Léonard de Vinci, anatomiste visionnaire et pionnier de l’imagerie médicale

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

29 juin 2023

France – Connu pour ses talents de peintre, d’inventeur et d’ingénieur, Léonard de Vinci a aussi été un explorateur insatiable du corps humain et de ses mystères. C’est à la découverte de ce génial précurseur de l’anatomie, à l’origine de techniques de dissection modernes, qu’invite l’exposition qui se tient tout l’été au Clos Lucé, dernière demeure de celui-ci qui a su si bien marier l’art et la science (voir encadré). Visite sur les pas de Léonard de Vinci, anatomiste visionnaire et précurseur de l’imagerie moderne, accompagné du Pr Dominique Le Nen, chirurgien des Hôpitaux au CHRU de Brest et commissaire de l’exposition avec l’historien tourangeau Pascal Brioist.

Alliance réussie du scientifique et de l’artistique

L’exposition présentée cet été au Clos Lucé à Amboise (37) retrace trente années d’une quête absolue afin de percer le mystère de la vie. Ce décryptage du corps humain dans sa mécanique, son mouvement, son fonctionnement organique passe nécessairement par l’étude de l’anatomie que Léonard de Vinci va sublimer dans des œuvres à la fois rigoureuses sur le plan scientifique et jamais vues sur le plan esthétique. Pour y parvenir, bien que n’étant pas lui-même médecin, le maestro va être à l’origine de techniques de dissection tout à fait originales en procédant par couches ou par tranches ou encore en exerçant un regard tournant autour de l’objet (à la manière d’un sculpteur) avant d’opérer une synthèse.

Au cours de sa vie, Léonard est en contact avec plusieurs médecins et dissèque dans plusieurs hôpitaux. Entre 1500 et 1507, il est à Florence à l’hôpital de Santa Maria Nuova où il côtoie et apprend des médecins Antonio Benivieni et Andrea Cattaneo. En 1508, il collabore à l’hôpital San Matteo de Pavie et au Grand Hôpital de Milan avec l’anatomiste Marcantonio della Torre (1481- 1511).

Contrairement aux idées reçues, Léonard de Vinci n’a donc pas réalisé ses dissections en catimini, tient à rappeler Pascal Brioist, mais bien « au cœur des hôpitaux et en complet accord avec les autorités politiques et religieuses ». Pour preuve, à Rome, vers 1515, il fréquente le médecin du pape, Francesco Dantini et poursuit ses recherches anatomiques à Santa Maria della Consoliazione ainsi qu’à Santo Spirito. Si le savant subit les foudres papales, ce sera en raison de ses idées matérialistes sur l’origine de l’âme du fœtus lors de la conception – qui, selon lui, émanerait de la mère et non de Dieu –, précise l’historien.

Loin de se contenter d’une anatomie descriptive, son impérieux besoin de comprendre le fonctionnement du corps humain conduit le maitre toscan à innover dans les techniques de dissection. « Léonard a été en profondeur là où les artistes sont restés en surface », considère Pascal Brioist.

Léonard a été en profondeur là où les artistes sont restés en surface. Pascal Brioist

Précurseur de l’IRM et du scanner

Selon le Pr Le Nen, il est même à l’origine de la dissection par couches, c’est-à-dire l’ablation des strates successives qui constituent certaines parties du corps, la paume de la main par exemple, pour en représenter toutes les structures anatomiques qui la composent.

Dès 1487, Léonard de Vinci dissèque une jambe et la sectionne à la scie en plusieurs tronçons. Il s’attache à montrer par une série de dessins ce qu’il découvre dans une vue légèrement inclinée de la tranche, en particulier les loges musculaires séparées par des cloisons autour du fémur, lui aussi vu en coupe. « Léonard pensait en 3D, commente le chirurgien. Il anticipe avec cinq siècles d’avance les images réalisées avec un scanner ou une IRM, puisque l’imagerie médicale donne aujourd’hui la possibilité de réaliser de telles coupes (frontales, sagittales, etc.). Même si elle va plus loin en reconstruisant les images dans différents plans de l’espace, en les modélisant et en les animant en 3 dimensions ».

Léonard pensait en 3D. Il anticipe avec cinq siècles d’avance les images réalisées avec un scanner ou une IRM. Pr Le Nen

Anatomiste-artiste

Léonard de Vinci, feuillet du codex Windsor (fac-similé), crédit photo : Léonard de Serres

Grâce à la multiplication des vues anatomiques, Léonard de Vinci apporte une vision dynamique – et donc très moderne – du corps humain, comme en témoignent deux planches représentant huit figures du membre supérieur droit et du cou qui se succèdent (voir planche ci-contre pour quatre d'entre elles). « Cette série de dessins de l’épaule autour de laquelle Léonard semble tourner dans les différents plans de l’espace nous ramène à la façon dont les artistes, et notamment Michel-Ange, vont procéder à la Renaissance, signale le Pr Le Nen. C’est-à-dire en façonnant des modèles en terre, les « modelli », à partir de dessins préparatoires, avant de les sculpter grandeur nature. »

Enfin, le savant va innover en procédant à l’extraction de certaines structures, pour mieux en comprendre le fonctionnement, comparant l’homme à une machine composée de « pièces détachables » comme dans un jeu d’assemblage. Sur un dessin de la clavicule reproduit dans l’exposition, Léonard procède à l’« extraction » de la clavicule. Des traits reliant son extrémité à sa position d’origine traduisent son intention d’ôter cet os afin de mieux révéler les structures sous-jacentes. « Aujourd’hui grâce à l’informatique, il est possible d’estomper voir de faire disparaitre certains éléments anatomiques pour mieux en étudier d’autres. A la manière de Léonard, le scanner 3D utilise la technique de soustraction », fait remarquer le chirurgien.

Léonard de Vinci, feuillet du codex Windsor (fac-similé), crédit photo : Léonard de Serres

A noter, que l’une des plus belles planches que l’on peut voir lors de ce parcours muséal, est celle où Léonard de Vinci a représenté la colonne vertébrale (voir planche ci-contre). « Jamais on n’a aussi bien représenté le rachis », s’enthousiasme le Pr Le Nen.

Une œuvre non publiée de son vivant

Outre les vertèbres, Léonard a tout étudié : ventricules du cœur, cerveau, articulations, système urinaire, de l’homme à la femme, en passant par l’enfant...comme en témoigne un imposant corpus de documents manuscrits. Paradoxalement, ses travaux anatomiques sont peu connus, alors qu’il se consacre à l’étude du corps humain pendant une trentaine d’années, de 1487 à 1516, date de son départ pour la France.

De ce travail monumental, rien ne sera publié de son vivant, même s’il en avait l’intention. A sa mort, c’est à son disciple Francesco Melzi que reviendra la tâche immense de rassembler les innombrables dessins, croquis et notes manuscrites (en écriture inversée) du maestro. L’un d’eux, contenant ses planches anatomiques, est racheté en 1690 par la Royal Library de Windsor de Londres. Ce qui explique, qu’aujourd’hui encore, ces planches appartiennent toujours à la Couronne d’Angleterre. Néanmoins, la réalisation de nombreux fac-similés d'excellente facture – présents dans l’exposition – permettent aux experts, comme aux novices, d'en profiter.

 

 

« Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie »

Des premières études concentrées sur l’anatomie superficielle et marquées par la lecture des travaux de Galien aux dissections de cadavres au tournant du XVIe siècle, les études anatomiques de Léonard de Vinci représentent l’une des plus importantes contributions à la science de l’anatomie de la Renaissance. Cette facette méconnue du talent du maestro est à découvrir au Clos Lucé, à travers un parcours didactique et pluridisciplinaire qui mêle livres d’époque, fac-similés, maquettes anatomiques, instruments de dissection, installations et vidéo 3D animées. Une salle de dissection est également recréée à l'intérieur de l'exposition.
Du 9 juin au 17 septembre 2023, Clos Lucé, Amboise (37400).

 

 

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