Marseille, France – Parce que fréquentes et à l’origine de fortes répercussions sur la qualité de vie et la scolarité, les dysménorrhées chez les adolescentes doivent être dépistées par une anamnèse adaptée.
La Société française de pédiatrie a souhaité mettre à plat les algorithmes diagnostique et thérapeutique en 2023. A cette fin, la Dre Valérie Bélien Pallet (Unité de médecine des adolescents – service de pédiatrie, Hôpital Jean Verdier, Bondy) a rédigé un « Pas à Pas », qu’elle présentait lors du congrès de la Société française de pédiatrie [1].
90 % de dysménorrhées primaires
Les dysménorrhées sont des douleurs abdomino-pelviennes à type de crampes, en lien avec le cycle menstruel, pouvant irradier en régions lombaire crurales ou inguinales.
Alors que 50 à 90 % des adolescentes en souffrent, « ces douleurs sont parfois, voire souvent, banalisées, d’autant plus qu’elles sont d’intensité légère à modérée ou parce qu’elles sont considérées à tort par les adolescentes elles-mêmes – ou par les soignants – comme inévitables », regrette la Dre Bélien Pallet.
Ces douleurs retentissent sur la qualité de vie et sont sans conteste une cause d’absentéisme scolaire, voire de renoncement à certaines activités sociales et sportives.
50 % des dysménorrhées de l’adolescente sont d’intensité modérée à sévère. Entre 10 et 25 % sont invalidantes et résistantes au traitement symptomatique usuel [2]. « 90 % sont des dysménorrhées primaires, précise la spécialiste, mais les formes secondaires doivent être suspectées lorsqu’elles débutent dès les premières menstruations ou chez une adolescente connue pour avoir une malformation utéro-vaginale [3]. »
L’anamnèse, de toute première importance
L’anamnèse permet de caractériser le type de dysménorrhées (localisation, cinétiques d’apparition et d’évolution), leur intensité (échelle EVA…), leur retentissement (scolaire et social), les éventuels symptômes associés, les antalgiques déjà testés et leur niveau d’efficacité (sans oublier l’utilisation de bouillottes, de bains, etc.).
L’âge des premières menstruations compte, ainsi que la notion de malformation urogénitale connue, l’entrée éventuelle dans la sexualité et l’utilisation ou le besoin d’une contraception. Il faut s’enquérir auprès des parents des antécédents familiaux d’endométriose chez les ascendantes, et de potentielles contre-indications aux oestro-progestatifs (antécédents ou facteurs de risque thrombotique et de migraine avec aura, personnels ou familiaux).
« Plusieurs diagnostics différentiels doivent être évoqués, énumère la pédiatre, devant une symptomatologie digestive ou articulaire associée, suggérant un diagnostic gastroentérologique comme une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) ou rhumatologique (sacro-iliite, par ex.) ».
La persistance des douleurs sous traitement bien conduit doit intriguer et faire suspecter des situations de harcèlement, de maltraitance ou de violences sexuelles (« expériences négatives de l’enfance » - ACE, Adverse Childhood Experience). Il est en effet démontré qu’elles sont un facteur de risque de dysménorrhées et de douleurs pelviennes chroniques à l’adolescence et plus tard, à l’âge adulte.
Et si l’adolescente a débuté une activité sexuelle, il faut envisager un dépistage des infections sexuellement transmissibles, un dosage de ß-HCG et proposer une contraception.
Dans le cas de dysménorrhées associées à des saignements utérins abondants [4], un bilan biologique est indiqué (NFS dont plaquettes, ferritine, dosage de ß-HCG, bilan d’hémostase, +/- bilan hormonal orienté/irrégularité du cycle), ainsi qu’une échographie pelvienne. Le traitement consiste alors en un progestatif par dydrogestérone (1cp de 10 mg matin et soir du 16e au 25e jour lorsque les symptômes sont modérés), en l’absence de besoin contraceptif, et en association avec l’acide tranexamique. Sinon, les contraceptifs oestro-progestatifs sont indiqués.
La conduite thérapeutique en cas de dysménorrhées primaires
Les dysménorrhées primaires sont favorisées par la synthèse accrue de prostaglandines lors de la chute de la progestérone, en fin de deuxième partie de cycle. Celles-ci provoquent des contractions utérines, des vasoconstrictions et des ischémies musculaires utérines douloureuses.
Elles n’apparaissent généralement pas dès les premières menstruations, mais au cours des deux premières années, une fois les cycles devenus ovulatoires. Ces douleurs, isolées et de courte durée, sont dites protoméniales, c’est-à-dire qu’elles surviennent avant ou pendant les premiers jours des menstruations.
Lorsque les dysménorrhées sont isolées et de faible intensité (EVA ≤ 3/10), avec un examen clinique rassurant, aucun examen complémentaire n’est nécessaire à ce stade. Lorsque des traitements symptomatiques tels que le paracétamol et le phloroglucinol sont jugés suffisants par l’adolescente, il n’y a pas lieu de modifier le traitement.
Dans le cas contraire, ou lorsque l’intensité est modérée (EVA ≥ 4/10) voire sévère (EVA ≥ 8/10), les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont indiqués : dès l’apparition des dysménorrhées, sans limite d’âge, l’ibuprofène 10 mg/kg (200 mg entre 20 et 40 kg et 400 mg à partir de 40 kg) 3 fois/jour ; à partir de 12 ans, l’acide méfénamique 250 mg 1 à 2 gélules 3 fois/jour ; à partir de 15 ans le flurbiprofène 100 mg 1 cp 2 à 3 fois/jour. Les AINS sont à prendre dès les prémices des douleurs menstruelles puis systématiquement durant les 2-3 premiers jours et ensuite uniquement en cas de douleurs.
En cas d’antalgie insuffisante par les AINS, l’échographie pelvienne permet de vérifier l’intégrité des structures et l’absence/présence de kystes ovariens. Si l’échographie pelvienne est normale ou le(s) kyste(s) ovarien(s) sont d’allure fonctionnelle, une contraception œstroprogestative (COP) en séquentiel voire en continu est préconisée, en l’occurrence une pilule de 2e génération, en l’absence de contre-indications (antécédents personnels ou familiaux de thrombose, de thrombophilie ou de migraine avec aura, atteinte hépatique ou carcinologique).
A noter, le tabagisme n’est pas une contre-indication à la COP avant l’âge de 35 ans. En cas de réelle contre-indication, un microprogestatif en continu est préféré. Une consultation de suivi est à prévoir d’emblée, avec la consigne pour l’adolescente de remplir un calendrier menstruel, de recueillir et d’évaluer l’intensité des symptômes douloureux et l’effet des traitements instaurés.
En revanche, si les kystes ovariens sont d’allure organique (structure tissulaire ou mixte, présence de cloison, persistance du kyste au-delà de 3 mois), l’adolescente doit être orientée vers une consultation chirurgicale spécialisée (chirurgie viscérale ou gynécologique, en fonction des possibilités locales).
10 % des dysménorrhées chez l’adolescente sont secondaires
La question d’une éventuelle malformation utéro-vaginale (utérus pseudo-unicorne, hémi-utérus, cloison vaginale, atrésie vaginale partielle) doit être soulevée et explorée au moyen d’une échographie pelvienne et rénale (+/- malformation ou malposition rénale) et, dans cette éventualité, l’adolescente adressée en centre de référence gynécologique.
Un hématocolpos doit également être évoqué, devant la récidive de douleurs pelviennes cycliques intenses et se majorant, sans survenue des menstruations. Il se forme le plus souvent sur une imperfection hyménale et relève des urgences gynécologiques. L’autre possibilité diagnostique est l’endométriose [5], dont le risque est multiplié par 5 lorsqu’elle est présente chez les ascendantes.
« Si la prévalence, variable selon les populations étudiées, se situe autour de 5 % parmi les adolescentes en population générale, elle est estimée à 50 % parmi celles qui se plaignent de dysménorrhées sévères, précise Valérie Bélien Pallet. La recherche de foyers d’endométriose superficielle, notamment de localisation ovarienne (endométriome) doit être recherchée, par échographie pelvienne sus-pubienne ou, lorsque l’adolescente est active sexuellement, par examen gynécologique et échographie intravaginale. »
Si la douleur persiste, associée à une symptomatologie urinaire ou digestive, alors même que l’échographie est normale, c’est peut-être une endométriose profonde. A cette intention, un avis gynécologique spécialisé et la réalisation d’une IRM pelvienne en centre de référence s’avèrent indispensable. Mais prudence, car « une imagerie normale n’élimine pas une endométriose, surtout à l’adolescence », insiste-t-elle. Lorsque la présomption clinique est forte – avec ou sans confirmation diagnostique – l’aménorrhée thérapeutique par un COP de 2e génération en prise continue relève de la 1ère intention (microprogestatifs ou implants progestatifs si contre-indication aux COP).
« Les analogues de la GnRH sont contre-indiqués chez l’adolescente de moins de 16 ans dans cette indication (<18 ans selon l’AMM), précise la Dre Bélien Pallet. Prescrits en centre de référence, la durée du traitement est de 12 mois en association avec une add-back thérapie [introduction de faibles doses d'œstrogène ou d'œstro-progestatifs] par œstrogènes afin de prévenir la baisse de densité minérale osseuse. »
Pour leur part, les dysménorrhées réfractaires peuvent être évaluées en unité douleur, voire en consultation de médecine de l’adolescent.
Enfin, la Dre Bélien y tient : « il ne faut pas négliger l’importance d’une approche globale, bio-psycho-sociale [6] et les thérapies complémentaires non médicamenteuses. Les approches psychocorporelles (relaxation, yoga, psychomotricité) ou le traitement par neuromodulation transcutanée (TENS au moyen d’appareils portatifs), ainsi que l’activité physique régulière peuvent soulager. »
Liens d’intérêts :
Le Dr Valérie Bélien Pallet (unité de médecine des adolescents, pédiatrie, Hôpital Jean Verdier ; Maison des adolescents CASITA, Hôpital Avicenne, Bobigny) déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en lien avec sa présentation.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Dysménorrhées à l’adolescence : pourquoi les dépister ? - Medscape - 10 juil 2023.
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