POINT DE VUE

Lecanemab autorisé aux Etats-Unis : un moment historique dans la lutte contre Alzheimer ?

Frédéric Soumois

Auteurs et déclarations

10 juillet 2023

Bruxelles, Belgique – Alors que l’agence européenne du médicament n'a pas encore rendu son avis sur l'approbation de l’anticorps monoclonal lecanemab dans la maladie d’Alzheimer, la FDA vient finalement d’octroyer une AMM « validée » à ce nouveau traitement, qui délivré à un stade précoce semble ralentir légèrement la progression de la maladie chez certains patients. Cette nouvelle autorisation, qui suit l’AMM accélérée délivrée par l’agence américaine en janvier 2023, permet de rendre le médicament plus accessible via le système fédéral d’assurance santé des EU.

Pour rappel, l’anticorps protofibrille expérimental anti-amyloïde bêta (Aβ) cible les accumulations de protéines amyloïdes dans le cerveau des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, les marquant pour être éliminées par le système immunitaire. L’AMM s’appuie sur les résultats de l’essai de phase III Clarity AD, qui avaient fait grand bruit fin 2022 en montrant une réduction du déclin clinique cognitif et fonctionnel par rapport au placebo de 27 % à 18 mois et en rapportant des améliorations significatives à partir de 6 mois.

Pour la première fois avec le lecanemab, il est vrai que, outre son effet confirmé sur l’amyloïde, il y a un très léger bénéfice clinique qui semble cohérent.

 

Dr Jean-Christophe Bier

L’enthousiasme autour de cette molécule est-il justifié ? « C’est encore trop tôt [pour le dire]», tempère le Dr Jean-Christophe Bier, neurologue à l’hôpital universitaire Erasme (ULB) et spécialiste de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer, interrogé par nos confrères de MediQuality. Interview.

Est-on face à une annonce excessive concernant ce médicament ? 

Dr J-C. Bier : À mon avis, il est trop tôt pour dire que c’est le début de la fin pour la lutte contre la maladie d’Alzheimer. Mais c’est néanmoins une bonne nouvelle dans un monde très sombre. Ce n’est pas le premier essai clinique à annoncer la destruction de la plaque amyloïde. Il y en a eu d’autres avant, dont l’aducanumab, que la FDA a reconnu en procédure accélérée parce que détruisant justement la plaque amyloïde, alors que les résultats cliniques de phase 3 montraient des effets plus que discutables.

Pour la première fois avec le lecanemab, il est vrai que, outre son effet confirmé sur l’amyloïde, il y a un très léger bénéfice clinique qui semble cohérent. C’est cela qui est neuf. Pour la première fois, on dispose d’un produit qui agit sur ce que l’on pense être la cause de l’affection, mais qui en plus, en clinique et sur la durée de 18 mois, montre un bénéfice dans la population traitée. Attention quand on parle de « bénéfice » : les gens qui le prennent ne vont pas mieux, ils continuent à se dégrader, mais ils se dégradent moins vite que ceux qui ne le prennent pas. 

Attention quand on parle de « bénéfice » : les gens qui le prennent ne vont pas mieux, ils continuent à se dégrader, mais ils se dégradent moins vite que ceux qui ne le prennent pas.

La molécule ne fait donc que ralentir l’évolution de la maladie ?

Dr J-C. Bier : Il est toujours léger de se prononcer sur la base d’une seule étude. Mais c’est un produit qui semble, outre son effet sur la cause probable de l’affection, avoir des résultats auprès d’une population assez sélectionnée, en ralentissant la vitesse à laquelle la maladie évolue.

Une population sélectionnée de quelle manière ? 

Dr J-C. Bier : Ce sont des patients ultra-précoces. Ce sont des patients paucisymptomatiques, donc précoces ultra-sélectionnés. Il semble que parmi ces patients, ceux qui ne sont pas porteurs du gène ApoeE e4 en bénéficient davantage. Quoi qu’il en soit, dans l’étude globale, les deux points positifs sont d’abord qu’il montre un effet clinique – et c’est à mon sens la première fois que cela est démontré pour une molécule de ce type – et que cela dure 18 mois. Ce qui peut paraître long mais en même temps court pour une population très précoce et peu symptomatique. L’autre avantage, c’est que lorsque l’on compare les courbes d’évolution de la maladie, celle de la molécule et du placebo semblent se dissocier entre 3 et 6 mois. Donc un impact qui a l’air de s’accroître avec le temps de prise.

Comment ces patients-là ont-ils été détectés ?

Dr J-C. Bier : Par un marqueur amyloïde via une ponction lombaire ou un pet-scan. Et la plupart affichent une faiblesse en mémoire. Ils ne sont donc pas le produit du dépistage le plus classique que l’on pratique aujourd’hui.

D’autres inconvénients ?

Dr J-C. Bier : Il y a des effets secondaires qui peuvent être importants. C’est un traitement relativement lourd, deux fois par mois par intraveineuse. Le prix n’est pas encore défini mais évalué à près de 25 000 euros par an par patient. Et ce pour un médicament qui ne guérit pas l’affection mais semble seulement ralentir la vitesse à laquelle la maladie évolue. Il reste encore beaucoup d’interrogations sur la manière dont il agit. 

Il y a des effets secondaires qui peuvent être importants.

Sur la cause de la maladie, la vision scientifique change...

Dr J-C. Bier : C’est un sujet qui est encore plus incertain qu’il ne l’était il y a 20 ans. Il y a davantage de doutes aujourd’hui sur l’hypothèse amyloïde de l’affection, même si cela reste la thèse prédominante. Pour de nombreuses raisons, dont celle que les quelques rares formes d’Alzheimer génétique sont toutes liées à la cascade amyloïde. Une publication islandaise montre également que découper l’amyloïde autrement préserve de la maladie. Il y a de nombreux arguments, notamment génétiques, qui plaident pour que l’amyloïde soit effectivement la cause de la maladie. Mais par quelle voie et par quel mécanisme ? Cela reste ultra-discuté. Certains affirment même que les plaques seraient en fait un mécanisme protecteur plutôt qu’aggravant. Ce sont là des sujets actuels de recherche avancée sur la maladie. Car jusqu’ici tous les traitements qui « nettoient » l’amyloïde dans le cerveau ont échoué à améliorer les symptômes du patient. Jusqu’au lecanemab. C’est ce en quoi cela pourrait être un tournant dans la recherche, mais seul l’avenir pourra confirmer cette première étude clinique.

L’avenir, ce serait quoi ? Combiner plusieurs anti-amyloïdes ?

Dr J-C. Bier : Plutôt de combiner anti-amyloïde et autres anti-tau, l’autre protéine toxique impliquée dans la maladie. Et surtout continuer à promouvoir ce qui n’est pas médicamenteux. Car cette prise en charge, aussi efficace et humaine que possible, n’est pas promue dans notre société. Du soutien, de l’aide, de la formation des aidants sont des éléments qui aident les patients et aussi leurs proches. Former à la gestion des émotions, encadrer les aidants proches est la seule méthode qui ait démontré un retard à l’institutionnalisation de patients de près de deux ans. C’est un résultat gigantesque, y compris financièrement. Le fait que ce ne soit ni un médicament ni un acte technique rend sans doute les choses compliquées pour être globalement mis en œuvre. C’est de plus une prise en charge qui ne s’adresse pas au patient mais à son entourage. Et là notre système de remboursement n’est pas du tout adapté pour cela. On l’accepte pour les enfants, mais pas pour les malades d’Alzheimer. 

Penser qu’il y aura un médicament-miracle qui solutionne les questions autour de la maladie d’Alzheimer n’est pas totalement irréaliste dans un futur lointain, mais on en est aujourd’hui vraiment très loin. 

Former à la gestion des émotions, encadrer les aidants proches est la seule méthode qui ait démontré un retard à l’institutionnalisation de patients de près de deux ans.

 

Cet article a initialement été publié sur Mediquality.net, membre du réseau Medscape. Adapté par Aude Lecrubier.

 

 

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