Marseille, France—Un reflux gastro-œsophagien résistant au traitement, des vomissements, des difficultés alimentaires, un infléchissement et/ou une cassure de la croissance pondérale... Et si c’était une œsophagite à éosinophiles ? Son incidence ne cesse d’augmenter. Tout ce qu’il faut savoir sur la forme pédiatrique de cette pathologie digestive à la frontière entre la gastro-entérologie et l’allergologie, avec la Dre Anaïs Lemoine au Congrès de la Société française de pédiatrie (31 mai -2 juin 2023, Marseille) [1].
Décrite dans les années 1990, l’œsophagite à éosinophiles (EO) voit son incidence augmenter ces dernières années, avec une prédominance en population caucasienne.
Plus rare chez l’enfant que chez l’adulte, l’incidence pédiatrique annuelle est estimée entre 2 et 12 / 100 000 enfants/an et la prévalence entre 22 et 49 / 100 000 enfants/an [2].

Anaïs Lemoine
Le sex-ratio est 2 à 3 garçons pour une fille [3.] « L’OE est une maladie inflammatoire chronique, évolutive, dans un contexte de dysimmunité, détaille Anaïs Lemoine, pédiatre (Hôpital Trousseau - APHP, Paris). Elle évolue le plus souvent d’un phénotype inflammatoire vers un phénotype fibrosténotique. Sa physiopathologie, plurifactorielle, implique des facteurs environnementaux (exposition à des allergènes), cellulaires et immunitaires (activation de la voie inflammatoire Th2 libérant les interleukines IL-4, IL-5 et IL-13 principalement, un recrutement des éosinophiles au niveau de la paroi œsophagienne, avec un remodelage tissulaire et une fibrose), et une susceptibilité génétique [4]. C’est une sorte d’"eczéma de l’œsophage". »
Un diagnostic clinico-endoscopique et histologique
Des troubles de la motricité œsophagienne devraient faire suspecter une œsophagite à éosinophiles, laquelle reste exceptionnelle avant l’âge de 1 an.
« Chez les plus jeunes enfants (<4-5 ans), la maladie se manifeste le plus fréquemment par un reflux gastro-œsophagien (RGO) résistant au traitement, précise Anaïs Lemoine, des vomissements, des difficultés alimentaires, un infléchissement et/ou une cassure de la croissance pondérale, parfois des douleurs abdominales. Chez l’enfant plus grand, les symptômes sont ceux observés chez les adultes : dysphagie, pyrosis, impactions alimentaires, douleurs thoraciques voire toux. »
Un score de symptômes spécifique à l’OE a été validé pour les enfants de 2 à 18 ans, qui permet de mesurer la sévérité clinique des symptômes : le Pediatric Eosinophilic Esophagitis Symptom Scores (PEESS v2.0) comporte 20 questions sur la fréquence et la sévérité des symptômes [5].
Chez ces enfants, des antécédents personnels d’atopie sont retrouvés dans 50 à 60 % des cas, dont l’asthme (25-50 %), l’eczéma (10-25 %), la rhinite allergique (30-90 %) et une allergie IgE-médiée (10-25 %) avec, comme facteurs favorisants, la saison pollinique.
Les diagnostics différentiels [6], nombreux, figurent parmi les autres causes d’éosinophilie œsophagienne, principalement le RGO, la gastro-entérite à éosinophiles, les infections fongiques, virales ou parasitaires et plus rarement la maladie de Crohn et certaines pathologies auto-immunes ou dermatologiques (pemphigus), ainsi que le syndrome hyper-éosinophilique, l’achalasie de l’œsophage et les autres troubles moteurs de l’œsophage.
Le gold standard de l’endoscopie digestive haute
L’endoscopie digestive haute est l’examen de référence pour poser le diagnostic d’OE. Certains aspects orientent vers le diagnostic dont des lésions majeures en particulier un œdème, des anneaux concentriques (on parle de "trachéalisation" du corps œsophagien), des exsudats blanchâtres, des sillons (qui donnent un aspects en rails) et une sténose.
Des lésions dites mineures sont typiques, par exemple l’œsophage « félin » (anneaux muqueux transitoires), l’œsophage de calibre étroit sans sténose et l’aspect de muqueuse en papier crépon (d’où une fragilité et possiblement une lacération de la muqueuse par l’endoscope).
Un score endoscopique, l’"endoscopic reference score" (EREFS) a été élaboré en 2013 pour décrire et grader la sévérité de ces lésions [7], ce qui permet de suivre l’évolution sous traitement. A noter, l’aspect endoscopique peut être normal, surtout chez l’enfant jeune.
Quel que soit l’aspect macroscopique, l’opérateur devra réaliser au minimum six biopsies, à savoir deux par étage exploré : tiers inférieur, moyen et supérieur. Une biopsie gastrique, voire duodénale, lors de la première endoscopie est également conseillée afin de ne pas méconnaître une infiltration plus étendue en éosinophiles, ce qui remettrait le diagnostic en question.
Ensuite, l’analyse histologique permet de définir le score d’infiltration à éosinophiles de la muqueuse, avec un cut off retenu supérieur ou égal à 15 PNE/champ (HPF ; fort grossissement X400) ou 60 PNE/mm2[8].
D’autres anomalies histologiques accompagnent l’augmentation des éosinophiles dans la muqueuse : des micro-abcès à éosinophiles, l’allongement des crêtes papillaires, l’œdème, l’hyperplasie de la couche basale, la dégranulation des éosinophiles et la fibrose de la lamina propria.
Enfin, « un bilan allergologique est recommandé en cas d’antécédents familiaux d’atopie, fait remarquer le Dr Lemoine, et lorsqu’une allergie alimentaire immédiate est suspectée. Les tests allergologiques à effectuer seront orientés par l’enquête allergologique. »
IPP, corticoïdes déglutis et régimes alimentaires, les 3 lignes thérapeutiques
La prise en charge de l’œsophagite à éosinophiles est multidisciplinaire, faisant intervenir le gastropédiatre, l’allergologue, l’anatomopathologiste, le médecin généraliste et le diététicien.
Les traitements proposés, en 1ère et/ou 2e intention, sont les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), les corticoïdes topiques et les régimes d’éviction.
Pour leur part, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), essentiellement oméprazole et ésoméprazole (> 1 an) et le pantoprazole (>12 ans), à une dose de 1 à 2 mg/kg/j (maximum 40 mg 2 fois par jour), affichent une efficacité évaluée à 42 % dans les études contre placebo (rémission histologique et clinique) dont la dernière est parue en 2023 [9].
Quant aux corticoïdes topiques, ils sont utilisés sous plusieurs formes. Les corticoïdes inhalés déglutis (fluticasone propionate - hors AMM) sont prescrits à la dose de 2 bouffées dégluties 2 à 4 fois par jour (125 µg /bouffée entre 1-10 ans ; 250 µg/ bouffée >10 ans). Le budésonide visqueux (hors AMM), plus facile d’administration chez le jeune enfant, est prescrit en préparation magistrale aux doses de 1 mg/jour en 2 prises chez l’enfant de moins de 10 ans (<150 cm) et à la posologie de 2 mg/jour en 2 prises chez l’enfant de plus de 10 ans (>150 cm).
« Il est recommandé de ne pas boire ni manger dans l’heure suivant la prise, souligne la pédiatre. Leur efficacité est de l’ordre de 65% [9]. Une forme orodispersible de budésonide est effectivement disponible en France depuis 2022 mais sans AMM chez l’enfant pour l’instant. »
Le régime guidé par les tests allergologiques n’est pas recommandé
Les régimes d’éviction peuvent être proposés selon plusieurs modalités. Une métanalyse publiée en 2023 a récapitulé les résultats [10]. « Les régimes ciblés par les tests allergologiques permettent une rémission dans 45,7 % mais ne sont plus recommandés en 1ère intention, annonce la Dre Lemoine, avec plutôt un régime empirique comportant l’élimination de deux, quatre ou six familles d’aliments. »
L’élimination d’un seul aliment (le lait) obtient 51,4 % de rémission, l’éviction de 4 familles (lait, blé, œuf et légumineuses) 49,4 % et 6 familles (poissons, crustacés et fruits à coques), plus de 60 % de rémission. Les épreuves de réintroduction s’effectuent à un rythme mensuel, et l’effet observé par un contrôle endoscopique systématique.
Enfin, en cas d’échec des traitements précédents, une biothérapie par dupilumab (anticorps monoclonal qui cible l’inflammation Th2) a montré son efficacité chez l’adulte. L’AMM chez l’enfant n’est pas d’actualité.
« Sur le long terme, la prise en charge est mal codifiée, reconnaît le Dr Anaïs Lemoine. Quelques rémissions spontanées sont observées mais, selon le PNDS [11,] il est le plus souvent nécessaire de maintenir un traitement prolongé, au moins 1 an pour les IPP, en déterminant la dose minimale efficace pour les corticoïdes topiques, et/ou en essayant de réintroduire sous surveillance les aliments. »
« L’OE peut se compliquer d’une impaction alimentaire, note Anaïs Lemoine. Celle-ci serait en lien avec une sténose ou une perforation (celle-ci est soit spontanée soit provoquée par les manœuvres d’extraction endoscopique) ».
Une sténose peut nécessiter une ou plusieurs dilatations endoscopiques. Sur le long terme, « il est important de vérifier que la croissance de l’enfant est normale, ajoute-t-elle, que le traitement est pris correctement, et d’être vigilant vis-à-vis de la survenue d’éventuels effets secondaires (candidose, prévenue en se rinçant la bouche après la prise des corticoïdes). Une endoscopie de contrôle annuelle ou en cas de symptômes est recommandée. Enfin, il ne faut pas négliger le soutien diététique, psychologique voire financier des enfants atteints de cette maladie chronique. »
Le Dr Anaïs Lemoine déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec sa présentation.
Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Et si c’était une œsophagite à éosinophiles ? Savoir la repérer chez l’enfant - Medscape - 3 août 2023.
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