POINT DE VUE

Quels sont les symptômes post-traumatiques possibles suite à une prise d’otage comme dans le cas d’Olivier Vandecasteele ?

Carole Stavart

Auteurs et déclarations

12 juin 2023

Bruxelles, Belgique — Travailleur humanitaire belge, Olivier Vandecasteele arrêté en Iran et incarcéré, a été libéré après 445 jours de détention, c’est un soulagement pour tous, mais pour l’otage comme pour sa famille et ses proches, ces 15 mois ont été très longs, reconnaissent-ils. Comment va-t-il se remettre de son traumatisme et quels sont les symptômes post traumatiques qu’Olivier Vandecasteele pourraient développer ? Nous avons demandé l’avis de la Dre Caroline Depuydt, psychiatre et cheffe de clinique à Fond’ Roy (Uccle, Belgique).

Si l’on sait selon Nathalie Vandecasteele qui s’est confiée sur le plateau de Jeudi en Prime de la RTBF, que « pour le moment, il est encore dans cette phase euphorique de sa libération, il risque de se retrouver avec des cauchemars ou d’autres sentiments plus négatifs qui pourraient remonter », explique-t- elle.

L’avis de Caroline Depuydt sur les possibilités de stress post-traumatique :

« Dans le cas de syndrome de stress post-traumatique, le cerveau va tenter de digérer ces stress post-traumatiques mais parfois il n’y arrive pas, il est dépassé. La capacité de résilience et de digestion est dépassée. On est dans un moment critique où le stress est particulièrement important et long », explique-t-elle.

« Dans le cas d’Olivier Vandecasteele, que je ne connais pas personnellement et dont je ne connais pas non plus la situation précise, ce qu’on peut dire c’est qu’il a l’air d’avoir une personnalité assez affirmée et assumée, et c’est un facteur protecteur au niveau de la personnalité. Le fait d’être un travailleur humanitaire a probablement aussi permis d’être préparé à la situation qu’il a vécue. Il a certainement reçu de la prévention par rapport aux stress post traumatiques dans sa formation », estime la psychiatre.

« Mais d’un autre côté, ce qu’il a vécu, la longueur de la détention, l’isolement dans lequel il a vécu, seul avec ses pensées, ses ruminations, est quelque chose de très lourd à porter. L’isolement sensoriel également, avec une lumière permanente qui a perturbé son sommeil, les mauvais traitements alimentaires et autres, le fait de dormir à même le sol, etc. Tout cela fait que les besoins de bases ne sont pas remplis et peut augmenter le traumatisme et le risque de syndrome de stress post-traumatique. Par syndrome de stress post-traumatique on entend que le trauma peut revenir sous forme de flash-back, de cauchemar, il est intrusif et non contrôlé et cela peut atteindre l’humeur, provoquer des dépressions ou des amnésies dissociatives parce que manifestement on a du mal à dormir, à récupérer, et cela peut amener à des troubles de la concentration. »

Prévenir et accompagner

Dans l’émissions de Jeudi en Prime de la RTBF, la sœur d’Olivier Vandecasteele explique que son frère « veut suivre les conseils de l’équipe médicale pour se reconstruire au plus vite, mais correctement pour retrouver le plus rapidement possible une vie normale. Il ne veut pas garder cette étiquette d’ex-otage », poursuit-elle.

« À la suite d’un événement comme celui-ci, il y aura un stress aigu », précise Caroline Depuydt. « Ce qu’il a vécu est extrêmement traumatisant et pouvoir être attentif et agir au niveau thérapeutique et curatif avec des traitements psychothérapeutiques est indispensable. »

La technique du EMDR

Mais il y a aussi d’autres thérapies possibles. La technique thérapeutique de EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) permettrait de bien accompagner les syndromes de stress post-traumatique. « Le EMDR est une technique qui ne fait pas appel à la parole mais plutôt au mouvement des yeux. On demande à la personne ce qui a été compliqué pour elle et on fait passer devant ses yeux un crayon ou un doigt et cela reproduit ce qui se passe dans le sommeil paradoxal, le REM (rapid eye mouvement) », explique la psychiatre. « Une des hypothèses expliquerait que le sommeil paradoxal permet de digérer toutes les émotions de la journée et que ces mouvements sont une façon que l’on a de digérer émotionnellement. Le EMDR serait une sorte de méthode d’activation de cette digestion émotionnelle là où le REM n’est plus suffisant, étant donné qu’il y a des réminiscences et des cauchemars », poursuit-elle.

La littérature dit que le stress aigu dure environ un mois, voire au moins deux ou trois mois. Le stress post-traumatique peut arriver jusqu’à 6 mois après l’événement. 

« Dans sa situation, un stress aigu de deux ou trois mois me semble plutôt normal. Mais il peut aussi ne pas avoir de stress et se dire que ça va aller, je vais récupérer, je vais manger, et après six mois, se rendre compte qu’il y a des flash-backs, des cauchemars qui s’installent, et ça pourrait correspondre à l’installation d’un stress post-traumatique », explique Caroline Depuydt.

Les rituels qu’Olivier Vandecasteele a gardé durant sa détention : noté les jours qui passaient, suivre un certain rythme, lui ont certainement permis de garder un certain contrôle de la situation.

« Ce qui est compliqué quand on a de la lumière jour et nuit et qu’on a plus de rythme du tout, c’est que cela peut provoquer des hallucinations, des symptômes psychotiques et on peut se déconnecter complètement », détaille Caroline Depuydt. « Ces rituels permettent un sentiment de contrôle et de maîtrise, là où on le peut. Je prends des notes, je m’occupe de mon corps, je suis prêt, je mange ce que je peux, cela permet de rester actif et de garder une certaine maîtrise. C’est un facteur protecteur. Cela ne veut pas dire qu’il ne développera pas de stress post-traumatique et qu’il doit quand même être attentif, parce qu’il peut avoir cette illusion de contrôle et finalement être rattrapé, parce que rappelons-le, ce qu’il a vécu est très compliqué. »

Caroline Depuydt était l’une des invitées de l’émission C’est pas tous les jours dimanche sur RTL TVI dimanche passé et, à côté d’elle, deux anciens otages ont témoignés. Le premier, Pierre Piccinin da Prata, journaliste, a été pris en otage pendant 5 mois en Syrie. « M. Piccini disait qu’il savait à quoi il s’exposait et disait ne pas avoir eu de syndrome de stress post-traumatique », s’étonne Caroline Depuydt. « D’un autre côté, Amid Babaei, doctorant en Belgique d’origine Iranienne, a été emprisonné pendant 6 ans en Iran, et lui, cependant avait encore des cauchemars après plusieurs années. Les réponses sont donc individuelles et imprévisibles », fait remarquer la psychiatre.

« Il est vrai que la façon dont on est préparé et sa propre personnalité font qu’on va réagir différemment. Ce qui est sûr c’est que c’est traumatisant et il faut pouvoir être accompagné, par sa famille et ses proches certainement mais aussi par des professionnels », affirme Caroline Depuydt.

Le syndrome du vicariant

« La famille et les proches doivent eux aussi être accompagnés parce que d’une part, ce qu’ils ont vécu est très épuisant et d’autre part, il existe ce qu’on appelle le stress vicariant, un syndrome de stress post-traumatique par procuration », explique-t-elle. « C’est aussi important de se rendre compte que la famille n’est pas épargnée. Elle a déjà vécu toute la période d’attente, et ensuite elle va écouter ce qu’il a à dire. Eux- mêmes doivent être encadrés et entourés et surtout ne pas être oubliés », insiste-t-elle.

Un décalage possible avec la famille

« Il y a ce qu’on appelle le syndrome du survivant ou le syndrome de Lazare », explique la psychiatre. « Quand on survit à quelque chose dans laquelle on aurait pu mourir. Cela arrive aussi chez les personnes qui ont vécu une lourde maladie et qui survivent. Olivier Vandecasteele était dans une situation telle qu’il aurait pu y rester et il a aussi vécu cette inconnue de se demander ce qui allait se passer : “Vais-je être libéré ? Vais-je survivre ? Les gens me soutiennent-ils ?”. Il y avait sûrement toute une désinformation », observe la psychiatre.

« Quand on survit à quelque chose où on aurait pu mourir, que se passe -t-il ? », poursuit-elle, « on est en même temps dans une joie, une euphorie et un soulagement tout comme la famille. En même temps, assez rapidement, il y a comme un sentiment de décalage qui peut s’installer. Il va y avoir toute une complexité de l’émotion, la joie mais aussi la culpabilité d’avoir fait vivre tout cela, de savoir qu’on a fait vivre des choses compliquées à son entourage. Même si l’on sait qu’on n’est pas coupable, on peut quand même avoir un sentiment de culpabilité, ou ressentir de la colère, une incompréhension, voire un sentiment de solitude. Le décalage s’agrandit avec le temps parce que le processus de reconstruction n’est pas du tout linéaire. Il y a des moments où l’on va mieux, des moments où l’on va moins bien, des allers-retours, des dégradations, c’est un processus assez long. Or, à un moment donné, tout le monde revient à une période normale car on en a besoin, mais le processus de la personne ne suit pas le même timing. Il peut être plus long et là il peut alors y avoir ce sentiment de décalage avec la famille. »

« Cela peut être difficile à vivre, car on peut se dire que j’ai déjà fait endurer beaucoup de choses à ma famille, je ne vais pas en plus venir avec ma culpabilité, et en même temps, c’est dans ces moments-là qu’il est important de ne pas rester seul et d’être suivi par un professionnel qui est neutre et qui peut accompagner cette reconstruction », estime-t-elle.

« On parle d’au moins un an de reconstruction, d’abord physiquement mais aussi au niveau des séquelles psychologiques : se reconstruire, recommencer à faire confiance, etc. »

Un avant et un après

« On peut se demander s’il va vouloir repartir ? », se questionne la psychiatre, « Car quand on est humanitaire c’est toujours potentiellement dans des endroits dangereux. On pourrait comprendre qu’il veuille s’investir différemment et revoir ses priorités », estime-t-elle également.

« Parfois pendant la première année, on imagine plein de choses et après on se remet en question, ou on peut penser que l’on a peut-être du déni. Ce qui est important c’est de se laisser cette liberté de pouvoir se réinventer », poursuit-elle.

Un accompagnement professionnel est important. « Je pense que de façon préventive c’est bien d’avoir une personne de confiance que l’on peut réactiver en cas de besoin par la suite. Il y a parfois des traitements qui sont mis en place, mais il n’existe pas de traitements contre le syndrome de stress post-traumatique. Ça sera plutôt des traitements pour des aspects symptomatiques pour aider au sommeil ou en cas de dépression qui s’installe », explique la psychiatre.

« Il est important également de garder les liens sociaux, d’être entouré, d’avoir des liens familiaux, de se divertir dans un bon sens, de trouver des façons de se reconnecter à la joie, la musique, la danse et les approches psychocorporelles en général », détaille-t-elle. « Car le stress s’accumule dans le corps et on est dans une société qui ne laisse pas de place au corps et à la capacité de relâcher tout ce stress. La méditation, le yoga ou encore la danse sont de très bonnes façons de libérer ce stress qu’il y a dans le corps », conclut-elle.

 

Cet article a initialement été publié sur MediQuality.net, membre du réseau Medscape

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