ERS : focus sur le lien entre cancer du poumon et pollution de l’air

Pr Colas Tcherakian, Dre Lucile Sesé

Auteurs et déclarations

19 septembre 2023

Les données montrant un lien entre cancer pulmonaire et exposition au particules fines s’accumulent. « Il faudra impérativement contrôler notre environnement », conclut le Pr Colas Tcherakian, qui s’entretient avec la Dre Lucile Sesé en marge du congrès de l’European Respiratory Society 2023.

TRANSCRIPTION

Colas Tcherakian – Bonjour, je suis Colas Tcherakian, pneumologue à l’hôpital Foch et j’ai la chance aujourd’hui de discuter avec Lucile Sesé, qui est également pneumologue. Dre Sesé a comme passion la pneumologie évidemment, mais aussi l’exposition environnementale et ses retentissements sur la fonction respiratoire et l’évolution des maladies respiratoires.

Nous allons discuter ensemble de ce que nous avons entendu au congrès de l'European Respiratory Society (ERS) 2023 et remettre les données en perspective avec les notions dont nous disposons sur les maladies respiratoires et la pollution. Qu’y avait-il donc d’intéressant à l’ERS sur le thème « poumons et pollution » ?

Lucile Sesé – On sait, aujourd’hui, grâce aux données des satellites recueillies depuis quelques années, que la pollution de l’air représente sept millions de décès prématurés par an et les particules fines PM2.5 sont probablement les plus délétères en termes d’effets sur la santé en ce qui concerne nos patients avec des maladies pulmonaires.

La pollution de l’air représente 7 millions de décès prématurés par an et les particules fines PM2.5 sont probablement les plus délétères en termes d’effets sur la santé.

Cette exposition moyenne mondiale est estimée à 46 µg/m³ par an. Selon l’OMS, il faudrait être en dessous de 5 µg/m³, donc nous sommes vraiment au-dessus. Ce sont des particules qui traversent des très longues distances et qui restent en suspension très longtemps, donc la pollution n’a pas de frontières, on est tous concernés ; la pollution des voisins peut nous arriver et celle qu’on émet concerne les autres.

Nous connaissions déjà les effets délétères de cette pollution : il a été montré que la pollution favorise l’incidence du cancer du poumon – qu’on soit fumeur ou non-fumeur – et on pensait que le mécanisme d’action de cette pollution sur la survenue d’un cancer était une altération de l’ADN favorisant la prolifération tumorale. Or ce que nous a montré une équipe anglaise qui a récemment publié dans Nature , c’est que dans les cancers mutés EGFR, la pollution agit différemment ― ces cancers mutés EGFR concernent plutôt les non-fumeurs, les jeunes femmes et les pays asiatiques.[1  ]L’incidence était très corrélée au niveau d’exposition aux particules fines ; les chercheurs l’ont montré sur quatre cohortes (1 anglaise, 1 canadienne et 2 en Asie).

Colas Tcherakian – Je me permets de remettre ce point en perspective, parce que c’est vrai que quand j’étais interne ― et c’était il n’y a quand même pas si longtemps ! ― on ne voyait quasiment pas de cancer chez les non-fumeurs ; aujourd’hui, dans les cohortes, c’est presque un quart des cancers qui sont vus chez les non-fumeurs, témoignant, quand même, d’une exposition très délétère.

Lucile Sesé – Oui. Effectivement, cela semble être vraiment lié. En plus, les chercheurs ont comparé les cancers chez le non-fumeur vs le fumeur. Mais les non-fumeurs avaient été quand même dans leur vie plus exposés à la pollution que les fumeurs. Donc, ils ont fait une étude expérimentale : ils ont pris des souris, ils leur ont induit la mutation EGFR somatique au niveau pulmonaire et ils les ont exposées à des niveaux croissants de pollution, puis ils les ont comparées à un groupe non exposé. Quand la mutation est là et qu’on expose à la pollution, on voit une prolifération de ces lésions tumorales et de ces lésions mutées EGFR. Après, ils ont analysé le mécanisme d’action et c’est un afflux inflammatoire de macrophages au niveau pulmonaire suite à l’exposition aux particules fines avec une sécrétion d’IL-1β, qui apparaît comme la voie la plus importante.

Il existe des traitements anti-IL-1β, comme le canakinumab, qui a été utilisé chez des patients qui présentaient de l’athérosclérose et qui a démontré dans le groupe versus placebo (en deuxième élément, pas en objectif principal), qu’il y avait eu moins d’incidence de cancer du poumon chez ceux qui avaient ce traitement. C’est une ouverture de perspective, mais on comprend mieux aussi comment fonctionne la pollution chez des gens qui ont déjà la mutation somatique.

Enfin, les recherches nous ont apporté un troisième élément : ils ont regardé des tissus de poumons humains sains qui provenaient soit de gens décédés, soit de gens qui avaient eu un cancer ailleurs, soit de gens qui avaient eu un nodule pulmonaire ― et il y avait du tissu sain en comparaison. Ils ont alors montré qu’il y avait des cellules avec des mutations EGFR ― ils ne décrivent pas la proportion sur le tissu sain, mais ils disent combien avaient de ces anomalies, et c’était environ 18 % des tissus sains ; et cette quantité de mutations EGFR augmente avec l’âge. Donc, avoir des mutations somatiques de l’EGFR quand on est une femme asiatique et un peu plus âgée, c’est être plus à risque. Et s’exposer à la pollution, probablement au moins trois ans, à des niveaux élevés, expose au risque de développer ce cancer alors qu’on n’est pas fumeur.

Colas Tcherakian – Il y a clairement une synergie du temps et de l’environnement dans la genèse de ces cancers, et très clairement de l’environnement et de la pollution. Cela devient plus qu’une association épidémiologique ; on commence maintenant à avoir des arguments vraiment physiopathologiques et de démonstration, ce qui renvoie à nouveau à cette notion de « il faut vraiment, impérativement, arriver à contrôler notre environnement en terme de pollution. » Tout cela a un vrai sens, ce ne sont pas juste des chiffres.

Il y a très clairement une synergie du temps et de l’environnement dans la genèse de ces cancers.

 

Colas Tcherakian – Merci beaucoup pour cette mise en perspective sur l’importance de la compréhension de ces nouveaux cancers qu’on ne comprenait pas bien en termes de genèse, puisque les gens n’étaient pas exposés forcément à un toxique directement bien identifiable comme le tabac.

On aura l’occasion de rediscuter tous les deux (dans une 2e partie d’interview) de l’interaction des toxiques les uns avec les autres, parce que là on a bien identifié les particules fines (les PM2.5), mais on sait que, par exemple, les virus interagissent aussi avec la pollution, que la pollution peut favoriser une infection virale, etc. Donc on en rediscutera et ce sera l’occasion de repréciser comment tout cela marche et expliquer cette notion d’"exposome", qui est le mélange de plusieurs éléments auxquels on va être exposé toute notre vie et qui vont potentiellement interagir les uns avec les autres et finalement pouvoir provoquer des maladies, alors qu’une seule de ces substances ne nous aurait pas forcément rendus malades.

Merci beaucoup, Lucile, pour ces explications et à très bientôt !

 

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