POINT DE VUE

10 comportements qui sabotent les efforts de nos patients à perdre du poids

Pr Yoni Freedhoff

Auteurs et déclarations

9 août 2023

Existe-t-il des pathologies autres que l'obésité pour lesquelles les médecins, ne serait-ce que par inadvertance, « sabotent » régulièrement les efforts de leurs patients ?

Dans le cas des personnes souffrant d'obésité, je crois que les soignants, parfois avant même de rencontrer leur patients, font et disent des choses qui peuvent réduire à néant les efforts à perdre de poids. Voici ce que je considère comme les 10 principaux comportements des médecins ayant un impact négatif en la matière. Une liste qui est, sans aucun doute, non exhaustive :

Avoir un cabinet de consultation qui est une source d’anxiété, ou d'exclusion et de phobie pour les personnes souffrant d'obésité ; cela peut impacter la confiance et la conversation à venir avec le médecin. Il peut s'agir, par exemple, d’une salle d'attente qui n'est pas équipée de chaises adaptées aux personnes en surpoids, qui propose des lectures telles que des magazines de fitness glorifiant des régimes malsains et des idéaux corporels inatteignables. Autre exemple : lorsque la balance se trouve dans une zone non privée du cabinet et dont le plateau est très étroit, ou dont le poids maximal est inférieur à celui de certains patients.

Ne pas s'informer des antécédents du patient. Les médecins se lancent régulièrement dans un discours du type « vous devriez vraiment perdre du poids » sans explorer les antécédents du patient en matière de perte de poids, ni s'informer des facteurs socio-économiques. Dans certains cas, le patient peut avoir des antécédents de trouble du comportement alimentaire ou de dysmorphie corporelle. La discussion doit alors être abordée avec précaution, en tenant compte de ces faits qui détermineront la marche à suivre. Dans d'autres cas, les déterminants sociaux font que des efforts pour changer les habitudes de vie sont un luxe que certains patients ne peuvent pas se permettent. Et parfois, ces mêmes patients peuvent déjà maintenir une perte de poids cliniquement significative par rapport à leur poids maximal. Dans tous les cas, le fait de ne pas discuter avec vos patients, ou de parler à leur place, ne permettra pas d’augmenter votre capital confiance ou de les voir suivre vos conseils.

Donner des conseils diététiques inutiles. Les conseils les plus fréquents et les plus inutiles sont les "rengaines" sur la nécessité de manger moins et de bouger plus. C'est à peu près aussi utile que de dire à quelqu'un que pour gagner de l'argent, il faut acheter à bas prix et vendre à prix élevé... ou de dire à une personne dépressive qu'elle doit se remonter le moral et voir le bon côté des choses…

Donner des conseils uniquement sur des régimes spécifiques (cétogène, végan, hypoglucidique, faible teneur en graisses, jeûne intermittent… peu importe) comme si c'était la seule ou la meilleure façon de perdre du poids. Les recherches sont claires : il n'existe pas de meilleure approche alimentaire, et le meilleur régime pour une personne peut être le pire pour une autre. Pourtant, certains cliniciens sont eux-mêmes des adeptes de certains régimes et en prônent un plutôt qu'un autre. Bien entendu, beaucoup de patients peuvent avoir déjà essayé une approche diététique que d'autres n'apprécieront pas, mais le fait de privilégier un régime par rapport à tous les autres risque de conduire à un échec.

Refuser de prescrire des médicaments aux patients qui répondent aux critères cliniques d'utilisation, en particulier maintenant qu'il existe des traitements médicamenteux réellement utiles et efficaces. Ces mêmes cliniciens refusent-ils de prescrire des antihypertenseurs ou des hypoglycémiants oraux aux patients dont la tension artérielle ou la glycémie mettent leur santé en danger ? Il semble que ces médecins ne prennent pas la peine de s'informer suffisamment sur les options pharmaceutiques contre l'obésité pour se sentir à l'aise de les prescrire. Et ce, malgré le fait que, statistiquement, plus de 30 % de leurs patients souffrent d'obésité et que les enquêtes suggèrent qu'au moins la moitié d'entre eux entreprennent chaque année des efforts pour perdre du poids. Si un patient répond aux critères cliniques de l'indication (approuvée) d'un médicament et qu'un médecin refuse de le prescrire en raison de ses convictions personnelles, il y a, à mon avis, matière à déposer une plainte auprès de l’Ordre.

Être alarmisme sur les effets indésirables (ou inconnus) des médicaments. La couverture médiatique des nouveaux médicaments contre l'obésité est pour le moins alarmiste, et ce pour des raisons que je ne comprends pas, étant donné que ces thérapeutiques sont bien tolérées lorsque la titration de la dose est lente, surveillée et ajustée de manière appropriée. De nombreux médecins ne se contentent pas d'adhérer aux récits des médias, ils les propagent également.

Arrêter le traitement après la perte de poids. C'est ce que j'entends régulièrement dans ma pratique. Pourtant, arrêtez-vous également les médicaments antihypertenseurs lorsqu'ils normalisent la tension artérielle d'un patient ? Les maladies chroniques nécessitent un traitement continu à long terme.

Prescrire des médicaments qui entraînent une prise de poids, plutôt que des traitements alternatifs qui n'en provoquent pas. Ne pas parler de ces effets secondaires ou ne pas prescrire de façon concomitante un médicament pour contrer cette prise pondérale est une erreur. Des antipsychotiques atypiques aux antidépresseurs, en passant par certains médicaments antiépileptiques et antihypertenseurs, il a été démontré que certains traitements entraînent parfois une prise de poids spectaculaire. Pourtant, les médecins continuent de les prescrire régulièrement à des patients obèses sans essayer d'abord des alternatives qui n'entraînent pas de prise de poids, ou sans au moins surveiller puis envisager la prescription d'un médicament anti-obésité pour tenter d'atténuer cette prise de poids iatrogène.

Fixer des objectifs de perte de poids irréalistes. Sans médicament, une personne moyenne peut perdre 10 % de son poids par des efforts uniquement comportementaux, 15 % à 20 % en ajoutant des médicaments à ces changements comportementaux, et 30 % en ajoutant la chirurgie bariatrique à ces efforts. Alors pourquoi tant de médecins suggèrent-ils des objectifs qui dépassent largement ces moyennes ? Imaginez que vous souhaitez apprendre à courir et que votre entraîneur vous dise, au début de votre entraînement, que votre objectif est de faire un marathon avec un temps de qualification du marathon de Boston ! L'objectif devrait être que la personne atteigne le poids qu'elle souhaite et mène la vie la plus saine possible, et non qu'elle se lance dans un marathon pour perdre du poids.

Ne pas discuter de toutes les options avec tous les patients. Il est vrai que l'alimentation et l'exercice physique influent sur le poids, mais cela ne signifie pas que les patients qui remplissent les critères médicaux pour les médicaments contre l'obésité ou la chirurgie bariatrique ne doivent pas être informés des options qui s'offrent à eux. Notre travail en tant que médecins est d'informer pleinement nos patients sur les risques et les avantages de toutes les options thérapeutiques, et de les soutenir dans leur décision quant à l'option qu'ils souhaitent choisir (y compris aucune, d'ailleurs). Notre travail n'est pas d'exclure la discussion sur les options qui ont fait leurs preuves et qui sont disponibles parce que nos préjugés sur le poids nous amènent à ne pas y croire personnellement ― ou pire, à penser que les patients n'ont pas tenté à plusieurs reprises auparavant de modifier leur alimentation ou de faire de l’exercice.

Jusqu'à récemment, le manque de traitements efficaces a certainement favoriser les préjugés contre les patients en surpoids et cela a probablement contribué au manque de formation des médecins sur la prise en charge de l'obésité ― en dépit d’une prévalence extrêmement élevée. Mais les temps changent. Avec l'arrivée de nouveaux médicaments, nous verrons la formation médicale s'améliorer. Entre-temps, l'efficacité de ces traitements contribuera certainement à dissiper les préjugés (dont certains ont été énumérés ci-dessus). D'ici une ou deux décennies, l'obésité sera traitée comme toutes les autres maladies chroniques non transmissibles, grâce à des internentions sur le mode de vie ― avec des soins centrés sur le patient, sans jugement ni reproches ― et une myriade d'options thérapeutiques que les médecins pourront prescrire de manière objective, et non subjective.

 

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