Transcription
France __ Bonjour et bienvenue sur le site de Medscape. Je suis le docteur Manuel Rodrigues, oncologue médical à l’Institut Curie, à Paris.
Aujourd’hui, je vais vous parler des nouveaux chiffres de l’incidence du cancer en France . Ces chiffres sont relativement inquiétants – il y a des points d’optimisme, mais tout de même, relativement inquiétants.
Une forte augmentation du nombre de cas de cancer en France
Le premier de ces chiffres, c’est l’incidence globale, les nouveaux cas de cancer tous les ans. Ce nombre augmente encore une fois. On était habitué à des chiffres autour de 360 000, 380 000, et là, on est à 430 000 nouveaux cas par an de cancer. C’est considérable, c’est une augmentation régulière.
Par rapport à 1990, on a simplement doublé le nombre de cancers en France chaque année. Alors, quels sont les cancers les plus fréquents ? Le top trois dans chaque catégorie de sexe est à peu près stable, c’est-à-dire que chez la femme, c’est le cancer du sein – 60 000 nouveaux cas par an environ, à peu près –, chez l’homme, c’est aussi 60 000 nouveaux cas, mais pour le cancer de la prostate, cette fois-ci. Viennent derrière pour les deux sexes le cancer du colorectum et du poumon. Concernant le cancer du poumon, on est à peu près à 50-55 000 cas par an avec une augmentation chez les femmes, tandis qu’on a une diminution chez les hommes, puisqu’il y a eu un décalage dans la consommation de tabac.
Pour le cancer colorectal, on est à peu près autour de 47 000 cas, donc 45-50 000 nouveaux cas par an en France. Ce qui est plus étonnant encore, c’est l’incidence des autres cancers, puisque certains diminuent et d’autres augmentent. On se retrouve alors avec certains cancers graves, comme les cancers du pancréas ou du rein, qui augmentent dans le classement, puisque le cancer du rein est devenu le quatrième cancer le plus fréquent chez l’homme. Ce qui veut dire que chez l’homme, c’est : prostate, poumon, côlon, rein. C’est assez étonnant pour nous. On n’était pas habitué à ça. Chez la femme, c’est le huitième cancer le plus fréquent et le cancer du pancréas est en sixième position chez la femme et neuvième chez l’homme, pour un cancer qui est, comme vous le savez, très grave. Donc ça, ce sont des chiffres inquiétants.
Quelles sont les raisons de cette forte augmentation ?
Alors, pourquoi ces chiffres augmentent ? Il y a plusieurs raisons. La première d’entre elles est démographique : la population augmente, elle vieillit, ce qui augmente nécessairement le nombre de cancers.
La deuxième raison est le dépistage, la prévention secondaire. Vous mettez en place des stratégies de dépistage, le PSA dans la prostate, le dépistage par mammographie pour le cancer du sein, par exemple, vous allez augmenter nécessairement le nombre de cas dans cette pathologie-là.
Néanmoins, concernant la troisième, l’augmentation réelle, comme on l’entend, c’est l’augmentation de l’exposition à des facteurs de risque de survenue de cancer, et là-dessus c’est plus inquiétant.
Pour citer le premier d’entre eux, c’est le tabac et l’exposition au tabac. Chez les hommes, la consommation de tabac a diminué fortement à la fin du 21e siècle, ce qui fait que les cancers induits par le tabac et en premier lieu les cancers ORL, les cancers du poumon, de l’œsophage, de la vessie, sont en nette diminution chez l’homme, parfois, même, jusqu’à moitié moins de cas par rapport à 1990.
À l’inverse, chez la femme, avec une consommation qui est arrivée plus tardivement au 20e siècle, on voit une augmentation considérable dans certains cas de l’incidence de ces cancers et en particulier, pour citer cet exemple-là, le cancer du poumon, dont l’incidence a été multipliée par cinq depuis 1990 chez la femme.
Alors, dans les autres cancers, on a certains cancers, comme le cancer du côlon qui augmente aussi, et particulièrement chez les femmes autour de la quarantaine, ce qui est assez inquiétant.
Est-ce l’exposition, les facteurs autour de l’obésité, de l’activité physique qui jouent un rôle sur cette augmentation ?
On ne le sait pas vraiment mais il y a des cancers comme ceux-là, pour lesquels on peut se poser des questions. Et en particulier, dans les cancers du rein et du pancréas que je citais tout à l’heure, puisqu’autant concernant le pancréas, on connaît quelques facteurs de risque : peut-être le tabac, le diabète, l’obésité, des facteurs alimentaires, etc. Ce n’est cependant pas quelque chose de concret, comme pour le cancer du poumon et le facteur risque premier qui est le tabac.
Concernant les cancers du rein, on ne connaît pas très bien les facteurs de risque non plus et pourtant, on voit l’incidence de ces deux cancers augmenter année après année, en particulier en France, même comparé aux autres pays. Ce qui est d’autant plus inquiétant, puisque ce sont des cancers qui parlent peu, qui donnent peu de symptômes dans leur évolution initiale et qui, donc, sont découverts tard et qui sont de pronostic défavorable. C’est un enjeu important puisque 40 % des cancers sont évitables.
40 % des cancers en France peuvent être évités
Encore une fois, en France, à peu près 40 % des cancers sont évitables par des stratégies politiques ambitieuses. Si l’on veut réellement réduire l’incidence des cancers, la charge du cancer sur la société et sur les individus, il faut mettre en place des plans ambitieux.
Justement, l’occasion de ce rapport est intéressante, puisque se discute en ce moment même une stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat. Cette stratégie nationale, c’est un plan décennal (un plan pour les dix prochaines années), entre autres sur l’alimentation, avec un conseil national de l’alimentation, une instance consultative indépendante, qui discutent des objectifs et des moyens que l’on peut mettre en place pour cela.
Toutefois, les discussions n’ont pas beaucoup avancé, puisqu’on n’arrive même pas à se mettre d’accord sur les objectifs.
Il y a 17 objectifs sur lesquels les instances n’arrivent pas à se mettre d’accord, avec des discussions sur des points tels que l’objectif de modérer l’offre de viande, l’offre de produits carnés et laitiers, puisqu’on sait que la viande, en particulier la viande rouge, augmente le risque de certains cancers et le risque de pathologies cardiovasculaire.
Sur ce point, même l’association nationale de l’industrie agroalimentaire s’y est opposée, on a la FNSEA qui s’y est opposée, la coopération agricole qui s’y est opposée. Ils préfèrent une notion d’équilibre alimentaire entre produits végétaux et animaux à la place, donc quelque chose de très peu ambitieux.
Ce n’est pas comme avec cela que l’on va faire diminuer la consommation de viande rouge et donc, diminuer les problèmes de santé qui y sont liés.
De la même façon, ces groupes se sont opposés à la réglementation du marketing et de la publicité des produits qui vont à l’encontre d’une alimentation équilibrée, saine et durable. C’est quand même assez fou ! C’est-à-dire qu’ils vont à l’encontre du marketing pour éviter ces produits qui sont néfastes pour la santé, ils préfèrent à cela un encadrement volontaire des industriels, ce qui, bien sûr, n’existera jamais.
Une stratégie pour l’alimentation
Aujourd’hui se discute, dans des réunions interministérielles, cette stratégie d’alimentation. Le cancer, les cancers augmentent – c’est une charge lourde pour les individus quand ils sont atteints, une charge lourde pour la société, cela consomme beaucoup de ressources de traiter un cancer. Il est absolument indispensable de faire diminuer ces cancers, les cancers évitables. Il faut protéger les concitoyens et les éduquer, il faut ne pas avoir peur de cela, au contraire, il faut prendre cela à bras-le-corps. Cela va prendre du temps pour voir les répercussions en termes de santé, puisqu’il faut a minima dix ans d’exposition et 20 ans d’exposition pour voir la différence d’incidence.
Mais, c’est absolument dispensable, non seulement pour la cancérologie comme pour la pathologie cardiovasculaire et pour plein d’autres problèmes de santé. Il faut prendre à bras-le-corps les problèmes de nutrition, les problèmes de sédentarité. Il faut lutter contre cela avec des politiques volontaristes qui ne reposent pas uniquement sur le consommateur – ce n’est pas juste d’aller dire au consommateur de manger moins, de manger plus équilibré, de bouger plus.
C’est aussi l’éduquer, favoriser le Nutri-Score pour lui apprendre, c’est pousser les industriels à avoir des recettes plus équilibrées et moins de produits ultra-transformés, et remettre les gens au fourneau, entre autres.
Il y a plein de mesures à mettre en place pour, peut-être enfin, s’attaquer au problème, et on peut l’espérer – je l’espère en tout cas – grâce à cette nouvelle stratégie, à ce nouveau plan décennal.
Voilà et à bientôt sur Medscape.
Voir tous les blogs du Dr Rodrigues ici.
A lire sur le même sujet :
Les femmes confrontées à une hausse de certains cancers
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
© 2023 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: Doublement des cancers en 20 ans : « Il faut prendre à bras-le-corps les problèmes de nutrition et de sédentarité » - Medscape - 17 juil 2023.
Commenter