Paris, France— Question existentielle : face au déluge d'innovations technologiques en tous sens, la place du médecin est-elle toujours prééminente ? C'est à ce type de question que s’est frotté un panel d’entre eux lors de La grande journée du cœur le 13 juin dernier à l’Institut du Cœur à Paris. En 7 minutes, chacun de ces praticiens devait déterminer si oui ou non, l'apparition de nouvelles technologies – balance et montre connectées, téléconsultation, IA, etc. – pouvait remplacer le médecin, voire constituer un nouveau traitement.
Montre connectée vs ECG
Premier à se frotter à cet exercice, le Dr Mikaël Laredo (cardiologue, Hôpital Pitié-Salpêtrière) devait déterminer si la montre connectée a vocation à se substituer au classique électrocardiogramme (ECG). Une question cruciale, puisqu'actuellement, on comptait en 2022 1,1 milliard de montres connectées par le monde.
« Dans les montres connectées sont embarquées plusieurs technologies diagnostiques possibles : la pléthysmographie, c'est-à-dire l'analyse de l'onde de pouls, mais aussi l'électrocardiogramme et enfin ces deux technologies sont synthétisées de manière manuelle ou via l'intelligence artificielle », introduit le Dr Mikaël Laredo.
« Concernant leur performance diagnostique, il existe deux grandes études de la montre Apple watch et de la montre Huawei, qui démontrent de bons résultats avec des valeurs prédictives importantes. Lorsque ces montres sont évaluées en vie réelle, les résultats sont un peu moins bons, avec des sensibilités qui varient de 58 % à 89%. Néanmoins on peut noter que 20% des tracés sont non conclusifs pour l'algorithme, et souvent ces tracés correspondent à des arythmies », analyse le Dr Mikaël Laredo.
Malgré cette faiblesse, les montres connectées sont devenues des outils cliniques importants. Et le Dr Mikaël Laredo de citer l'exemple d'un patient, un égyptologue en déplacement, qui grâce à sa montre connectée, a pu poser un diagnostic de fibrillation atriale et être pris en charge. Le Dr Laredo a également rappelé que les textes réglementaires « n'ont pas de retard, puisque la montre connectée est validée non seulement pour le dépistage mais également pour le diagnostic des troubles du rythme. »
IA vs cardiologue
Si la montre connectée complète brillamment l'ECG, l'intelligence artificielle peut-elle se substituer au cardiologue ? Pour le Dr Mathieu Kerneis (cardiologue interventionnel, Hôpital Pitié-Salpêtrière), « on utilise beaucoup l'intelligence artificielle pour faire des choses que le cerveau humain n'arrive pas à faire tout seul. L'IA permet de classifier et trier des données, et cela permet de prédire. Pour les médecins, classifier c'est diagnostiquer et prédire, ça s'appelle traiter. »
Selon Sergey Brin, le patron de Google, cité par le Dr Kerneis, il sera possible dans trente ans, grâce au transfert de données, de faire en sorte que l'IA remplace le cardiologue. « Il n'empêche qu’on a connu de gros échecs en la matière. Comme l'IA d'IBM pour le traitement du cancer, qui a montré des choix erronés de recommandations de traitement, et qui a abouti à l'arrêt du développement de cette IA pour l'oncologie. »
Mathieu Kerneis a également rappelé que si la médecine « est une science depuis 70 ans, elle est un art depuis 3000 ans. Il ne semble pas possible de remplacer, pour la relation humaine, un médecin par une IA. »
Scanner vs angiographie
Autre domaine, autre technologie : le scanner va-t-il faire disparaitre l'angiographie ? Le Pr Alban Redheuil, à la fois cardiologue et radiologue, était bien placé pour répondre à cette question.
« L'angiographie est une technique excellente pour voir la lumière, le flux, et traiter. Le scanner permet de voir la paroi, mais aussi une plaque d'athérome au besoin, ainsi que les stents. Le scanner offre une imagerie 3D voire 4D, qui permet de voir la lumière, la paroi, mais on ne peut pas voir le flux, et on ne peut pas faire de traitement. »
Autre écueil du scanner : il n'est pas indiqué en cas d'insuffisance rénale. Mais le Dr Alban Redheuil a aussi rappelé qu'en termes d'irradiation, « on utilise maintenant dix fois moins de doses qu'auparavant. »
Orbis vs dossier papier
Sur un sujet plus léger en apparence, le Pr Johanne Sylvain (hôpital de la Pitié-Salpêtrière) s'est demandé si le dossier électronique Orbis pouvait remplacer le dossier médical.
« Orbis est un des logiciels utilisés à l'AP-HP et il est question de remplacer tous les logiciels de l'hôpital, soit une petite trentaine, par le logiciel Orbis et ses diverses solutions. C'est une bonne idée, mais un énorme challenge. »
Le Dr Johanne Sylvain a mis en avant quelques écueils du logiciel Orbis pour ce qui est du dossier patient : bugs fréquents, longue liste de documents par patient, sans classement intuitif.
« Mais pour ce qui est de la lisibilité, de la traçabilité, et de l’historisation, il est évident que cela marche bien », a reconnu Johanne Sylvain.
« Mais Orbis a envie de faire plus que cela : gestion des blocs, de la pharmacie, des hospitalisations, des stocks, des résultats... Il faut que tous ces documents soient accessibles par tous les médecins et par les patients et que cela aille alimenter le DMP. »
Ces donnes auront aussi vocation à nourrir les projets de recherche. Si ce projet est porteur de progrès scientifique et médical, il est aussi extrêmement chronophage pour les médecins :
« Faire une programmation d'hospitalisation à la place de la secrétaire, cela prend du temps de médecin, répondre à des mails, ça prend aussi du temps... » Le principal inconvénient reste le risque de cyber-attaque : « il peut y avoir des risques de sécurité nouveaux », a conclu Johanne Sylvain.
Balance connectée vs consultation de prévention cardiovasculaire
Autre question : la balance connectée peut-elle remplacer les consultations de prévention cardiovasculaire ? « Il existe deux types de balance, l'une grand public et l'autre professionnelle, de type cellulaire, dont les données sont envoyées au cardiologue. Les balances connectées peuvent mesurer l'âge cardiovasculaire », détaille Blandine Hirtz, de la société Withings.
« On rend les patients acteurs de leur santé au quotidien. La balance connectée permet de détecter les risques cardiovasculaires, grâce au suivi de l'évolution des biomarqueurs, tels que le poids, l'eau intra et extra cellulaire, la vitesse de pouls et les ECG. »
Quel est l'apport pour les médecins ? « Les balances connectées permettent d'optimiser le temps des soignant, grâce à la télésurveillance. Pour conclure, la balance connectée ne remplace pas les consultations de prévention cardiovasculaire mais elle est bien un outil au service des cardiologues et des soignants.
Cigarette électronique
Si la balance connectée est un outil de prévention, la cigarette électronique constitue-t-elle un nouveau traitement contre le tabagisme ?
« En matière de santé cardiovasculaire, la nicotine de la cigarette électronique augmente la fréquence cardiaque, la pression artérielle et les besoins du muscle cardiaque en oxygène. Qui plus est, la cigarette électronique augmente aussi la rigidité aortique, comme la cigarette classique. Concernant la fonction endothéliale, la cigarette électronique est meilleure que la cigarette. La e-cigarette augmente l'agrégation plaquettaire, mais sur la fonction myocardique nous n'avons pas d'éléments négatifs. Enfin nous ne pouvons pas répondre à la question qui nous intéresse le plus : quel est le risque d'événements cliniques ? Il n'y a pas d'études sur le sujet », a détaillé la Dre Niki Procopi (cardiologue interventionnelle, hôpital de la Pitié-Salpêtrière).
« Il faut aussi prendre en compte l'impact des conflits d'intérêt. Une publication a étudié 38 études sur le sujet, et l'on s'est rendu compte que 90% des études sans conflit d'intérêt avec l'industrie de la cigarette électronique montraient des effets nocifs, alors que ce chiffre tombait à 25% pour les études qui avaient des conflits d'intérêt. »
Le Dr Niki Procopi poursuit en affirmant « qu'il a été observé des risques de toux chronique et d'exacerbation de l'asthme avec la cigarette électronique, et l'on a noté des atteintes pulmonaires aigues en 2019, qui engendre 3% de mortalité et qui étaient causées par l'acétate de vitamine E contenue dans le liquide des cigarettes électroniques et qui a depuis été interdit. »
Quoi qu'il en soit, la cigarette électronique peut-elle servir au sevrage ? « Nous avons à notre disposition une méta analyse de 7 études qui prouverait que la cigarette électronique serait plus efficace que les substituts nicotiniques dans le sevrage du tabac, sous réserve des effets secondaires à long terme. La conclusion des auteurs reste prudente. »
Téléconsultation vs consultation
La Dre Anne Carillon (anesthésiste-réanimatrice, hôpital de la Pitié-Salpêtrière) a tenu à répondre à une question qui a beaucoup agité le landernau médical pendant la pandémie de Covid-19 : la téléconsultation va-t-elle remplacer la consultation ? « La téléconsultation reste une vraie consultation. C'est un docteur que vous avez de l'autre côté de l'écran. Il fait un recueil d'informations, prend des décisions médicales, adapte le traitement, etc. Il va aussi pouvoir prescrire, transmettre des ordonnances d'arrêt de travail, rédiger un compte rendu et facturer », détaille l’anesthésiste.
Quels sont les avantages de la téléconsultation ? « Faire des consultations dans toute la France, suivre un patient qui est en déplacement, ou sur son lieu de travail. Pour un patient qui a des difficultés de mobilité c'est une solution intéressante. »
Quelles sont les conditions pour réaliser une téléconsultation ? « Il faut voir le patient donc avoir un bon réseau, il faut aussi que le patient se trouve dans un endroit silencieux.
« Pour ce qui est de l'examen clinique, on peut ajuster en consultation pré anesthésique, ce n'est pas un problème », complète Anne Carillon. La téléconsultation est-elle ouverte à tous les patients ?
« Il faut que le patient soit d'accord. En revanche, nous ne prenons pas de patients en chirurgie cardiaque. À part cela c'est un bond technologique pour le bien commun. »
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Crédit de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2023
Citer cet article: Journée du Coeur : la technologie peut-elle remplacer la médecine ? - Medscape - 27 juin 2023.
Commenter