
Dre Agnès Ricard-Hibon
France — Porte-parole de la Société française de médecine d’urgence (SFMU), administratrice de Samu Urgences de France (SudF) et cheffe de Service du SAMU-SMUR-SAU 95, la Dre Agnès Ricard-Hibon est l’une des meilleures expertes des services d’urgence. Dans un entretien pour Medscape, elle alerte sur la fermeture des services d’urgences mais aussi des Smur et fait le bilan des mesures prises pour juguler la crise hospitalière. Entretien.
Medscape édition française : Assiste-t-on actuellement à une fermeture des services d'urgence ou à une « réorganisation » comme l’a évoqué l’ex-ministre François Braun (Lire Quid des tensions aux Urgences cet été ? )?
Dr Agnès Ricard-Hibon : En fait, nous assistons à ces deux phénomènes de manière concomitante. Il est bon que les acteurs de terrain puissent s'organiser sur les territoires de santé pour proposer un accès aux soins, mais il y a aussi, parallèlement, des fermetures d'urgence qui sont imposées.
Le problème, c’est que ce ne sont pas seulement les SAU (service d'accès aux urgences) qui sont concernés mais aussi les Smur (Services mobiles d'urgence et de réanimation). Et là c'est très grave, car on touche aux urgences vitales – qu’il faudrait plutôt sanctuariser. En revanche, je pense que la transformation des SAU en service d'accès aux soins (SAS) est une bonne chose.
Où y a-t-il des Smur qui ferment ?
Dr Agnès Ricard-Hibon : Dans le Berry, les urgences de l'hôpital de Bourges, par exemple, sont menacées. Des Smur sont aussi menacés à Senlis, à Creil, dans le Sud de la France... Malheureusement, actuellement, nous ne misons plus sur la qualité des soins et la sécurité en pâtit. Une récente étude démontre que le risque de mourir augmente de 46% lorsque l'on passe 24 heures sur un brancard. Maintenant, nous pouvons le prouver scientifiquement. Et lorsque les médecins, mais aussi les soignants, constatent qu'ils ne peuvent plus faire leur travail correctement, ils quittent l'hôpital. Nous assistons actuellement à une véritable hémorragie. Résultat, les services ferment.
Samu Urgences de France (SUdF) a alerté sur les morts injustifiés dans les services d'urgence en décembre dernier. Depuis, la situation ne semble pas évoluer, pire, elle régresse...
Dr Ricard-Hibon : Quand Agnès Buzyn était ministre de la Santé, nous l'avions sensibilisé à ce problème. Les solutions, on les connait, elles sont sur la table mais ce sont les arbitrages interministériels qui ne suivent pas. Cela fait vingt ans que nous sacrifions la santé. Résultat, nous assistons à la dégradation rapide des urgences. Il faut que nos gouvernants considèrent que la santé est une véritable richesse. Si nos citoyens ne sont pas en bonne santé, alors la production de richesse vacille, nous nous en sommes rendu compte pendant la pandémie de Covid : lors du confinement, la machine économique était à l'arrêt.
Pensez-vous que le service d'accès aux soins (SAS) puisse être une solution à la crise des urgences ?
Dr Ricard-Hibon : Le SAS est une bonne chose, mais ce n'est pas le SAS qui va faire en sorte que l'on ait moins de patients dans les couloirs sur des brancards. Pour cela, il faudrait ouvrir des lits en aval de l'hospitalisation, c'est cela qui permettra de désengorger les urgences.
Et les centres de soins non programmés ?
Dr Ricard-Hibon : Les centres de soins non programmés (CSNP) sont aussi une bonne chose, j'en pense du bien. Mais pour que cela fonctionne, il faut mettre en place une véritable coopération entre la médecine de ville et l'hôpital. Je m'explique : il ne faudrait pas que nous récupérions uniquement les patients les plus fragiles tandis que les CSNP se chargeraient des patients les plus lucratifs et les plus faciles.
Et il faut aussi régler le problème de la permanence des soins : on ne peut pas demander aux médecins hospitaliers de faire des gardes de 24 heures, pendant que les médecins de ces CSNP auraient des horaires confortables. Sinon les praticiens hospitaliers vont quitter l'hôpital pour exercer dans les CSNP.
La loi Rist qui plafonne les rémunérations des médecins intérimaires est-elle une bonne loi ?
Dr Ricard-Hibon : Je suis persuadée qu'il fallait prendre ce genre de mesures car, dans les hôpitaux, nous assistions au versement de rémunérations très élevées aux médecins intérimaires.
Seulement, il aurait fallu d'abord revaloriser la carrières des praticiens hospitaliers puis plafonner la rémunération des médecins intérimaires. Or, on a fait tout l'inverse, ou plutôt on a plafonné la rémunération des remplaçants, sans pour autant revaloriser le salaire des PH. Donc, bien évidemment, cela ne fonctionne pas.
La majorité des praticiens hospitaliers a été oublié dans le cadre des revalorisations du Ségur de la santé, puisque seuls les médecins embauchés après le 1er octobre 2020 ont gagné 4 échelons, le gros des médecins hospitaliers qui possède une véritable expertise n'a absolument rien reçu et cela crée des inégalités, lesquelles génèrent de la zizanie dans les équipes.
Comment expliquer qu'un médecin qui vient de commencer sa carrière soit mieux payé qu'un médecin expérimenté ? Le problème est le même avec les contrats de type 2 qui permet de mieux payer certains praticiens hospitaliers contractuels, parfois étrangers, plutôt que des PH qui sont à l'hôpital depuis des années.
Que pensez-vous du limogeage de François Braun ?
Dr Ricard-Hibon : Ce n'est pas une bonne nouvelle, il n'y a pas de continuité dans les actions engagées, ce n'est pas un bon signal. François Braun a engagé beaucoup de réformes qui allaient dans le bon sens, mais il fallait qu'il ait l'appui de l'arbitrage interministériel, et il ne l'a jamais eu. Il a fait le SAS, la revalorisation de la permanence des soins, la 4e année de médecine générale, etc., il a un vrai bilan.
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Citer cet article: Fermeture des Smur : l’inquiétude de la Dre Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de la SFMU - Medscape - 2 août 2023.
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