POINT DE VUE

Cancer du sein : vers une amélioration du traitement par tamoxifène?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

14 août 2023

Lyon, France — Une équipe du Centre de recherche en cancérologie de Lyon (CRCL) a mis en évidence le rôle d’une enzyme, la protéine PRMT5, dans la réponse au tamoxifène utilisé chez les femmes non ménopausées dans le traitement du cancer du sein afin de prévenir le risque de récidive. La protéine pourrait devenir le premier marqueur prédictif de la réponse au tamoxifène.

La Dre Muriel Le Romancer, directrice de recherche Inserm, nous explique les enjeux liés à cette découverte. Avec le Dr Olivier Trédan, oncologue au Centre Léon Bérard de Lyon, elle a co-dirigé ces recherches qui ont conduit à la publication d’une étude dans EMBO Molecular Medicine [1]. Tous les deux sont à la tête de l’équipe du CRCL « résistance hormonale, méthylation et cancer du sein ».

Même si l’implication de l’enzyme dans le mode d’action du tamoxifène a été démontrée chez près de 900 patientes atteintes d’un cancer du sein, ces résultats devront être validés sur d’autres cohortes de patientes à risque avant d’envisager une utilisation en routine du biomarqueur, ce qui devrait encore nécessiter deux années de recherche, a indiqué la chercheuse.

Medscape édition française : Pourriez-vous nous rappeler dans quels cas le tamoxifène est utilisé et quel est son mode d'action ?

Dr Muriel Le Romancer : Le tamoxifène est une hormonothérapie utilisée pour réduire le risque de récidive du cancer du sein. Il est prescrit chez les patientes pré-ménopausées atteintes d’un cancer hormono-sensible, ce qui correspond à près de 25% des femmes atteintes d’un cancer du sein, soit 15 000 femmes chaque année. Le médicament, qui se prend tous les jours par voie orale, est un antagoniste des récepteurs à estrogènes. En se fixant à ces récepteurs, il empêche l’action des estrogènes sur le sein. Chez les femmes ménopausées, on préfère utiliser les inhibiteurs d’aromatase, qui s’avèrent plus efficaces. Ils ont aussi un effet anti-estrogénique, mais en inhibant la production d’estrogènes.

Le traitement par tamoxifène est prescrit pendant une durée minimale de cinq ans. Malgré cette prise en charge, 25% des femmes ainsi traitées font une rechute. La résistance au tamoxifène a la particularité d’apparaitre très tard, généralement 10 à 15 ans après avoir initié le traitement. D’où l’importance d’identifier des marqueurs prédictifs de la réponse à l’hormonothérapie pour adapter au mieux le traitement. Pour le moment, l’âge de la patiente et la présence de récepteurs aux estrogènes au niveau de la tumeur sont les seuls critères utilisés dans la prescription du tamoxifène.

Concrètement, comment évoluerait la prise en charge avec un marqueur prédictif de la réponse au tamoxifène?

Dr Le Romancer: Actuellement, lorsqu’une patiente est en récidive du cancer du sein après plusieurs années sous tamoxifène, il n’est pas possible de savoir si la rechute est liée ou non à une résistance au tamoxifène. Il est alors difficile de choisir le bon traitement pour prendre en charge ces récidives, qui restent compliquées à traiter. Beaucoup de patientes décèdent en raison du développement de métastases.

En prédisant la réponse au tamoxifène par le biais d’un marqueur, il serait possible, soit d’utiliser une autre hormonothérapie pour éviter la récidive, soit de prescrire du tamoxifène avec une molécule ayant la capacité d’empêcher le développement de la résistance. On peut ainsi espérer réduire nettement le taux de récidive.

Vous présentez la protéine PRMT5 comme un potentiel biomarqueur prédictif de la réponse au tamoxifène. Pour quelles raisons ?

Dr Le Romancer : Dans nos travaux de recherche, nous avons pu montrer que la protéine PRMT5, lorsqu’elle est présente au niveau des noyaux des cellules tumorales, participe aux mécanismes d’action du tamoxifène. Il faut savoir que les récepteurs à estrogènes sont situés au niveau du noyau des cellules. Pour que le tamoxifène exerce son action antitumorale, il faut que la PRMT5, qui est une enzyme, vienne dans le noyau pour modifier le récepteur aux estrogènes. C’est cette modification qui permet au tamoxifène d’avoir une activité antitumorale. L’effet prolifératif induit par les estrogènes se retrouve alors bloqué.

Les résultats de nos travaux montrent qu’une forte présence de PRMT5 spécifiquement dans le noyau des cellules cancéreuses mammaires est associée à une survie prolongée des patientes traitées par tamoxifène. Jusqu’à présent, on attribuait à cette enzyme un rôle oncogénique lorsqu’elle était présente dans le cytoplasme. Il s’avère qu’elle a également un effet contraire lorsqu’elle agit au niveau du noyau, du moins dans cette situation de patientes avec un cancer du sein hormono-sensible traitées par tamoxifène.

Quelles sont les prochaines étapes dans vos recherches avant d’envisager une utilisation en pratique clinique ?

Dr Le Romancer : Nos prochaines études visent à comprendre dans quelles circonstances cette protéine PRMT5 rentre et sort du noyau. Nous avons aussi démontré que, chez certaines patientes, le tamoxifène induit le passage de PRMT5 dans le noyau de la cellule. Cette translocation n’est observée que chez les femmes qui répondent au tamoxifène, mais pas chez celles qui sont résistantes au traitement. Il nous reste donc à savoir comment le tamoxifène favorise cette translocation.

Une fois que les acteurs favorisant cette translocation seront identifiés, nous serons en mesure de proposer une thérapie visant à forcer l’enzyme à rentrer et à rester dans le noyau. A terme, l’idée serait de combiner les traitements par anti-oestrogènes avec un médicament qui favorise la localisation de PRMT5 dans le noyau pour garantir une réponse au tamoxifène. Il nous faudra encore quelques années de recherche avant d’espérer une application.

Pourrait-on déjà utiliser ce biomarqueur pour simplement identifier une résistance au tamoxifène ?

Dr Le Romancer : A plus court terme, on pourrait effectivement utiliser ce biomarqueur pour mieux orienter la prise en charge thérapeutique au moment du diagnostic. Nous avons mis en évidence le rôle de la PRMT5 dans la réponse au tamoxifène en travaillant sur deux cohortes de 900 patientes atteintes de cancer du sein prise en charge au centre Léon Bernard. Avant de passer à des tests en routine, il est nécessaire de valider ces résultats dans d’autres cohortes, notamment chez des patientes à risque présentant par exemple une prolifération cellulaire plus importante ou chez celles qui ont récidivé.

L’utilisation de ce biomarqueur s’appuie sur un examen histologique des tissus cancéreux. Un simple marquage par un anticorps visant le PRMT5 permet de révéler la localisation de l’enzyme dans les cellules et d’établir un score évaluant sa présence dans le noyau. A partir de ce score, il serait possible de déterminer le niveau de réponse au tamoxifène et de valider ou non l’utilisation du traitement. Ce biomarqueur est le premier en cours de validation dans l’évaluation de la résistance à l’hormonothérapie. On devrait pouvoir confirmer les résultats d’ici deux ans.

Si les tests cliniques utilisant ce biomarqueur prédisent une résistance au tamoxifène, quelles sont les alternatives thérapeutiques pour ces patientes ?

Dr Le Romancer : On pourrait leur donner des anti-aromatases ou l’un des nouveaux anti-estrogènes actuellement en développement. Dans une étude de phase 3, le fulvestrant (Fasodex®) a, par exemple, montré un bénéfice significatif en faveur de ce traitement injectable dans le cancer du sein avancé hormono-sensible. Il en est de même pour le traitement oral élacestrant (Orserdu®), qui a été récemment approuvé par la FDA. Ces traitements sont envisagés en deuxième ligne après le tamoxifène, mais ils pourraient tout à fait passer en première ligne en cas de résistance.

Les résultats obtenus avec les nouveaux anti-estrogéniques sont effectivement très encourageants. Le tamoxifène peut-il conserver une place importante, même en garantissant son efficacité ?

Dr Le Romancer : A l’heure de la médecine personnalisée, il faut garder un maximum d’options thérapeutiques. Lorsqu’une patiente rechute, il faut pouvoir avoir d’autres traitements à disposition. Le tamoxifène a été détrôné au profit des anti-aromatases chez les femmes ménopausées, mais il reste le gold standard pour les femmes pré-ménopausées depuis plus de 20 ans. S’il se retrouve remplacé par un nouvel anti-estrogène dans le traitement des femmes non ménopausées, il gardera une place importante dans l’arsenal thérapeutique.

Avec le développement du PRMT5 comme biomarqueur prédictif, on peut même imaginer que le tamoxifène soit à nouveau proposé en première intention chez les femmes ménopausées en cas de forte présence de PRMT5 dans le noyau des cellules cancéreuses. En prédisant la réponse, on pourrait obtenir une meilleure efficacité du tamoxifène par rapport aux anti-aromatases. Pour le moment, il ne s’agit que d’une hypothèse qu’il faudra vérifier dans de nouvelles études cliniques.

 

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