Marseille, France – Devant la recrudescence brutale post-confinement des infections invasives à méningocoque de sérogroupes B, W et Y, les experts français réunis au congrès de la Société française de pédiatrie [1] reviennent à la charge, comme de nombreux pays européens : le temps ne serait-il pas venu d’inclure les vaccins polyosidiques conjugués tétravalents ACWY dans le calendrier vaccinal pour toute la population ?
Le Pr Hervé Haas, chef de Service de Pédiatrie - Néonatalogie (CH Princesse-Grace de Monaco), s’en explique.

Pr Hervé Haas
Les infections invasives à méningocoque (IIM) sont des pièges diagnostiques. Elles évoluent rapidement, laissant à peine 24 h entre une forme initiale avec des symptômes communs et le décès du petit enfant.
La méningite figure parmi les manifestations les plus fréquentes de l’IIM (225 cas en 2019 d’après les données du CNR Méningocoques et Hib, Institut Pasteur, Paris) mais bien d’autres présentations cliniques, parfois peu spécifiques, existent dans les premières heures [2] au moment où l’enfant est très souvent examiné par le médecin de premier recours, comme la septicémie (210 cas), le purpura fulminans (50 cas), l’arthrite (25 cas), la pneumonie (20 cas) et le syndrome abdominal (25 cas).
Ces dernières années, la mortalité liée à une IIM stagne aux alentours de 13 % et le taux de séquelles à 23 % (épilepsie, troubles neurologiques sévères, perte de l’audition, amputation, etc.). Les enfants de moins d’un an sont les plus touchés par les IIM, ainsi que la tranche d’âge 15-19 ans voire 20-24 ans, ces deux dernières périodes étant celles où le portage pharyngé est le plus important, d’où une nécessaire immunité de groupe.
Recul des sérogroupes historiques B et C, émergence de W et Y
Après deux années de faible incidence, en lien avec les mesures mises en place avec la pandémie de Covid-19, le nombre de cas d’infections invasives à méningocoque repart à la hausse depuis octobre 2022, avec un triplement des cas par rapport à 2021. Les experts qualifient ce rattrapage de « dette immunitaire ».

Concernant les différents sérogroupes de méningocoques, entre le B, le C, le W et le Y, leur incidences respectives ont évolué, notamment depuis 2017, année de l’instauration de la recommandation de la vaccination antiméningococcique C à 5 et 12 mois suivie de l’obligation vaccinale en 2018. L’incidence des sérogroupes historiques B et C a reculé simultanément à l’émergence des méningocoques de sérogroupe W et Y.

Situation des infections invasives à méningocoque en France au 31 décembre 2022. Saint-Maurice : Santé publique France ; 2023 : 4 p. Disponible à partir de l’URL : http://www.santepubliquefrance.fr
Dans le détail, le méningocoque de sérogroupe C est devenu très minoritaire, impliqué dans seulement 4 % des IIM. En revanche, les trois autres sérogroupes progressent fortement : 53 % pour le méningocoque de sérogroupe B (décembre 2022), 23 % pour le méningocoque de sérogroupe Y et 19 % pour le méningocoque de sérogroupe W. La hausse s’accélère depuis octobre 2022. 84 cas d’infections invasives à méningocoque ont été déclarés en décembre 2022, une incidence qui se situe à un niveau élevé et supérieur au pic mensuel, généralement observé plus tardivement dans la saison hivernale.
Les infections invasives à méningocoque B surviennent plus fréquemment chez les adultes jeunes (15-24 ans) et les nourrissons. Le sérogroupe Y est fréquemment identifié chez les adultes, en particulier les personnes de 60 ans et plus. Quant aux infections invasives à méningocoque W, elles augmentent dans plusieurs classes d’âge : nourrissons, jeunes adultes (15-24 ans) et adultes plus âgés. Par ailleurs, des souches émergentes de sérogroupe B en 2022 ont récemment été responsables de foyers d’hyper-endémie en région Auvergne-Rhône-Alpes (complexe clonaux 41/44 ST-3753) et à Strasbourg (complexe clonal CC 269, rare et émergent depuis 2015).
Vaccination contre les méningocoques B et C, des questions en suspens
Des incertitudes demeurent. Si le nombre de cas d’IIM dues au méningocoque de sérogroupe C a progressivement diminué, qu’en est-il de la durée de protection liée à la vaccination pédiatrique lors de l’entrée dans la période à risque de l’adolescence ?
De plus, depuis avril 2022, la Haute autorité de santé (HAS) recommande la vaccination des nourrissons contre le méningocoque B (2 doses + rappel ; à partir de 2 mois et avant l’âge de 2 ans), fondée principalement sur l’exemple positif anglo-saxon avec une persistance de l’efficacité au-delà d’une durée de 4 ans chez l’enfant de moins de 5 ans. Ceci à la condition que la couverture vaccinale de la population soit élevée, en l’occurrence elle avoisine les 90 % outre-Manche.
Le problème est que la technique de fabrication du vaccin contre le méningocoque B (qui n’est pas un vaccin conjugué) ne permet pas une efficacité de groupe, car sans effet sur le portage pharyngé : l’individu vacciné est certes protégé, mais le portage rhinopharyngé persiste, entraînant de ce fait la circulation du méningocoque de sérogroupe B dans l’environnement.
L’argumentaire en faveur du vaccin tétravalent ACWY
En 2021, après avoir étudié le dossier, la HAS avait décidé de ne pas recommander le vaccin tétravalent en population générale (contre les sérogroupes A, C, W et Y ; 4CmenB est un vaccin protéique à 4 composants) [3]. La HAS le réserve aux personnes immunodéprimées ou exposées à un risque important d’infection invasive à méningocoque (un rappel tous les 5 ans).
En revanche, de nombreux pays européens n’ont pas attendu pour inscrire la vaccination par le tétravalent ACWY dans leur calendrier vaccinal général (Espagne, Italie, Grèce, Allemagne, Slovaquie Belgique, Pays-Bas…), chez l’adolescent et le jeune adulte et/ou chez le nourrisson après un an, en rappel du vaccin contre le méningocoque C.
Précisément, aux Pays-Bas, la vaccination tétravalente ACYW au moyen d’une dose chez les nourrissons à 14 mois et chez les adolescents entre 14-18 ans (couverture vaccinale de 86 %), a permis une franche diminution du nombre d’IIM de sérogroupe W, à la fois chez les populations vaccinées et non vaccinées, suggérant un effet indirect de la vaccination.
Concernant la vaccination des adolescents contre le méningocoque B, les résultats semblent être au rendez-vous : en Australie, la vaccination a permis des réductions considérables de l’incidence des IIM de type B, entre 75 % et 96 %, et ceci malgré l’absence d’immunité collective [4].
Il a même été constaté en Grande-Bretagne une protection croisée avec le vaccin antiméningococcique B sur le sérogroupe W, avec une réduction du nombre d’IIM de sérogroupe W chez les enfants de moins de 5 ans et une efficacité du vaccin contre les souches W estimée à 88 %.

Reproduction avec l’accord du Pr Haas.
« Nous disposons de plusieurs arguments pour dire qu’il est temps d’introduire le vaccin tétravalent ACWY conjugué en France en population générale, avance le Pr Hervé Haas : la recrudescence des souches de méningocoque de sérogroupe W et Y, la perte des anticorps bactéricides contre le méningocoque C à l’adolescence chez les enfants vaccinés avant l’âge de 5 ans, la faible couverture vaccinale contre le méningocoque C chez les adolescents et adultes jeunes (37 %)… Ces arguments sont en faveur d’un rappel vaccinal au moyen du vaccin tétravalent conjugué ACWY à l’adolescence. »
Aujourd’hui, trois vaccins tétravalents conjugués à des protéines sont commercialisés. Des candidats pentavalents contre les sérogroupes ABCWY sont déjà dans le pipeline.
Les experts d’Infovac préconisent l’administration d’une injection du vaccin tétravalent conjugué ACWY chez les 12-14 mois en remplacement de la 2e dose de vaccin antiméningococcique C, avec un rappel à l’adolescence [5].
InfoVac-France est une ligne directe d’information et de consultation sur les vaccinations créée en Janvier 2003 en collaboration avec InfoVac-Suisse, ACTIV et le Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique de la Société Française de Pédiatrie.
https://www.infovac.fr/docman/1884-1b-calendrier-vaccinal-infovac-avril-2023/file
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Le Pr Haas déclare les liens d’intérêt suivant :
Conférences : GSK, MSD, Pfizer, Sanofi
Participation à des boards : GSK, MSD, Pfizer, UPSA
Invitations congrès : MSD, Pfizer
Études cliniques, investigateur coordinateur : MSD
Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Infections à méningocoques : le vaccin tétravalent conjugué ACWY revient sur le tapis - Medscape - 28 juin 2023.
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