Quels sont les impacts concrets de l’altération du microbiote chez le nouveau-né ?

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

5 juillet 2023

Marseille, France Si beaucoup se joue dans les premiers mois de vie, le microbiote intestinal n’échappe pas à la règle. Chez le nouveau-né et le nourrisson, le microbiote est particulièrement fragile vis-à-vis des agressions alors qu’un écosystème stable ne s’installe qu’à partir de l’âge de 2-3 ans.

Dre Aurélie Morand

Chez le tout-petit, la pathogénie du microbiote est donc à la fois liée à son immaturité mais également à la dysbiose*, déséquilibre du microbiote, a expliqué la Dre Aurélie Morand, pédiatre infectiologue à l’hôpital de la Timone (AP-HM, Marseille) au Congrès de la Société française de pédiatrie (31 mai, 1er et 2 juin 2023, Marseille) [1].

Cette dysbiose peut, selon le nombre et la nature des agressions, soit être corrigée rapidement, soit se pérenniser et entraîner un état pathogène à plus ou moins long terme [2].

« La dysbiose du microbiote joue un réel rôle dans la pathogénie à court terme, comme dans l’entérocolite aiguë nécrosante chez le nouveau-né et le prématuré, dans les diarrhées post-gastroentérite, ou associées aux antibiotiques, dans la colonisation par des bactéries multirésistantes, la susceptibilité aux infections (streptocoque B..), les colites à C difficile, etc », explique l’oratrice.

 
La dysbiose du microbiote joue un réel rôle dans la pathogénie à court terme
 

Et, « à long terme, il est difficile de démêler le rôle du microbiote avec la survenue d’une dysbiose post-antibiotique par exemple, et celle d’une pathologie ultérieure, aux rôles probablement intriqués, comme dans les MICI, la maladie cœliaque, l’insulinorésistance, l’obésité, l’atopie, l’auto-immunité et les troubles neuropsychiatrique dont l’autisme et la maladie de Parkinson », souligne-t-elle.

L’immaturité du microbiote associée à un surrisque infectieux

Cette donnée est consensuelle d’après les études publiées : l’immaturité du microbiote est associée à un surrisque infectieux chez le nouveau-né.

Exemple parmi d’autres, la méningite à streptocoque B chez le nouveau-né est favorisée par un portage digestif, une barrière muqueuse encore immature, et un microbiote qui ne sera pas en mesure d’une part, d’entrer en compétition avec l’agent infectieux et, d’autre part, capable de stimuler les protéines de jonction au niveau de la barrière épithéliale, ni même d’activer le système immunitaire de manière suffisante.

A cause de ces lacunes défensives et protectrices, les bactéries traversent la barrière épithéliale, passent dans la circulation sanguine et franchissent la barrière hémato-encéphalique [3].

Un autre cas d’école est celui du botulisme infantile, d’où le conseil de ne pas faire consommer du miel aux enfants de moins de 1 an. L’immaturité du microbiote intestinal du nourrisson permet en effet la colonisation du tube digestif par Clostridium botulinum suite à l’ingestion de spores de la bactérie contenus dans le miel mais aussi des poussières de l’environnement.

Le germe sécrète ensuite des toxines au sein du tube digestif, lesquelles seront disséminées par voie hématogène, pouvant conduire à un botulisme infantile [4].

Dysbiose et pathologies, causes ou conséquences ?

Les études mettent en évidence des corrélations entre la dysbiose et certains états pathologiques ; ces derniers, à court ou à moyen terme, étant plus prévalents en cas de dysbiose.

La bronchiolite du nourrisson est un exemple. La différence de portage bactérien au niveau respiratoire influencerait la sévérité des bronchiolites, d’après une étude sur 167 enfants en majorité âgés de moins de 6 mois ayant été placés sous ventilation assistée (l’agent infectieux était le VRS dans 78 % des cas).

« Après analyse du liquide d’aspiration trachéal ou broncho-alvéolaire, une co-infection bactérienne a été retrouvée dans un nombre non négligeable de cas, précise la Dre Aurélie Morand. Plus la colonisation était importante (sans forcément parler de surinfection bactérienne), plus les durées de ventilation mécanique et du séjour en réanimation étaient importantes [5]. »

Même constat en néonatologie : « les enfants qui développent des entérocolites nécrosantes ont un microbiote enrichi en certaines espèces différentes de celles rencontrées chez les sujets sains, précisément en Clostridium butyricum. On se pose donc la question de son implication directe dans la pathogénie liée à l’entérocolite nécrosante, d’autant que le caractère pro-oxydant (objectivé par le potentiel d’oxydoréduction) est augmenté dans ce cas, avec aussi un pH plus acide [6]. »

 
Les enfants qui développent des entérocolites nécrosantes ont un microbiote enrichi en certaines espèces
 

Un autre exemple concerne les diarrhées acquises suite à l’administration d’antibiotiques .

La dysbiose post-antibiotiques est associée à des diarrhées acquises aux antibiotiques (DAA). Sur ce sujet, une étude parmi bien d’autres a inclus 650 enfants dont 11 % ont présenté une DAA.

« L’influence des antibiotiques (peu importe le site d’infection initial) est plus importante lorsqu’on a un microbiote moins résilient et que l’on est jeune, conclut la pédiatre. En effet, 18 % ayant une DAA étaient âgés de 1 mois à 2 ans, contre 4 % de 2-7 ans et 2 % après 7 ans) [7]. »

Autre exemple, celui du phénotype « malnutrition » est corrélé à une altération du microbiote.

« Cause ou conséquence, débrouiller les liens reste à ce jour très compliqué, fait remarquer la spécialiste. L’état pro-inflammatoire induit par la malnutrition perturbe le microbiote, avec plus de bactéries aérobies et moins d’anaérobies, un potentiel redox augmenté et une certaine pauvreté en certaines bactéries plutôt bénéfiques. Pour autant, la correction de la malnutrition ne corrige pas la dysbiose, ce qui conforte l’impression qu’un microbiote altéré pourrait être en cause dans la malnutrition [8 9]. Ce serait une sorte de cercle vicieux auto-alimenté. »

Obésité, MICI, diabète de type 1…

Dans le domaine de l’obésité, le phénotype « obèse » entre 2 et 5 ans est corrélé à une altération du microbiote post-antibiotiques avant 2 ans. Ce constat a notamment été observé au sein d’une cohorte de près de 56 000 enfants [10]. Avec la question suivante : les antibiotiques créent-ils l’obésité ou la dysbiose est-elle à l’origine de l’obésité ? Cette seconde hypothèse semble prendre corps dans les multiples études.

L’antibiotique jouerait un rôle de probiotique pour certaines bactéries favorisant l’obésité et, à l’inverse, appauvrirait le microbiote en certaines bactéries protectrices vis-à-vis de l’obésité, d’où un surrisque d’obésité. A noter, un impact encore plus significatif est constaté lorsque des antibiotiques prescrits sont à large spectre [11 12].

 
L’antibiotique jouerait un rôle de probiotique pour certaines bactéries favorisant l’obésité
 

Dans le cadre des maladies intestinales chroniques de l’intestin (MICI) , des preuves indirectes du rôle du microbiote dans la survenue de ces pathologies ont été obtenues, du fait d’une différence de microbiote bactérien entre patients MICI et sujets sains.

« Cause ou conséquence ? Là aussi, il est difficile de trancher, un patient porteur d’une MICI ayant une immunité spécifique, et donc des interactions immunité-microbiote particulières ainsi qu’un tube digestif inflammatoire. Des études montrent néanmoins que la dysbiose oriente le système immunitaire plutôt vers les voies Th17 et Th 1, ce qui favorise la synthèse de cytokines pro-inflammatoires, réduit la synthèse d’acides gras à chaîne courte qui ont un rôle dans la constitution de la barrière intestinale et instaure les conditions pro-inflammatoires d’où le développement potentiel des MICI [13 14] », explique la Dre Morand.

Le rôle du microbiote dans le diabète de type 1 est également questionné. Plusieurs études ont mis en lumière le fait que la dysbiose précède l’apparition d’auto-anticorps spécifiques (anti GAD, etc.). Une étude l’a montré chez 33 nourrissons génétiquement prédisposés à développer un DT1[15 16].

« Le plus probable, au vu de la littérature, est que l’immunité commençant à parler à bas bruit, elle modifie le microbiote. Ce mécanisme est probablement intriqué avec celui d’une stimulation par la dysbiose d’une immunité prédisposée. »

De la même manière, l’atopie est beaucoup plus prévalente en cas de dysbiose post-antibiotiques. Dans l’asthme , lorsque la diversité bactérienne s’effondre, le risque d’asthme augmente. Cette corrélation a été observée dans plusieurs études avec, là aussi, la question en suspens de la cause ou de la conséquence [17].

Ce lien statistique significatif est retrouvé avec la sécrétion d’IgE, et le fait d’avoir des prick tests positifs, une hyperéosinophilie, une rhinite allergique et une dermatite atopique. La dysbiose, en favorisant l’orientation immunitaire Th1 et Th 2, pourrait participer à la survenue de certaines atopies voire, à un stade plus marqué, d’allergies.

Un lien avec les pathologies neuropsychiatriques ?

Le questionnement est identique à propos du lien entre dysbiose et pathologies neurologiques/neurodéveloppementales/psychiatriques. L’exemple de l’autisme reste très débattu.

 
Les preuves de l’interaction via l’axe intestin-cerveau sont de plus en plus étayées
 

« Un patient diagnostiqué avec un trouble du spectre autistique aura souvent une alimentation stéréotypée, d’où une altération du microbiote, pointe la pédiatre-infectiologue. Néanmoins, les preuves de l’interaction via l’axe intestin-cerveau sont de plus en plus étayées. Un microbiote altéré entraîne une réduction de la sécrétion de métabolites indispensables, notamment les acides gras à chaîne courte au rôle essentiel dans la neurotransmission et l’immunité. Dans un second temps, ces perturbations affectent la signalétique en lien avec le système nerveux central (moindre sécrétion de neurotransmetteurs acide gamma-aminobutyrique, de sérotonine, de dopamine…). Ce système de neurotransmetteurs dysfonctionnant serait potentiellement impliqué dans la survenue de ces pathologies [18]. »

« Nous en sommes aux prémices de la recherche sur le microbiote, et la fiabilité de nos stratégies d’exploration est encore faible », a tenu à souligner la Dre Aurélie Morand pour conclure.

 

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