Paris, France – Lors d’un webinaire organisé par la Société française du Cancer (SFC), deux responsables de l’Institut Curie ont exprimé leurs réticences sur le projet de loi sur la fin de vie annoncé par Emmanuel Macron d’ici à la fin de l’été. « Donner la mort a un impact sur les soignants ! », affirment le Pr Carole Bouleuc et le Dr Alexis Burnod, inquiets des conséquences qu’entraînerait une évolution réglementaire pour les soignants et désireux avant tout de renforcer les soins palliatifs.
Enjeux éthiques d’une éventuelle loi sur la mort médicalement administrée
Le serment d’Hippocrate est sans appel : « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Le verdict de la récente Convention citoyenne sur la fin de vie est tout aussi clair : une majorité (75,6%) des 184 Français tirés au sort s’est déclaré en faveur de l’aide médicale à mourir. Face à cette puissante demande sociétale de pouvoir recourir à l’euthanasie ou au suicide assisté, quel projet de loi pourrait préserverait l’intégrité professionnelle des soignants et la demande des Français ?
La Pre Carole Bouleuc, oncologue, cheffe de département des soins palliatifs, et le Dr Alexis Burnod, chef de service des soins palliatifs, tous deux à l’Institut Curie, ont tenté de répondre à cette question et ont présenté les enjeux éthiques d’une éventuelle loi sur la mort médicalement administrée, lors d’un webinaire initié par la Société française du Cancer (SFC).
« Le gouvernement manifeste une forte volonté politique d’aboutir sur ce sujet et il est temps de se projeter sur cette réforme qui va déboucher sur une évolution de nos pratiques, affirme le Pr Bouleuc. Que l’on soit pour ou contre, il est important de réfléchir à l’organisation que l’on souhaite mettre en place dans le domaine de l’oncologie. »
Forte opposition des médecins
C’est peu dire que l’évolution du cadre réglementaire autour de la fin de vie ne fait pas l’unanimité chez les médecins. Le 1er avril dernier, l’Ordre national des médecins (Cnom) s’est déclaré « défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie, le médecin ne pouvant provoquer délibérément la mort par l’administration d’un produit létal ».
Cette procédure d’aide active à mourir ne devait en aucun cas être ouverte aux mineurs et aux personnes hors d’état de manifester leur volonté, selon le Cnom.
Avant l’Ordre et avant même que ne soient rendues publiques les conclusions de la convention citoyenne, une douzaine d’organisations et de sociétés savantes (dont la SFC) exprimaient déjà en février dernier leurs réserves dans un avis éthique.
« Considérer comme prioritaire la mise en œuvre de la mort médicalement administrée en réponse à une demande sociétale serait susceptible de davantage fragiliser des équipes soignantes confrontées au quotidien à des décisions complexes », affirmaient les sociétés savantes dès les premières lignes de ce rapport de 27 pages.
« Donner la mort ne peut pas être considéré comme un soin », affirme le Pr Bouleuc, citant les conclusions de ce rapport. L’oncologue ne cache pas ses « réticences » personnelles et son « appréhension sur la mise en place de l’aide à mourir pour raison médicale ».
Car si elle contrevient au serment d’Hippocrate et au code de santé publique, une telle évolution de la loi ne serait pas sans conséquence sur les professionnels de santé. « Dans tous les pays qui ont légalisé une forme de mort administrée, il y a toujours un soignant qui participe à la réalisation de l’acte, à une prescription ou à une évaluation. »
Et leur imposer un tel acte est tout sauf simple. Dès 2013, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) indiquait dans un avis être défavorable à la législation d’une aide à mourir, rappelle Carole Bouleuc : « Donner à une personne en fin de vie la possibilité de se donner la mort pour respecter sa volonté reste et demeurera toujours un acte d’une extrême gravité et la société, lorsqu’elle s’en remet aux médecins de le faire, leur confie la tâche la plus lourde que l’on puisse concevoir. Aucune réforme ne pourra jamais l’ignorer. »
A l’étranger, une envolée des cas sous la pression sociale ?
A l’heure de légiférer, la France se trouve donc à un moment charnière. « Qu’on le veuille ou non, on instaure un changement de la norme sur le mourir, observe le Pr Bouleuc. On adresse un message symboliquement très négatif sur le handicap et la dépendance. Celui selon lequel, si on est en fin de vie, il est préférable de se donner la mort. »
L’oncologue redoute que ce nouveau cadre puisse entraîner des « pressions sur les personnes les plus vulnérables ».
Le retour d’expérience des pays ayant autorisé l’euthanasie ou le suicide assisté n’apporte pas de garanties suffisantes aux yeux des experts. Le Dr Alexis Burnod observe qu’en Belgique et aux Pays-Bas (en 2002) ou encore au Canada (en 2016), le nombre de décès par euthanasie n’a cessé d’augmenter ces dernières années (+ 10% en Belgique entre 2021 et 2022, +20% aux Pays-Bas entre 2017 et 2021, +900% au Canada entre 2016 et 2021 !). Les euthanasies représentent entre 2,5% de l’ensemble des décès en Belgique en 2022 à 4,6% aux Pays-Bas. Dans la majorité des cas, le cancer était la pathologie dominante et la demande émanait de patients âgés (70% avaient plus de 70 ans en Belgique).
« Il y a eu des alertes aux Pays-Bas et au Canada pour qu’il y avait une perte de contrôle des euthanasies dont le nombre est croissant quand celui des suicides assistés augmente plus lentement. Ces pays rencontrent des difficultés à mettre le curseur pour savoir ce qui est acceptable ou pas comme raison d’acte d’euthanasie », affirme le Dr Burnod. Cette hausse croissante des cas d’euthanasies interroge le chef de service des soins palliatifs de l’Institut Curie, qui observe un « effet contagieux dans certains cantons » : « on peut se demander si ces demandes sont l’effet d’une pression sociale. »
La France va devoir faire un choix de société important. « On va demander à des médecins de faire mourir sur rendez-vous des gens qui auraient dû mourir plus tard de mort naturelle. […] On est loin de l’exception d’euthanasie de départ. »
Faut-il plus de garde-fous ?
En dépit des réticences d’une grande partie des médecins, Agnès Firmin Le Bodo affiche une volonté très claire d’aller jusqu’au bout pour faire adopter cette loi. La ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé a tout de même ouvert un espace de dialogue avec les professionnels de santé.
Un groupe de travail incluant les sociétés savantes planche ainsi sur des points techniques : comment évaluer le discernement, le pronostic vital, le niveau de la souffrance ?… Comment assurer la collégialité dans l’examen des demandes d’aide à mourir ?
Pour l’heure, le ministère de la Santé a fixé plusieurs préalables incontournables au recours à l’euthanasie : l’incurabilité de la maladie et le pronostic engagé à moyen terme, l’obligation pour le patient d’être en capacité de discernement (sont ainsi exclus les mineurs et patients souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques). Enfin, cette demande d’aide active à mourir ne pourra pas être inscrite dans les directives anticipées.
La SFC souhaiterait que plusieurs garde-fous supplémentaires soient instaurés. « Nous proposons que l’aide médicale à mourir ne soit pas considérée comme un soin, affirme le Pr Bouleuc et nous voudrions que cet acte émane d’une structure indépendante du circuit de soins classique avec des médecins et soignants volontaires, qu’elle fasse l’objet d’une procédure d’évaluation pluriprofessionnelle et que la décision soit prise par une commission idéalement présidée par un magistrat ».
La priorité, les soins palliatifs
Le gouvernement sera-t-il sensible à ces demandes ? Agnès Firmin-Le Bodo a déclaré fin juin qu’il n’existait pas de modèle européen « duplicable, in extenso, dans notre pays ». La ministre déléguée s’est dit « particulièrement attachée à trouver un équilibre entre l’ouverture de ce nouveau droit pour les Français et les préoccupations légitimes des professionnels de santé ».
Plutôt que d’intervenir sur la fin de vie, les deux représentants de l’institut Curie trouveraient plus pertinent de renforcer l’offre de soins palliatifs insuffisamment étoffée en France. Vingt-et un départements ne disposent toujours pas d’unité de soins palliatifs, rappellent Alexis Burnod dans une récente tribune publiée dans Le Monde , qu’il a cosignée avec Yves-Marie Doublet et Louis Puybasset.
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Crédit de Une : Dreamstime
Citer cet article: « Donner la mort n’est pas un soin » : deux médecins expriment leurs réserves sur le projet de loi sur la fin de vie - Medscape - 14 août 2023.
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