensibilité au dégoût ne sont pas encore totalement bien établis, mais parmi ces facteurs on observe un lien entre les niveaux de dégoût et le degré d'anxiété ou de détresse émotionnelle, la répulsion à l'égard des agents pathogènes (basée notamment sur le comportement de ses propres parents) et l'environnement écologique dans lequel on se trouve.

Conclusion et implications

Le dégoût peut être considéré comme une émotion protectrice (p.ex. contre les infections). Il est relativement fréquent et est associé à des facteurs à la fois psychologiques (anxiété, panique, phobies, stress post-traumatique), sociaux, culturels et environnementaux (p.ex. dans certains pays, il est courant de manger des insectes, dans d’autres on les évitera). Le dégoût est en effet lié à une gamme d'émotions très large, comme l’illustrent ses nombreux synonymes et définitions.

Dans le contexte de la pratique médicale, le dégoût peut influencer le choix de la spécialité et les performances professionnelles. Heureusement, la plupart des médecins trouvent des moyens de contourner ce type d’émotion. S’il peut être une source de stress, voire contribuer au burnout, il est rarement discuté ouvertement entre professionnels de santé. C’est pourquoi je pense que l'évaluation diagnostique et le traitement des troubles psychiatriques susceptibles d'être associés au dégoût devraient être considérés comme essentiels chez les soignants.

 

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