Toulouse, France — Dans le traitement du mélanome, du cancer du pancréas, du glioblastome, du cancer du poumon, des cancers de la sphère oto-rhino-laryngée (ORL)… les essais évaluant l’intérêt du vaccin thérapeutique en cancérologie se multiplient et, comme l’attestent des études présentées au congrès annuel de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO 2023), les premiers résultats se révèlent prometteurs.

Pre Maha Ayyoub
Pourquoi cette accélération dans les recherches menées sur les vaccins thérapeutiques anti-cancer? Par quels mécanismes ces vaccins activent la réponse immunitaire anti-tumorale? Nous avons interrogé la Pre Maha Ayyoub, immunologiste à l’IUCT-Oncopole (Institut universitaire du cancer de Toulouse). En partenariat avec la société Transgène et l’Institut Curie, elle participe avec son équipe au développement d’un vaccin thérapeutique personnalisé, actuellement évalué dans le traitement des cancers ORL.
Les premiers résultats de l’essai clinique de phase 1 évaluant le vaccin TG4050 ont été présentés lors du congrès de l’ASCO [1]. Chez les patients nouvellement diagnostiqués pour un cancer ORL localement avancé et traités par chirurgie, aucune récidive n’a été observée dans le groupe recevant le vaccin personnalisé après un suivi médian de 10 mois, alors que le risque de rechute est élevé dans ce type de cancer.
Fait notable: tous les patients vaccinés ont présenté une réponse immunitaire. Le vaccin personnalisé, qui utilise un vecteur viral, a été conçu pour viser une trentaine d’antigènes tumoraux par patient.
Dans une autre étude présentée à l’ASCO, l’administration d’un vaccin dirigé contre des antigènes du papillomavirus humain (HPV-16) dans le traitement d'une forme avancée de cancer ano-génital HPV induit a permis une réponse immunitaire chez quasiment tous les patients [2].
Des vaccins thérapeutiques à ARNm ont également montré des résultats encourageants en association avec une immunothérapie anti-PD1. C'est le cas notamment dans le traitement du cancer du pancréas, avec une réduction là encore du risque de récidive après administration d’un vaccin ARNm personnalisé [3]. Des résultats similaires ont été obtenus avec ce type de vaccin après résection d’un mélanome à haut risque [4].
Si ces résultats doivent encore être confirmés dans de plus larges études et à plus long terme, ils sont globalement très encourageants. D’autant plus que la conception de certains de ces vaccins s'appuie sur des outils basés sur l’intelligence artificielle, qui laissent présager de meilleures performances dans l’identification des antigènes tumoraux les plus immunogènes.
Explications de la Pre Maha Ayyoub.
Medscape édition française: Quel est le mode d’action des vaccins thérapeutiques développés dans la lutte contre le cancer?
Pre Maha Ayyoub: Pour bien comprendre, il faut tout d’abord considérer, en se référant au concept d’immunocancérologie désormais validé, qu’une tumeur a besoin pour se développer de se constituer un microenvironnement lui permettant d’échapper au système immunitaire. La réponse immunitaire dirigée contre les antigènes tumoraux se retrouve inhibée. Dans l’ensemble, toutes les cellules cancéreuses expriment des antigènes tumoraux, issues de modifications de leur ADN ou d’autres modifications liées à leur transformation, mais la réaction immunitaire contre ces antigènes varie d’un patient à l’autre. Or, comme plusieurs études l’ont montré, ceux qui développent une bonne réponse immunitaire ont un meilleur pronostic.
L’idée avec les vaccins anticancer est d’administrer les antigènes tumoraux dans des formulations hautement immunogènes afin d’induire des effecteurs de l’immunité capables de migrer vers la tumeur. On cherche en particulier à activer une réponse à lymphocytes T cytotoxiques. Ceux-ci vont ensuite infiltrer les tumeurs pour s’attaquer aux cellules cancéreuses porteuses de ces mêmes antigènes. Le vaccin peut aussi amplifier une réponse immunitaire antitumorale déjà existante.
Il faut préciser également que ces vaccins contiennent des adjuvants, dont le rôle est de stimuler la réponse immunitaire, alors que justement les signaux d’activation de l’immunité innée font souvent défaut au niveau tumoral.
Quelles sont les stratégies actuellement expérimentées ?
Pre Ayyoub: Les stratégies vaccinales les plus prometteuses exploitent trois moyens d’administrer l’antigène tumoral : la protéine recombinante, le vecteur viral et l’ARNm.
Dans les années 1990, lorsque la recherche sur les vaccins anticancer a débuté, la protéine recombinante ou les peptides, ainsi que le vecteur viral ont d’abord été utilisés. Avec l’identification des antigènes tumoraux, il a été possible de faire produire en laboratoire les protéines correspondantes. Ces protéines recombinantes sont ensuite injectées au patient en les associant à un adjuvant. Dans le cas des vecteurs viraux, les séquences ADN codant pour les antigènes sont insérées dans le génome de virus non-pathogènes. Après injection des virus ainsi modifiés, les antigènes sont produits par les cellules infectées.
Plus tard, dans les années 2010, ont été développés les vaccins à ARNm, bien connus depuis la pandémie de Covid-19. Il faut rappeler que ces vaccins ont d’abord été développés comme moyen de lutte contre le cancer. Récemment, avec le développement des techniques de séquençage de l’ADN, il est devenu possible de produire des vaccins personnalisés. Ceux-là ciblent une famille d’antigènes tumoraux appelés néo-antigènes et qui sont codés par des mutations propres à la tumeur de chaque patient.
De nombreux essais sont actuellement menés pour tester cette approche thérapeutique. Pour quelles raisons assiste-t-on à une accélération des recherches dans ce domaine ?
Pre Ayyoub: Dans un premier temps, les vaccins thérapeutiques développés ont été testés après échec des autres thérapies conventionnelles. Beaucoup des essais conduits ont été négatifs. Ils ont cependant eu le mérite de démontrer la sureté de l’approche vaccinale contre les antigènes tumoraux. Parallèlement, l’arrivée de l’immunothérapie a révolutionné la prise en charge du cancer, avec notamment les anti-PD1, qui ont la capacité de lever les freins des lymphocytes T antitumoraux préexistants et de déclencher une réponse antitumorale efficace.
L’immunothérapie a permis de confirmer le rôle majeur des lymphocytes T cytotoxiques dans la réponse antitumorale et la vaccination se présente comme un moyen de générer justement des lymphocytes T spécifiques des antigènes tumoraux. Etant donné que la sécurité de ces vaccins a été entre temps démontrée, on peut aujourd’hui développer cette stratégie, qui vient compléter l’immunothérapie.
Le développement des nouvelles technologiques a aussi contribué à l’accélération des recherches. Le séquençage à haut débit de l'ADN et de l’ARN, permet aujourd’hui d’analyser l’ensemble du génome tumoral et normal de chaque patient pour identifier les mutations spécifiques de sa tumeur, celles qui pourraient coder les néo-antigènes. Et, plus récemment, les avancées dans le deep learning [algorithme d’intelligence d’artificielle permettant de faire le tri dans de vastes bases de données, ndr] facilitent la sélection, parmi toutes les mutations tumorales d’un patient, de celles qui sont les plus immunogènes pour mettre au point un vaccin efficace.
Vous participez avec votre équipe de l’IUCT-Oncopole de Toulouse au développement d’un vaccin personnalisé dans le traitement des cancers ORL. Qu’est-ce qui caractérise ce vaccin ?
Pre Ayyoub: Les vaccins thérapeutiques personnalisés sont à distinguer des vaccins ciblant d’autres familles d’antigènes tumoraux dits partagés, c’est-à-dire présents dans les tumeurs d’un ensemble de patients. Par exemple, les vaccins thérapeutiques ciblant les antigènes HPV, présents dans toute tumeur induite par ce virus, pourraient être administrés à tout patient ayant une tumeur HPV induite.
Dans le cas du vaccin personnalisé, la méthode s’appuie sur la recherche des multiples mutations génétiques qui sont propres à chaque tumeur et qui potentiellement vont induire la synthèse des « néo-antigènes » tumoraux. Ces mutations non oncogéniques, dites accessoires, sont différentes d’un patient à l’autre. Pour un même cancer, on peut avoir des centaines, voire des milliers de mutations accessoires.
Une fois les mutations de la tumeur identifiées par séquençage chez un patient, les algorithmes développés par deep learning sont capables de repérer les plus intéressantes. Pour cela, ils s’appuient sur les connaissances actuelles concernant la reconnaissance par les lymphocytes T des peptides mutés présents à la surface des cellules.
Concrètement, comment le vaccin individualisé a été mis au point dans cet essai ?
Pre Ayyoub: A partir d'un échantillon de la tumeur prélevé lors du traitement chirurgical, un séquençage de l’ADN tumoral est réalisé et comparé à celui de l’ADN normal effectué après un prélèvement sanguin pour chercher les mutations. Une fois celles-ci identifiées, une première sélection est appliquée en réalisant un nouveau séquençage sur les ARNm des cellules tumorales afin de vérifier quels sont les gènes mutés qui sont exprimés dans la cellule tumorale. En parallèle, le système HLA du patient est analysé afin de caractériser ce régulateur important de la réponse immunitaire.
Toutes ces données sont transmises au logiciel développé par deep learning qui va sélectionner les mutations les plus prometteuses. L’ADN codant pour la séquence peptidique la plus immunogène du néo-antigène codé par le gène muté est ensuite synthétisée puis insérée dans le génome du virus recombinant. Au final, dans le cas du vaccin TG4050, le virus fabriqué transporte les codes d’une trentaine de mutations, spécifiques du patient et de son cancer.
Le vaccin est préparé pendant la prise en charge du patient qui reçoit le traitement standard incluant une résection et un traitement adjuvant par radiochimiothérapie.
Certains vaccins anticancer sont testés dans l’idée notamment de renforcer une immunothérapie. Vous avez fait le choix de vacciner après un prise en charge standard pour réduire les récidives. Pour quelles raisons ?
Pre Ayyoub: Toutes les stratégies actuellement à l’essai se justifient. C’est l’ensemble des essais cliniques en cours qui nous guidera sur le meilleur positionnement des vaccins dans la stratégie thérapeutique. Il n’y aura très probablement pas qu’un seul positionnement efficace. Le choix dans l’essai de Transgene était de générer une mémoire immunitaire avec le vaccin après le traitement initial de la maladie, afin d’empêcher ou de retarder la rechute. Même si le vaccin reste thérapeutique, on revient quasiment à une approche vaccinale préventive.
L’utilisation d’un vecteur viral vivant pour l’élaboration du vaccin est aussi une bonne approche puisque les virus, une fois injectés, ont un pouvoir immunogène très important. Selon de précédents travaux menés par notre équipe, nous avons pu observer que les lymphocytes T générés par ces vaccins utilisant des virus sont d’excellente qualité. Ils ont une très bonne capacité à identifier et détruire les cellules tumorales.
Les premiers résultats de l’essai, présentés à l’ASCO, montrent que la majorité des patients ont développé une réponse immune avec le vaccin personnalisé. De plus, aucune récidive n’a été recensée pour le moment parmi les patients vaccinés.
Quelles sont les prochaines étapes dans le développement de ce vaccin ?
Pre Ayyoub: Grâce aux logiciels d’intelligence artificielle et à des données sur l’immunogénicité de plus de 50 000 néo-antigènes testés par nos équipes, nous envisageons de développer un vaccin personnalisé de nouvelle génération, qui sera évalué dans un nouvel essai clinique chez les patients atteints de cancer ORL, seul ou en combinaison avec un anti-PD-1. Pour cela, nous prévoyons une collaboration entre nos équipes de l’Oncopole et du CRCT et celles de Transgène et de l’Institut de Recherche Technologique Saint Exupéry à Tououse.
Les vaccins personnalisés ciblant les néo-antigènes sont actuellement testés dans les cancers ORL, ovariens et colorectaux et dans le mélanome, mais la stratégie peut tout à fait s’appliquer à un grand nombre de types tumoraux.
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Crédit de Une : Dreamstime
Crédit photo texte: CRCT
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Citer cet article: Vaccins thérapeutiques anti-cancers: le point sur les avancées - Medscape - 21 juin 2023.
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