Alexandru Mischie et Walid Amara commentent 2 études coup de cœur en rythmologie, NOAH-AFNET 6 et BUDAPEST-CRT.
TRANSCRIPTION
Alexandru Mischie – Bonjour, je suis Alexandru Mischie, bienvenue à cette interview sur Medscape. Nous sommes au Congrès européen de cardiologie 2023, à Amsterdam, avec le Dr Walid Amara, notre président du CNCH. Bonjour, Walid !
Walid Amara – Bonjour, Alexandru !
NOAH-AFNET 6 : faut-il traiter la FA) subclinique ?
Alexandru Mischie – Nous avons eu beaucoup de nouveautés, surtout le premier jour de congrès avec des essais qui nous ont marqués, dont l’étude NOAH-AFNET 6 qui a testé l’édoxaban. Peux-tu nous donner plus de détails concernant cet essai ?
Walid Amara – Oui, bien sûr. Alors, nous ne sommes qu’au début du congrès, donc les coups de cœur, il y en aura un certainement d’autres, parce que ce congrès n’est pas terminé au moment où on se parle.
Cette étude NOAH-AFNET 6 s’intéresse à la question : faut-il traiter la fibrillation atriale (FA) subclinique ? La FA subclinique c’est ce qu’ils ont appelé dans les recommandations européennes, les AHRE ou atrial heart rhythm elevations, ces rythmes atriaux rapides qu’on constate sur les mémoires de nos pacemakers, qui nous indiquent que le rythme atrial est très rapide et irrégulier et que peut être le patient est en fibrillation atriale. La question était de savoir si ces épisodes constatés sur les mémoires des pacemakers et des défibrillateurs nécessitent une anticoagulation ou pas.
D’abord, il faut dire que jusque-là, jusqu’aux dernières recommandations européennes, on considérait qu’il fallait prouver la FA par un électrocardiogramme avant de mettre un anticoagulant. Et les recommandations les plus récentes, européennes, avaient ouvert la voie d’anticoaguler ces patients-là en prenant en compte la durée de ces épisodes et le risque thromboembolique des patients avec le score CHADS-VASC.
Dans cette étude, ils prennent des patients qui ont un stimulateur cardiaque ou un défibrillateur, qui ont un score thromboembolique avec un score CHADS-VASC ≥ 1 ― soit du fait de l’âge ou d’un autre facteur de risque, en général ils avaient un peu plus, parce qu’ils étaient plus ou moins âgés ― et qui n’avaient pas d’indication aux anticoagulants et qui ont été randomisées lorsqu’on leur trouvait un épisode d’au moins 6 minutes. Ceci était basé sur une ancienne étude qui s’appelle l’étude ASSERT. Donc au moins 6 minutes d’épisodes atriaux rapides, puis ils étaient randomisés entre l’édoxaban, qui est un AOD que nous n’avons pas en France, et un placebo.
Le critère primaire combinait les AVC, les embolies systémiques et la mortalité. Il y avait un critère secondaire de jugement qui comprenait les décès et les hémorragies majeures, et on sera intéressé à ce facteur-là.
Résultats : Qu’est-ce que ça a montré ? On était vraiment impatient et le premier élément est que concernant le critère primaire, il n’y a pas eu de différence entre les deux groupes sur le critère d’efficacité. Il faut savoir que, d’abord, il y a eu très peu d’AVC au cours du suivi, c’est-à-dire qu’il y a eu quasiment 1 % d’événements-années, alors qu’on a une population relativement âgée qui a plus de 75 ans, donc le taux d’AVC ischémique est, de manière inattendue, relativement faible. C’est le premier élément.
Le deuxième élément est le critère d’hémorragie : il y avait plus d’hémorragie dans le groupe anticoagulant que dans le groupe placebo. Mais tu vas me dire, « on pourrait s’y attendre, puisqu’il y a un groupe à qui on met un médicament qui fait saigner et l’autre groupe, on lui donne un médicament qui ne fait pas saigner » donc, le bénéfice net est défavorable aux anticoagulants.
Malgré le fait qu’elle soit une étude négative, elle fait partie des grosses études de ce congrès, puisqu’elle est publiée dans le New England Journal of Medicine . [1] Le message est qu’elle va quand même modifier la pratique, parce que pour le moment on va devoir un peu patienter avant d’anticoaguler ces épisodes, et il faudra peut-être attendre la preuve d’un électrocardiogramme qui montre la fibrillation atriale.
Alexandru Mischie – C’est vrai que, certains de nous, on avait ce réflexe d’anticoaguler si le patient avait un peu plus d’un, deux ou trois facteurs de risque CHADS-VACS, et donc là on a la preuve. Apparemment, dans le bras placebo, ils ont utilisé soit du placebo, soit de l’aspirine ― est-ce que tu penses qu’il y aura un suivi de cet essai, notamment une dose d’édoxaban à moitié dose, peut-être ? Un deuxième ou un autre essai, après ? Qu’est-ce que tu penses qu’ils vont envisager ?
Walid Amara – Là, ils étaient à dose standard et ils réduisaient la dose si c’était, par exemple, dans les critères de réduction de dose, notamment la fonction rénale, etc. Là où vous devez vous demander d’être un peu patients, c’est qu’on attend une autre étude avec un autre anticoagulant qui est l’apixaban, qui s’appelle l’étude ARTESiA, et dans laquelle des patients assez similaires vont être randomisés entre l’apixaban et de l’aspirine, et là aussi ils vont évalué efficacité et tolérance chez les porteurs de pacemakers avec ces épisodes atriaux rapides. Cette étude devrait se terminer prochainement, on aura peut-être des résultats en 2024 et cela pourrait changer la donne. C’est-à-dire, en gros, quel que soit le résultat de l’étude ARTESiA, cela viendra répondre à la question : si l’étude est positive, on regardera les différences entre les deux essais, parce que moi, personnellement, j’ai tendance à croire que dans cette étude NOAH-AFNET 6, le seuil de 6 minutes était peut-être un seuil assez bas et qu’il faudrait peut-être des épisodes plus longs, un niveau de risque plus élevé, et que la question qui se pose est : comment mieux évaluer le risque thromboembolique de nos patients ?
Alexandru Mischie – On attendra donc des nouvelles. Est-ce que tu as eu d’autres coups de cœur jusqu’à maintenant ?
BUDAPEST-CRT : défibrillateur simple, double ou triple chambre ?
Walid Amara – Il y a une étude qui s’est intéressée à la resynchronisation […] et qui s’appelle BUDAPEST-CRT. Elle s’intéresse à la question de savoir : chez des patients qui ont déjà un pacemaker ou un défibrillateur et qui n’avaient pas d’indication de resynchronisation avant, et lorsqu’ils ont les QRS larges parce qu’ils sont électro-stimulés, est-ce qu’il faut aller les « upgrader » vers un triple chambre ? C’est-à-dire, en gros, ils ont pris des patients ― ce n’est pas une énorme étude, y a un peu plus de 300 patients qui ont été randomisés ― porteurs d’un pacemaker ou d’un défibrillateur, qui avaient une fraction d’éjection inférieure à 35 %, qui étaient sous traitement médical optimal et qui étaient électrostimulés par leur défibrillateur, en ventriculaire droit, dans au moins 20 % du temps. Le taux moyen était assez important et ils étaient plutôt désynchronisés par leur pacemaker ; souvent on hésite entre réopérer ces patients pour leur mettre la sonde ventriculaire gauche ou attendre. On a tendance, souvent, à attendre, parce qu’on leur donne une chance, parce qu’on essaie d’ajuster les médicaments, etc.
Là, les investigateurs ont randomisé avec un groupe qu’ils ont upgradés et un groupe qu’ils ont laissé en stimulation ventriculaire droite. Donc dans un groupe, ils ont un défibrillateur triple chambre et l’autre groupe ils vont avoir plutôt des défibrillateurs simple ou double chambre. Ils autorisaient les patients en FA (donc c’est une des plus larges études en FA), et ils ont évalué si on leur permettait d’améliorer un critère composite qui comprenait la mortalité, les hospitalisations pour insuffisance cardiaque et également les volumes ventriculaires gauches.
Résultats :
Première constatation, cette étude a inclus des patients plus âgés qu’on avait dans les essais sur la resynchronisation – l’âge moyen était de plus de 75 ans. Deuxième constatation, ils ont inclus beaucoup de patients qui avaient de la fibrillation atriale – plus de 50 % des patients avaient de la FA, donc cela sera intéressant.
Et troisième résultat, concernant le critère primaire, la réduction est significative dans le groupe resynchronisation sur ce critère primaire-là, et ce qui drive les événements, ce sont les hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Cela améliore les paramètres échographiques et permet d’améliorer les hospitalisations pour insuffisance cardiaque ; le critère primaire était significatif.
Cela répond donc à une question très pratique, c’est-à-dire que si vous avez un patient qui a une fraction d’éjection réduite, qui est sous traitement optimal et qui est désynchronisé par sa fonction ventriculaire droite, il faudra envisager l’upgrade et accepter le risque d’une réintervention pour lui mettre une sonde ventriculaire gauche.
Alexandru Mischie – Et est-ce que les patients avaient un traitement maximal ? Je suppose que oui.
Walid Amara – Je n’ai pas regardé le détail, mais effectivement, ils devaient l’être… Ce n’était pas des patients pris très précocement, donc ils devaient, dans les critères d’inclusion, être optimisés au niveau de leur traitement, et ce n’était pas des patients qui avaient déjà l’indication de resynchronisation. Une indication de resynchronisation se posait parce qu’il y avait une désynchronisation liée à la fonction à la sonde droite.
Alexandru Mischie – Je comprends. Merci beaucoup Walid Amara de nous avoir présenté ses 2 coups de cœur du congrès. Merci tout le monde de nous avoir suivis et à bientôt !
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Citer cet article: Rythmologie : deux études coup de coeur de l’ESC 2023 - Medscape - 31 août 2023.
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