Paris, France—Si l’éthique en médecine est ancestrale, les lois qui régissent la bioéthique sont beaucoup plus récentes. Malgré ces cadres, les médecins et chercheurs sont constamment confrontés dans leur exercice à des dilemmes.
Après un rappel historique, le Dr Hervé Chneiweiss, neurologue et président du comité d’éthique de l’Inserm, a débattu de cas concrets avec des cancérologues lors d’un récent webinar organisé par la Société française du Cancer (SFC).
Comment faire réaliser des tests déterminant la susceptibilité au cancer tout en respectant la vie privée de la personne ? Certains tests génétiques ne risquent-ils pas de dévoiler des aspects de la vie privée en rendant les données génétiques identifiantes ?
Dans le cas du séquençage de l’exome en cancérologie, que faire des découvertes fortuites ou non sollicitées ? Faut-il divulguer la découverte d’une autre pathologie que le cancer ?
A ces questions et à beaucoup d’autres, le Dr Hervé Chneiweiss, neurobiologiste et neurologue, président du comité d'éthique de l'Inserm et directeur du laboratoire Neuroscience Paris Seine (Sorbonne université-CNRS-INSERM), a apporté des éléments de réflexions devant des collègues de la Société française du Cancer (SFR).
D’Hippocrate à Nuremberg
« Pourquoi des médecins, des chercheurs, devraient se poser des questions éthiques alors que notre vocation devrait faire que nous sommes des gens de bien ? », a lancé en préambule des échanges le Dr Chneiweiss.
Si l’éthique fait partie intégrante de la médecine depuis Hippocrate, elle ne fait l’objet de législations que depuis moins d’un siècle. Une évolution que le Pr Eric Kandel, prix Nobel en neurosciences, estimait indispensable : « la capacité des gens à faire le bien rend l’éthique biomédicale souhaitable, leur capacité à faire le mal rend l’éthique biomédicale nécessaire. »
L’un des trois grands temps de l’élaboration de la réflexion éthique a été le procès de Nuremberg des médecins nazis à la fin de la Seconde guerre mondiale à la suite des expérimentations menées dans les camps de concentration, a rappelé le Dr Chneiweiss. Ce procès retentissant a donné naissance en 1947 au code de Nuremberg dans lequel ont été inscrits les premiers principes intangibles de l’éthique médicale : l’évaluation de la bienfaisance (rapport bénéfice-risque), le respect de la dignité humaine avec la demande d’un consentement libre et éclairé, et enfin la justice (pour s’assurer que les études soient utiles à la société).
Les spécialistes du cancer à la pointe
En 1964, l’Association médicale mondiale (AMM) a introduit une nouvelle notion selon laquelle l’intérêt de la personne prévaut sur celui de la science. Les comités d’éthique commencent à se mettre en place à travers l’Europe dont le CCNE qui verra le jour en 1983 en France.
Plusieurs lois de bioéthique vont se succéder après la loi Huriet-Sérusclat de 1988. Ces questions de bioéthique deviennent une préoccupation constante en France qui devient en 1997 l’un des 29 pays à signer la convention d‘Oviedo pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain.
Les spécialistes du cancer sont sans doute parmi ceux qui sont le plus investis dans les réflexions sur ce sujet. Un comité éthique et cancer (présidé par Axel Kahn de 2008 à 2019) a ainsi publié 42 avis.
« L’efficacité médicale pose des questions nouvelles, certaines d’entre elles d’ordre éthique, c’est-à-dire n’entrant ni dans les règlements juridiques, ni dans le cadre déontologique », résume ce comité, dans la présentation de ses missions.
Plusieurs questions éthiques se posent en effet régulièrement dans le cadre de la recherche sur le cancer, a relevé le Dr Chneiweiss, citant pêle-mêle la prévention primaire, l’accès aux essais cliniques ou aux médicaments innovants ou encore les cancers rares.
« On a très longtemps considéré l’individu comme un cancéreux, et pas comme une personne, on ne voyait que la maladie », a affirmé l’expert en éthique en réponse à un confrère.
De nombreuses questions
Les médecins qui suivaient le webinaire ont posé plusieurs questions très pointues au Dr Chneiweiss, révélatrices des tensions éthiques auxquelles ils sont confrontés dans leur pratique quotidienne.
«Jusqu’où peut-on aller dans l’information sur les risques lorsqu’on réalise un diagnostic moléculaire pour un enfant atteint d’une maladie qui peut renseigner sur une autre susceptibilité génétique chez les autres membres de la famille ? », a ainsi demandé l’un d’eux.
« C’est une question débattue et nous n’avons pas de guide de bonnes pratiques », a répondu avec humilité le Dr Chneiweiss. La création d’un site sur lequel des annotations permettraient de connaître le réel pathogène ou non a été évoqué.
« Sur la question de l’information de la parenté, il y a la balance entre le fait d’informer pour améliorer la santé et tomber dans la non-assistance à patients en danger. La personne a aussi le droit de ne pas savoir et cela n’est qu’un risque augmenté, pas une certitude. Bien malin celui qui est capable de donner une seule ligne de conduite ! ».
Deux modèles d’éthique
Le Dr Chneiweiss a par ailleurs été interpellé sur un récent conflit éthique qui a opposé plusieurs médecins, par tribunes interposées dans la presse.
Certains praticiens s'inquiétaient dans un premier texte de la volonté de mettre sur le marché ou d'utiliser des médicaments n'ayant pas suivi une évaluation EBM rigoureuse quand dans une autre prise de parole, des médecins rappelaient que dans certains cancers rares, il est difficile d'avoir des cohortes suffisantes pour démontrer rigoureusement une efficacité. Et ils demandaient à pouvoir permettre aux patients qui le souhaitent de "tenter quelque chose".
« Deux formes d’éthiques s’opposent, a répondu le neurobiologiste : l’une, européenne, dans laquelle on essaie de partir de principes généraux valables pour tous, face à une vision anglo-saxonne qui donne le primat au choix de la personne informée […]. Pour les cancers rares, l’essai clinique classique en double aveugle avec double insu et contre placebo n’a plus aucun sens pour un certain nombre de cancers rares. C’est là que la question des modèles d’éthique se pose. […] Il faut faire une analyse au cas par cas. »
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Crédit de Une : Dreamstime
Citer cet article: Ethique et cancer : une réflexion permanente - Medscape - 7 juil 2023.
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