Paris, France – Certains antiépileptiques, notamment le valproate, ne doivent pas être prescrits chez la femme enceinte en raison de leur effet tératogène. Mais comment arrêter ces traitements ? La réponse du Dr Lisa Vaugier, épileptologue (Marseille) lors des journées neurosciences
psychiatrie neurologie 2023 au Palais des Congrès à Paris [1].
Anticipation et programmation
Comment arrêter les antiépileptiques chez la femme enceinte ? « Le sujet est d’autant plus important qu’un tiers des 60 millions de patients épileptiques dans le monde sont des femmes en âge de procréer » a déclaré en préambule l’oratrice.
La gestion du traitement suppose une prise en charge globale, passant par une information adaptée et le plus souvent écrite – car les femmes épileptiques ont souvent des problèmes de mémoire –, une anticipation et une programmation de certaines périodes de la vie – en l’occurrence, des grossesses, a-t-elle continué. L’adaptation sera donc individuelle pour chaque femme.
L’information des femmes sur l’utilisation des antiépileptiques comme, par exemple, le valproate, et celui lié aux crises d’épilepsie pendant la grossesse est essentielle pour diminuer les risques et améliorer la prise en charge des grossesses de ces patientes.
La problématique de la contraception
Tout d’abord, il est important que les patientes comprennent la problématique de la contraception [2,3], car certains traitements antiépileptiques peuvent avoir un effet inducteur enzymatique et donc rendre celle-ci inefficace. C’est le cas de la carbamazépine.
A l’inverse, la lamotrigine ne semble pas modifier l’efficacité des contraceptifs oraux.
En revanche, les contraceptifs associant un progestatif et un estrogène peuvent réduire l’efficacité de la lamotrigine. « Ces deux problématiques, plus le fait que, parfois, les gynécologues ne prescrivent pas de contraception orale, font qu’il y a davantage de grossesses non-anticipées chez les patientes épileptiques », indique l’oratrice.
Ensuite, il importe de répéter que l’épilepsie n’est pas une contre-indication pour envisager une grossesse. En revanche, il faut connaitre le rôle tératogène des médicaments antiépileptiques, mais aussi le rôle neurodéveloppemental potentiel sur le fœtus, avec une augmentation très importante du risque d’autisme lorsqu’on utilise le valproate (Dépakine) et le topiramate (Epitomax) [4].
Il faut également savoir qu’il y a une augmentation du risque de décès chez la femme épileptique au cours de la grossesse [5]. « On passe en effet de moins de 1 décès pour 100 000 personnes à plus de 90 décès pour 100 000 chez la femme en âge de procréer », précise l’épileptologue.
Cela s’explique par le fait que les patientes peuvent être mal observantes de leur traitement autour de la grossesse, avec des arrêts inappropriés ou trop rapides, avec un risque de décès soudain (SUDEP pour Sudden Unexpected Death in Epilepsy). On note aussi un risque pour le fœtus avec des complications de la grossesse plus importantes : des menaces d’accouchement prématuré, des petits poids, ceci étant dû aux médicaments antiépileptiques mais également à l’épilepsie. D’où l’importance d’informer les patientes avant leur grossesse.
Outre le valproate, les polythérapies peuvent augmenter de 17% le taux de malformations chez l’enfant à naitre. Les plus évaluées sont celles de médicaments anciens, utilisant des inducteurs enzymatiques ou associant du valproate. De fait, quand une monothérapie n’est pas suffisante, mieux vaut privilégier la lamotrigine (Lamictal) et le lévétiracétam.
Autre information à donner aux femmes en âge de procréer : la grossesse et l’imprégnation hormonale qui en découle vont parfois améliorer les crises. « Ainsi 67% des femmes enceintes sont libres de crise – un pourcentage qui augmente jusqu’à 90%, s’il y avait une liberté de crise 1 an avant grossesse » ajoute la Dr Vaugier.
Par ailleurs, la littérature met bien en évidence que la connaissance par les femmes sur la maladie et sur les risques encourus de la grossesse est corrélée à la diminution des risques.
Projet de grossesse : quand arrêter les antiépileptiques ?
On sait que 65 à 80 % des patients sont pharmaco-sensibles donc ne font pas de crise sous traitement. Rémission spontanée ou contrôle par le traitement ? La question va se poser de l’arrêt du traitement. « Parmi les paramètres du dilemme, il faut prendre en compte que les patientes peuvent avoir peur de faire une crise – même 20 ans après –, le type de syndrome épileptique, le type de crises, le vécu des crises, les effets secondaires des traitements, le fait qu’ils soient compatible ou non avec un projet de grossesse, et le point de vue des patientes », liste la spécialiste.
Il existe un outil intéressant pour savoir quand arrêter le traitement, lequel se base sur une méta-analyse. Cette échelle (dite outil Lamberinck) permet de calculer le risque de récidive après avoir entré un certain nombre de paramètres.
« Chez la femme en âge de procréer, quand les patientes sont libres de crise depuis plus de 3 ans et qu’elles ne présentent pas une épilepsie myoclonique juvénile (EMJ) – pour laquelle le risque de récurrence est très important –, on peut envisager un sevrage d’antiépileptiques sous couvert de surveillance de l’EEG », signale l’oratrice.
« Dans les autres situations avec un risque élevé de récidive, on va moduler le traitement selon le projet de la patiente – car toutes n’ont pas forcément un projet de grossesse. Mais si c’est le cas, le mieux est d’anticiper, si possible deux ans auparavant et de privilégier une monothérapie en visant la dose minimale efficace », informe-t-elle.
Lorsque l’on se rapproche de ce projet de grossesse, il importe que le suivi soit spécialisé, rapproché, en ajoutant de l’acide folique – même si cela n’a pas montré une réduction très nette du risque de malformations. « Et on va viser un contrôle optimal des crises avant la grossesse ».
Le cas particulier du valproate
Rappelons que le valproate n’est plus indiqué en première intention chez les femmes en âge de procréer mais qu’il peut être utilisé dans les épilepsies généralisées génétiques, en particulier dans les EMJ, en l’absence de projet de grossesse, et en fournissant une information écrite à la patiente.
Si une femme sous valproate mentionne un projet de grossesse, alors l’arrêt doit être progressif sur 1 à 2 ans. « En cas de forte dépendance au valproate avec des salves de crises, on peut être amené à gérer une grossesse sous Dépakine mais à faible dose – mais cela concerne très peu de patientes – avec une prise de relai par lamotrigine ou lévétiracétam, et une surveillance rapprochée (clinique, EEG + dosages) ».
Dans le cas de la carbamazépine – utilisée dans l’épilepsie partielle –, on va doser ce médicament au cours de la vie de la femme, et diminuer progressivement les doses. « On réalise parfois des grossesses sous carbamazépine à petites doses si besoin, en raison d’aggravations, de dépression en cas de sevrage complet ».
En ce qui concerne la lamotrigine, il existe un effet dose avec une augmentation du risque de malformations quand on dépasse 200 mg. On conseille donc de diminuer progressivement tout en dosant le médicament dans le sang.
Dans le cas des polythérapies, il faut prendre du temps, en discuter et simplifier les traitements. Dans le cas des épilepsies partielles, il est possible de demander un bilan pré-chirurgical ce qui permet de simplifier les traitements et toujours mettre en place une surveillance rapprochée.
En conclusion, « les femmes doivent bénéficier du meilleur traitement pour elles – même si elles ont un jour à envisager une grossesse –, et que ce traitement soit adapté individuellement. Il est important de bien les informer, y compris par écrit, et de garder en tête le risque de SUDEP chez la femme enceinte épileptique, qui n’est pas négligeable avec la modification des traitements », a indiqué la Dr Vaugier.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Comment arrêter les antiépileptiques chez la femme enceinte ? - Medscape - 27 juil 2023.
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