Utilisation des psychédéliques en addictologie : où en sommes-nous ?

Aude Lecrubier

1er août 2023

Paris, France – « Il est important de développer de nouveaux traitements en addictologie car les addictions représentent un coût très important pour la société», a souligné le Dr Bruno Roméo, psychiatre, addictologue à l’hôpital Paul Brousse (Villejuif) en préambule d’une session consacrée à la place des psychédéliques dans la prise en charge des addictions aujourd’hui, lors des Journées Neurosciences Psychiatrie Neurologie 2023[1].

« Le tabac et l’alcool sont les deux premières causes de mortalité évitables en France. Or, dans la prise en charge de ces deux addictions, les traitements pharmacologiques sont peu donnés et peu efficaces. Nous avons des taux de rechute majeurs d’où la nécessité de développer d’autres thérapeutiques comme les psychédéliques », renchérit-il.

Mais quelles sont les données dont nous disposons aujourd’hui concernant l’efficacité des psychédéliques comme traitement des addictions ?

Les résultats nécessitent d’être répliqués mais globalement, les psychédéliques sont plutôt très prometteurs que ce soit dans les troubles de l’usage de l’alcool ou le tabagisme.

Lutte contre les troubles de l’usage de l’alcool : peu d’études

Dans les troubles de l’usage de l’alcool, il existe peu de données mais un essai randomisé contrôlé a été publié dans le JAMA en 2022 évaluant l’efficacité de la psilocybine.

Dans ce travail, les auteurs, Bogenschutz et coll. ont inclus 95 patients, 49 sous psilocybine et 46 sous diphenhydramine.

Une première session de psilocybine a été réalisée à 4 semaines, puis une autre à 8 semaines à une dose plus élevée. Ont été évalués, les jours de consommation, les jours de forte consommation et le nombre de verres par consommation entre à 32 et 36 semaines.

Les chercheurs ont montré qu’après deux sessions de psilocybine, il y avait une diminution importante du nombre de jours de forte consommation. Dans le groupe contrôle, entre 5 et 36 semaines, étaient observés 20 % de jours de forte consommation alors que dans le groupe psilocybine, étaient rapportés 10 % de jours de forte consommation.

Concernant le nombre de jours de consommation, une baisse importante et rapide du nombre de jours de consommation a aussi été observée qui se maintenait dans le temps. Entre 5 et 36 semaines, étaient rapportés un peu plus 40% de jours de consommation dans le groupe contrôle versus un peu plus de 30 % de jours de consommation dans le groupe psilocybine.

De la même façon, le nombre de verres par jour diminuait drastiquement dès la prise de psilocybine avec une efficacité extrêmement rapide. La consommation descendait de 6 verres à moins de 1 verre entre les semaines 5 et 8. En cumulé, entre les semaines 5 et 36, le nombre de verres consommés par jour était de plus de 2 dans le groupe placebo et de 1 dans le groupe psilocybine.

« On voit que la psilocybine a potentiellement une efficacité dans le trouble de l’usage à l’alcool. Ces résultats sont toutefois à tempérer en raison de la population incluse dans cette étude qui n’est pas celle qui fréquente nos services d’addictologie. Les patients à l’entrée dans l’étude avaient moins de 60 % de jours de forte consommation », indique le Dr Roméo.

Pour quels patients ?

Selon une enquête rétrospective réalisée par internet à l’hôpital Paul Brousse, il ressort des 160 questionnaires rendus, que ce sont les patients qui ont des troubles de l’usage de l’alcool les plus sévères et qui ont les expériences psychédéliques les plus mystiques qui semblent le mieux répondre à la psilocybine et donc diminuer leur consommation d’alcool. Il semble aussi que les patients qui ont le plus baissé leur consommation d’alcool ont une plus faible flexibilité psychologique* à l’entrée dans l’étude. « Comme s’ils avaient une marge de progression plus importante et que les psychédéliques les aidaient plus », explique le psychiatre.

* La flexibilité psychologique est la capacité à nous adapter au changement, à vivre l’expérience (positive ou négative) dans le moment présent sans se braquer, ni chercher à fuir la situation.

 

Quid de la psilocybine dans le sevrage tabagique ?

« Dans le tabac, il y a encore moins d’études », annonce d’emblée l’orateur.

Dans une étude pilote sur 15 patients, les chercheurs Johnson et coll., ont donné 2 ou 3 prises de psilocybine 20 à 30 mg associées à de la TCC, un entretien par semaine pendant 10 semaines puis les patients ont été évalués 3 fois, à 6 mois, 12 mois et 30 mois.

Il en ressort qu’il y a une diminution de la consommation de tabac très importante de plus de 15 cigarettes par jour à une ou deux cigarettes par jour avant de remonter à 6 cigarettes.

Concernant le taux d’abstinence, à 6 mois, 12 patients sur 15 sont sevrés, à un an ils sont 8 sur 15 et à 30 mois 7 sur 15. « Nous avons des résultats qui sont plutôt intéressants à tempérer évidemment avec le nombre très faible de patients inclus dans cette étude », commente l’expert.

De la même façon que pour l’alcool, une enquête rétrospective réalisée par questionnaire à l’hôpital Paul Brousse a montré qu’il semble que ce soient les patients qui fumaient le plus de cigarettes et qui avaient eu les expériences psychédéliques les plus mystiques qui semblaient mieux répondre à la psilocybine et donc diminuer leur consommation de tabac. Il semblait aussi que les patients qui avaient le plus baissé leur consommation de tabac avaient une plus faible flexibilité psychologique à l’entrée dans l’étude.

 

Quelles limites à l’utilisation des psychédéliques en addictologie ?

« Les psychédéliques sont plutôt efficaces en addictologie mais il y a des limites de différentes natures à leur utilisation », explique le Dr Roméo.

L’une d’elle est sociétale. Un questionnaire a été adressé à des médecins par la Dre Laurence Bézo, du service d’addictologie de Paul Brousse, pour connaitre ce qu’ils pensaient des psychédéliques. A ce jour, 407 ont répondu dont 280 médecins généralistes, 50 addictologues, 50 spécialistes. Il en ressort que 50 % pensent que les psychédéliques n’ont pas de potentiel thérapeutique. Aussi 3 médecins sur 5 pensent que les psychédéliques sont dangereux. Un peu plus de la moitié pense que leur utilisation est associée à des risque auto-agressifs et hétéro-agressifs très importants. De même, la moitié pense que le risque de dépendance est très important, et qu’il y a un risque de survenue d’un trouble psychiatrique. « Aujourd’hui sur cet échantillon, les médecins pensent que les psychédéliques sont assez dangereux. Il y a une vision assez négative de la prescription de psychédéliques en France », commente le Dr Roméo.

50 % des médecins français interrogés pensent que les psychédéliques n’ont pas de potentiel thérapeutique.

 

Les participants ont même classé les psychédéliques comme faisant partie des drogues le plus dangereuses.

Sur une cotation de 0 à 7, les participants ont classé les psychédéliques sous l’héroïne et la cocaïne en termes de dangerosité. Ils sont considérés comme bien plus dangereux que l’alcool, le tabac ou le cannabis.

 

« Un sondage IFOP réalisé il y a quelques années dans la population générale a trouvé exactement le même résultat. Pourtant, un certain nombre d’études se sont intéressées à la dangerosité des psychédéliques et il en ressort que les psychédéliques sont parmi les drogues les moins dangereuses pour soi et pour les autres. A l’opposé, on voit que l’alcool, l’héroïne, le crack ou encore la cocaïne, la méthamphétamine et le tabac sont les plus dangereuses. Aussi, les psychédéliques ont un risque de dépendance très faible et ils ont le risque létal le moins fort. On a une dissociation complète entre ce que nous dit aujourd’hui la littérature et la pensée de la société et celle de certains médecins », commente l’intervenant.

 

On a une dissociation complète entre ce que nous dit aujourd’hui la littérature et la pensée de la société et celle de certains médecins

 

Outre ces a priori, une autre limite à l’utilisation des psychédéliques est d’ordre méthodologique. « En raison de l’effet des psychédéliques, dans les études, 9 participants et 9 médecins sur 10 savent ce qu’ils ont pris ou donné. C’est une limite très importante. Aujourd’hui, on ne sait pas faire d’études correctes en double aveugle », souligne le Dr Roméo.

 

En conclusion, pour le psychiatre, les psychédéliques sont prometteurs en addictologie mais il est nécessaire d’informer les professionnels de santé, les pouvoirs publiques et la société en général pour balayer les idées reçues.

 

« Les résultats nécessitent d’être répliqués mais globalement, les psychédéliques sont plutôt très prometteurs que ce soit dans les troubles de l’usage de l’alcool ou le tabagisme. Il y a globalement une bonne tolérance, peu d’effets indésirables graves. Il n’y a pas de décompensation de troubles psychiatriques sous psychédéliques. Et s’il y a des troubles psychotiques qui persistent, ce qui est extrêmement rare, c’est probablement que l’on était sur un terrain de base déjà pathologique. Aussi, il n’y a pas de montée de pression artérielle ou d’autres phénomènes graves sur le plan physique. Dans des contextes encadrés comme c’est le cas dans les études avec un accompagnement psychothérapeutique, aujourd’hui on ne peut pas dire que les psychédéliques sont un danger », précise l’addictologue.

 

Il y a globalement une bonne tolérance, peu d’effets indésirables graves. Il n’y a pas de décompensation de troubles psychiatriques sous psychédéliques

 

 

Le Dr Bruno Roméo n’a pas de lien d’intérêt en rapport avec le sujet.

 

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