L’anakinra dans la myocardite aiguë: focus sur l’étude ARAMIS

Pr Mathieu Kerneis, Dr Michel Zeitouni

Auteurs et déclarations

29 août 2023

Michel Zeitouni Interroge Mathieu Kerneis, investigateur de l’essai clinique académique francais ARAMIS, présenté au congrès de l’European Society of Cardiology (ESC) 2023 : pourquoi tester l’anakinra dans la myocardite ? L’hypothèse mérite-t-elle d’être approfondie ?

TRANSCRIPTION

Michel Zeitouni – Bonjour à tous, nous sommes à l’ESC d’Amsterdam et j’ai le plaisir d’accueillir, après sa très belle hotline, le Pr Mathieu Kerneis, qui nous a présenté l’essai clinique ARAMIS. [1] 

ARAMIS, avec ses 120 patients, est le plus grand essai clinique dans la myocardite. Mathieu, pourrais-tu nous en dire quelques mots, et notament pourquoi avoir testé cette hypothèse de l’anakinra dans cette pathologie qui est si spéciale, la myocardite ?

Mathieu Kerneis – Bonjour, Michel. Merci de me recevoir. En effet, tu as raison : l’anakinra, c’est la première fois qu’on l’essaie dans la myocardite, et surtout, ARAMIS est le premier essai dans la myocardite aiguë. Avant, on avait eu des essais dans la cardiomyopathie inflammatoire avec l’étude MTT[2] ou l’étude TIMIC[3], qui sont déjà des vieilles études qui remontent à 1995 ou au milieu des années 2000. Donc, on n’avait pas de données dans la matière – premier point – alors que c’est une maladie qui touche des gens jeunes, généralement sans antécédents, avec un taux de mortalité ou de complication à un mois qui est quand même de l’ordre de 3-4 %.

Pourquoi a-t-on essayé l’anakinra chez ces patients ? Parce qu’on a un rationnel assez fort, chez l’animal d’abord, pour dire qu’il y a une grosse activité de l’inflammasome et un taux d’IL-1 important, et on a des case reports qui montrent que quand on donne des médicaments qui bloquent l’IL-1, on peut reverser les dysfonctions ventriculaires gauches. Ce ne sont que des case reports, mais comme on a un médicament qui s’appelle anakinra, qui est déjà utilisé dans la péricardite aiguë avec un certain succès, et surtout une bonne sécurité, on s’est dit « faisons un essai qui évalue ce traitement dans cette maladie ».

Design de l’essai

Michel Zeitouni – C’est un essai clinique académique mené par le groupe Action Cœur à la Pitié-Salpêtrière, PHRC national, et qui a impliqué six centres français. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur le design de cette étude ?

Mathieu Kerneis – C’est en effet un essai 100 % académique – Action Cœur comme groupe qui a coordonné, l’APHP comme sponsor de l’étude, le ministère de la santé comme financeur, et six CHU comme centres recruteurs.

On a fait un essai randomisé, en double aveugle, multicentrique, de phase 2 B. Concrètement, les patients étaient admis aux soins intensifs avec une suspicion de myocardite aiguë, on confirmait le diagnostic avec une IRM – c’est aussi une des nouveautés de cet essai – et une fois que le diagnostic était confirmé, ils étaient randomisés dans deux bras, soit de l’anakinra, soit du placebo, pendant la durée de l’hospitalisation et suivis pendant un mois.

Michel Zeitouni – Vous évaluez l’hypothèse de l’anakinra, qui est un immunosuppresseur, chez des patients qui ont une myocardite, sans faire de biopsie.

Mathieu Kerneis – Oui.

Michel Zeitouni – C’est un élément intéressant qu’il faut souligner.

Mathieu Kerneis – Oui, en effet, parce que toutes les études dont on dispose historiquement basaient le diagnostic de la myocardite sur la biopsie et leur stratégie de traitement sur la biopsie, ce qui ne correspond pas vraiment aux pratiques. Parce qu’on sait que moins de 4 % des patients seulement sont biopsiés, et quand les patients sont à bas risque, il n’y a pas d’intérêt à aller les biopsier.

Donc on a voulu faire un essai pragmatique, qui colle à nos pratiques, à la pratique clinique, donc on a des patients qui sont à bas ou à risque modéré et dont le diagnostic est confirmé uniquement par l’IRM et on n’a pas la preuve de l’absence de réplication virale avant de mettre un traitement anti-inflammatoire. C’est un point essentiel de cette étude : pour la première fois, on donne un médicament immunomodulateur sans savoir si la fameuse myocardite virale est pour un patient chez qui il y a une activité virale.

On a voulu faire un essai pragmatique, qui colle à nos pratiques.

 

Michel Zeitouni – Très bien. Donc c’est un essai mené en double-aveugle : un groupe avec anakinra, un groupe avec placebo, pui un suivi qui va jusqu’à un mois ?

Mathieu Kerneis – Un suivi qui va jusqu’à un mois, où on mesure notre critère primaire de jugement. Donc sur les 120 patients qui ont été inclus dans l’étude, on a un critère de jugement qui est le nombre de jours libres de toute complication de la myocardite, qui était définie comme la survenue d’une insuffisance cardiaque, la survenue d’une douleur thoracique nécessitant un nouveau traitement ou une hospitalisation, la survenue d’arythmie ventriculaire et la présence d’une dysfonction ventriculaire gauche à moins de 50 %. C’était pour le critère d’efficacité, mais, comme je l’ai dit, c’est une étude de phase 2B, donc il y a aussi un critère de sécurité qui est très important, qui était le taux de serious adverse events, donc ces événements indésirables graves, qui ont été mesurés pendant toute la durée de l’étude.

Le critère de jugement est le nombre de jours libres de toute complication de la myocardite.

 

Résultats de l’étude

Mathieu Kerneis – Concernant les résultats d’abord sur le critère primaire de jugement, c’est-à-dire le nombre de jours libres de toute complication, il n’y a pas de différence entre les 2 groupes. On avait une médiane de nombre de jours libres à 31 dans le bras anakinra et à 30 dans le bras placebo. Aucune différence entre les 2 groupes, une p-value aux alentours de 0,16.

Pour ce qui est du critère de sécurité, il n’y avait pas de différence dans les deux groupes, donc c’était une bonne nouvelle, le médicament était « safe ». On avait donc des taux d’événements qui étaient bas, avec notamment, des serious adverse events liés au traitement avec un patient, seulement dans le bras anakinra qui avait une cytolyse tout à fait modérée qui a récupéré spontanément. Et puis, ce qu’il y a aussi de très intéressant, c’est de regarder le taux d’événements cliniques. Et quand on regarde le taux d’événements cliniques – alors qu’on n’est pas « sizé » pour ça, donc je le dis avec beaucoup de prudence – on a 10 % d’événements dans le bras anakinra, sur notre critère composite, et on en a 16 % dans le bras placebo.

La suite de l’hypothèse anakinra

Michel Zeitouni – D’accord. C’est donc une étude négative… mais qui génère quand même une hypothèse qu’il faut encore retester. Est-ce que tu penses qu’il faut utiliser des patients à plus haut risque ? Peut-être des patients qui ont une myocardite avec une dysfonction VG ? Je ne pense pas que l’hypothèse s’arrête ici. C’est un très bel essai pilote, c’est le plus large – on l’a dit. Comment tu vois la suite pour l’hypothèse anakinra ?

C’est donc une étude négative… mais qui génère une hypothèse qu’il faut encore retester.

 

Mathieu Kerneis – Il y a deux points. En effet, c’est un essai neutre qui a montré, d’une part la faisabilité de faire un essai randomisé dans la myocardite aiguë basé sur l’IRM. Ce qu’on voit – et c’est le but des essais de phase 2, c’est qu’il y a des signaux qui nous poussent à aller plus loin – donc oui, tu as raison. D’une part, un – aller prendre des patients à plus haut risque. C’est notamment l’étude de notre collègue Enrico Ammirati qui s’appelle l’étude MYTHS, c’est aussi l’étude de notre ami Matthieu Schmidt qui va tester des stratégies anti-inflammatoires avec des corticoïdes chez des patients très graves, et puis il y a l’autre stratégie, qui est de continuer sur les patients à risque faible ou intermédiaire, mais à leur donner un traitement plus prolongé. Et c’est ce qui va être fait avec l’étude ARGO dont je vais m’occuper avec le Dr Thomas Bochaton, qui est le principal investigateur de Lyon, qui est aussi une étude Action Coeur, et on va tester la colchicine pendant six mois. Donc, en effet, l’histoire n’est pas finie.

Michel Zeitouni – L’histoire n’est pas finie. Vous pouvez en tout cas continuer à nous suivre sur Medscape. Je remercie le Pt Mathieu Kerneis d’être venu discuter de son étude – encore une fois de très beaux résultats, un très bel ESC et on continue à suivre sur Medscape. Merci !

 

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