Paris, France — Selon une mise à jour des estimations d’incidence du cancer en France publiée dans le dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de Santé publique France, une hausse de plusieurs cancers évitables s’observe chez la femme en France, alors que les perspectives se montrent plus favorables chez l’homme, ce qui tend à réduire l’écart entre les deux sexes [1].
Calculées tous les cinq ans à partir des données de Santé publique France, mais aussi de la Caisse nationale d’assurance maladie, du réseau français des registres du cancer Francim ou encore des Hospices civils de Lyon, ces estimations sont reprises dans le « Panorama des cancers en France » de l’Institut national du cancer (Inca), publié le même jour [2].
La situation la plus préoccupante concerne le cancer du poumon chez les femmes, dont les taux d’incidence et de mortalité connaissent la plus forte augmentation annuelle (respectivement +4,3 % et +3 %) depuis 2010. Chez les hommes, les décès liés au cancer du poumon sont deux fois plus nombreux (22 800 décès par an contre 10 300 chez les femmes), mais ils sont en baisse de 1,6% par an.
« Dans les deux à trois années à venir, la mortalité par cancer du poumon chez les femmes pourrait dépasser celle du cancer du sein », a averti le Pr Norbert Ifrah, président de l’Inca, lors d’une conférence de presse.
Une incidence doublée depuis 1990
Concernant l’ensemble des cancers, les projections avancent 433 136 nouveaux cas en France en 2023, majoritairement chez les hommes (57%), soit 51 000 nouveaux cancers en plus par rapport à 2018. Depuis 1990, l’incidence des cancers a doublé, essentiellement en raison du vieillissement de la population et de l’évolution démographique.
Selon les nouvelles données, l’âge médian au diagnostic est de 70 ans chez les hommes et 68 ans chez les femmes. Les trois principaux cancers sont, chez l’homme, les cancers de la prostate (24%), du poumon (14%) et colorectal (11%) et, chez la femme, les cancers du sein (33%), du poumon (10%) et colorectal (11%).
Chez la femme, en dehors du cancer du poumon, les hausse les plus importantes depuis 2010 concernent les cancers du foie (+2,2% par an), du pancréas (+2,1%) et du rein (+1%). A l’inverse, une baisse est observée pour le cancer de l’estomac (-1%) et de l’ovaire (-1,2%).
Chez l’homme, l’incidence augmente pour le mélanome (+2% par an), ainsi que pour les cancers du pancréas (+1,6%) et du rein (+1,5%), tandis que les baisses les plus marquées concernent les cancers lèvres-bouche-pharynx (- 2,1 %), de l’œsophage (-2 %) et de l’estomac (-2 %).
« Le tabagisme est le facteur majeur expliquant les différences entre hommes et femmes », a indiqué la Dr Florence Molinié, présidente du réseau Francim, lors d’une conférence de presse. La hausse des cancers du poumon, mais aussi du pancréas, serait ainsi la conséquence de la progression du tabagisme dans la population féminine.
Le tabagisme responsable de 20% des cancers
Si le tabagisme est en baisse en France (de 33 à 28% chez l’homme et de 27 à 23% chez la femme entre 2010 et 2021), « il n’est pas si clair que les femmes en bénéficient pour le moment étant donné que la cancérogenèse se fait sur 10 à 15 ans » dans le cas du cancer du poumon, a complété le Pr Ifrah.
A l’inverse, la diminution du tabagisme chez l’homme au cours des dernières décennies explique la légère baisse de l’incidence du cancer du poumon dans cette population. Le cancer du poumon continue toutefois de toucher en majorité les hommes, avec 33 438 cas estimés en 2023, contre 19 339 chez les femmes.
En considérant l’ensemble des cancers, le tabagisme est le premier facteur de risque, rappelle l’Inca dans son panorama. Il est responsable de 19,8% des cancers. La consommation d’alcool arrive en deuxième position (en cause dans 8% des cancers), suivie de l’alimentation déséquilibrée (5,4%), du surpoids (5,4%), de certaines infections (4%), des expositions professionnelles (3%) et des rayonnements UV (3%).
Interrogé sur l’impact des perturbateurs endocriniens et en particulier des pesticides, le Pr Ifrah a indiqué que les recherches sont toujours en cours pour déterminer le lien de cause à effet et leur impact sur l’incidence des cancers. « Les carcinogénèses liées à ces perturbateurs sont extrêmement hétérogènes d’un produit à l’autre ».
Dans le document de l’Inca, le Pr Ifrah et Thierry Breton, directeur général de l’institut rappellent que « près de la moitié des cancers pourraient être évités grâce aux changements de nos comportements et de nos modes de vie ». « Ce sont donc plus de 170 000 nouveaux cas de cancers que nous pourrions ainsi éviter chaque année ».
Consommation d’alcool en baisse
Si certains facteurs de risque, comme l’alimentation déséquilibrée et l’obésité, prennent de l’ampleur, des améliorations s’observent. C’est le cas avec la consommation d’alcool, qui diminue « de manière modeste, mais régulière depuis une trentaine d’années », a souligné le Pr Ifrah, ce qui peut expliquer la baisse des cancers colorectaux chez l’homme (-0,5% par an).
Avec la diminution de la consommation d’alcool, le dépistage du cancer colorectal est à compter parmi les principaux facteurs à l’origine de la baisse de l’incidence de ce cancer dans la population masculine, même si la participation au dépistage reste faible (près de 35% de la population éligible en 2021-2022), a rappelé le président de l’Inca.
A l’inverse, chez la femme, l’incidence du cancer colorectal progresse légèrement (+0,4% par an), probablement en raison d’une hausse de l’alimentation déséquilibrée, du surpoids et du manque d’activité physique. Les hommes restent toutefois majoritairement touchés (26 212 cas de cancer colorectal en 2023, contre 21 370 cas chez les femmes).
Objectifs prioritaires de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, la prévention des facteurs de risque (tabac, alcool, alimentation déséquilibrée, sédentarité, exposition aux rayons UV) constitue avec le dépistage les deux piliers de la lutte contre les cancers, rappelle l’institut. « Les mesures de prévention et de dépistage doivent en ce sens continuer à progresser ».
Améliorer les campagnes de dépistage
Le panorama précise que la participation au dépistage organisé du cancer du sein est en légère baisse. Les dernières données indiquent que seuls 47,7% des femmes ont participé au dépistage du cancer en 2021-2021. « Ce programme a vu son taux de participation baisser depuis 10 ans pour toutes les tranches d’âge et toutes les régions. »
Si la participation au dépistage du cancer colorectal est « très insuffisante », le dépistage organisé du cancer de l’utérus est « désormais généralisé ». Près de 59% des femmes de 25 à 65 ans éligibles ont effectué ce dépistage entre 2018 et 2020. La participation décroit cependant avec l’âge (43% chez les 60-65 ans).
Des avancées sont attendues. Le recours progressif à la mammographie 3D par tomosynthèse (imagerie de lecture de la mammographie) depuis 2020 devrait assurer une meilleure performance du dépistage du cancer du sein, en améliorant « la détection de certaines lésions aujourd’hui difficiles à déceler ».
Dans le cas du dépistage du cancer colorectal, l’Inca a lancé une
expérimentation d’envoi du kit de dépistage directement à domicile par voie postale lors de l’invitation au dépistage, ce qui pourrait accentuer la participation. Les personnes éligibles peuvent commander le kit en ligne sur le site de l’Assurance maladie: monkit.depistage-colorectal.fr.
Le dépistage du cancer du poumon en préparation
Pour ce qui est du programme de dépistage du cancer du col de l’utérus, il a récemment évolué avec la publication d’un référentiel en mai 2022. « Il prévoit de mettre en place l’envoi direct à la relance de kits d’autoprélèvements vaginaux. » Le recours aux autotests HPV pourraient nettement renforcer les taux de dépistage.
Enfin, l’Inca travaille sur la mise en place d’un programme pilote de dépistage du cancer broncho-pulmonaire chez les fumeurs et anciens fumeurs, un dépistage approuvé aux Etats-Unis depuis dix ans . Fin 2022, l’Union Européenne a appelé ses états membres à se lancer dans le dépistage du cancer du poumon pour les gros fumeurs actuels et les anciens fumeurs âgés de 50 à 75 ans.
Le profil des personnes éligibles et la fréquence du dépistage est encore à définir, a précisé le président de l’Inca auprès de Medscape édition française. Dans les études menées aux Etats-Unis ou en France, les faibles taux de réponse aux reconvocations après un premier dépistage amènent notamment à se questionner sur les modalités à suivre pour dépister sur le long terme.
Après un premier dépistage, « un trop grand nombre personnes, en voyant que l’examen était rassurant, ont pensé qu’elles pouvaient continuer à fumer » et ne se sont pas présentées lors de la deuxième convocation. « C’est l‘effet inverse de ce qui est souhaité ».
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Crédit de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2023
Citer cet article: Les femmes confrontées à une hausse de certains cancers - Medscape - 5 juil 2023.
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