France – Dans un contexte démographique alarmant, des collectivités ont décidé ces dernières années d’attribuer des bourses à des étudiants en médecine en contrepartie d’un engagement à exercer dans leur territoire.
Il y a vingt ans, les régions et les conseils départementaux étaient à la manœuvre. Désormais, ce sont des communes qui investissent et accompagnent financièrement des carabins pendant leur cursus dans l’espoir qu’ils deviennent leur futur médecin. Pari gagnant ?
Financement des études contre installation
Pour trouver un médecin, les collectivités ne s’adressent plus seulement aux jeunes diplômés dont une faible proportion s’installe directement une fois sortie de la faculté. Dorénavant, les mairies se tournent vers les étudiants en médecine quand ce ne sont pas les carabins qui les sollicitent.
Hervé Van Praag, maire de Plévenon, commune de 800 âmes près du Cap Fréhel, dans les Côtes-d’Armor (22), ne s’attendait pas, en recevant à l’été dernier Léonard Farcy, un jeune étudiant en médecine, à s’adresser au probable futur médecin de sa commune. En 3e année de médecine à l’université de Paris-Saclay, le jeune homme de 22 ans propose alors un marché à l’édile : si la commune accepte de participer au financement de ses études, il s’installera en retour en tant que généraliste à Plévenon.
L’élu est séduit par la démarche audacieuse de l’étudiant, qui a apporté copie du décret et de l’arrêté de 2018 qui autorisent les collectivités de verser des bourses à des étudiants en santé. « J’ai senti la motivation de ce jeune qui est attaché à notre territoire où il a deux grands parents et où il a déjà travaillé au camping en tant que saisonnier. » Léonard parvient à convaincre le conseil municipal (14 membres) qui avait initialement des réticences, redoutant que le jeune homme puisse abandonner ses études ou choisir une autre spécialité.
En mars dernier, la mairie de Plévenon et Léonard ont signé une convention. Depuis lors, la municipalité verse 400 euros par mois à l’étudiant pendant ses sept prochaines années d’études. En contrepartie, Léonard s’engage à exercer à Plévenon pendant sept années ou à défaut à rembourser la somme qu’il a perçue.
Un investissement pour l’avenir ?
« Oui, c’est un investissement important (environ 35 000 euros) et lointain, mais rien ne dit que la situation démographique ne va pas s’aggraver. D’ici 5 à 7 ans, peut-être faudra-t-il parcourir 45 kilomètres pour trouver un médecin ou se résoudre à n’avoir accès qu’à la téléconsultation », anticipe Hervé Van Praag, qui a par ailleurs investi 300 000 euros dans l’achat d’une habitation qui sera transformée en cabinet pouvant accueillir trois professionnels de santé. Léonard a l’assurance de pouvoir s’installer à Plévenon, ce que ne garantissait pas forcément le contrat d’engagement de service public (CESP), système de bourse national.
Depuis son passage dans plusieurs journaux et émissions télé, le maire de Plévenon a reçu plusieurs demandes de maires et d’un député pour avoir des explications sur le dispositif. « Je ne pensais pas que ce choix de proposer une bourse aurait un tel impact, affirme Hervé Van Praag, qui reconnaît cependant que beaucoup de communes n’ont pas forcément le budget pour engager cette démarche ».
Plusieurs villes ont délié les cordons de la bourse
Plévenon n’est pas la seule municipalité à financer le cursus d’étudiants en médecine.
Fin 2021,en Corrèze (19), la ville de Brive-La-Gaillarde a lancé le dispositif « J’adopte un doc ». La ville octroie une bourse de 500 euros pour les étudiants en médecine (mais à partir de la 5e année seulement) qui s'engageant à s'installer pour trois ans au moins. Celle-ci monte à 1000 euros pour un engagement de 6 ans. La Ville de Brive propose également une aide pour aider les stagiaires à trouver un logement et financer leurs déplacements ainsi qu’un prêt à taux zéro, au moment de leur installation, pour acquérir des locaux, du matériel ou réaliser des travaux (jusqu’à 50 000 euros, remboursable sur 5 ans).
Depuis 2019, la communauté de communes des Villes Sœurs dans le pays de Caux (76), a, elle, lancé une bourse d’études dans le cadre de son contrat local de santé. En l’échange d’une allocation annuelle de 7000 euros, les étudiants s’engagent, une fois diplômés à s’installer pendant au moins dix ans (dont cinq incompressibles) sur le territoire des 28 communes qui la composent entre la Seine-Maritime et la Somme. Le dispositif a été souscrit depuis quatre ans par 12 étudiants - neuf en médecine générale et trois en dentaire.
« Deux internes vont passer leur thèse et sont en phase d’installation dans la Maison de santé pluridisciplinaire de Criel-sur-Mer, explique Martine Douay, conseillère en charge du contrat local de santé de la communauté de communes des Villes Sœurs. Ils effectuent déjà des remplacements sur le territoire dans l’attente de la fin des travaux. » L’aide de la communauté de communes n’est pas seulement financière. « Nous cherchons à améliorer leur quotidien sur le territoire et leur épanouissement, Notre objectif est qu'ils s'installent durablement, au-delà des 5 années prévues », ajoute Martine Douay. La Communauté de communes des Villes Sœurs a récemment organisé une rencontre avec ces étudiants pour leur fournir toutes les informations pratiques qui pourraient faciliter leur future installation.
Le risque d’une « course à l’échalote », selon l’APVF
Ce système de bourses d’études est-il l’avenir pour les municipalités et peut-il séduire les futurs médecins ?
L’initiative n’enthousiasme pas, en tout cas, l’Association des petites villes de France (APVF). « C’est très bien que des bourses puissent amener un étudiant à s’engager sur un territoire, les municipalités ont la liberté de le faire mais nous préférons privilégier le contrat d’engagement de service public (CESP) qui est un dispositif national », explique à Medscape édition française Gustave Richard, conseiller santé de l’APVF. Tout ce qui crée une concurrence entre communes est néfaste. Ce système risque d’entraîner une course à l’échalote. »
Le conseiller de l’APVF observe que des élus locaux prennent déjà une part de plus en plus importante dans le champ sanitaire, en s’engageant notamment dans la création de maisons de santé. Or, la santé doit rester une prérogative de l’Etat qui doit en la matière assumer ses responsabilités.
Un obstacle : le manque de visibilité
Le principe des bourses mises en place par les mairies n’est pas non plus plébiscité par l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). « Nous voyons les limites de cette proposition car il est difficile d’anticiper l’évolution de l’organisation du système de santé à l’échelle d’une ville, affirme son président Yaël Thomas. Si un étudiant s’engage avec une municipalité mais qu’une maison de santé se monte dans une commune voisine, il serait plus intéressant pour lui de s’installer dans cette MSP. » L’Anemf défend le principe du CESP qui lui semble plus intéressant.
Selon un bilan présenté fin 2022 par le ministère de la Santé, 3307 contrats d’engagement de service public ont été signés par des étudiants en médecine entre 2010 et 2021. Le CESP permet à un étudiant en médecine de bénéficier d’une bourse mensuelle de 1200 euros brut en contrepartie d’un engagement à exercer dans une zone sous-dotée pendant un nombre d’années équivalents à la durée de perception de l’allocation. Si le bilan du CESP est plutôt mitigé, cela serait prioritairement lié à la trop faible communication des pouvoirs publics à destination des carabins, estime Yaël Thomas. De fait, ces dernières années, le nombre de signataires de CESP a également baissé car les étudiants en médecine ne peuvent dorénavant plus accéder à ces bourses qu’à compter de la 3e année.
« La proposition de loi Valletoux en discussion propose de rétablir l’accès dès la 2e année comme c’était le cas initialement », explique Yaël Thomas. « Dès le début de leur cursus, des étudiants savent très bien ce qu’ils veulent faire et souvent, c’est médecine générale. La bourse peut leur permettre de bénéficier d’une aide quand leur famille n’a pas toujours les moyens de les accompagner financièrement », conclut le président de l’Anemf.
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Quand des mairies financent les études de leur futur médecin - Medscape - 23 juin 2023.
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