Barcelone, Espagne — En l'absence de traitements efficaces pour contrer le déclin cognitif, avoir de la musique en fond sonore a déjà été proposé comme une alternative thérapeutique potentielle pour améliorer les tâches de mémorisation.
Mais, son effet est discuté et les preuves de son efficacité restent controversées.
Des chercheurs de l'Universitat Oberta de Catalunya (UOC) ont donc cherché à savoir si utiliser un fond sonore musical était susceptible d’améliorer les capacités de mémorisation chez des personnes souffrants d’un déficit cognitif léger.
Ils montrent que les effets bénéfiques de la musique sur la mémoire ne sont pas les mêmes pour tous et sont possiblement conditionnés par l’usage que les patients font de la musique et l’intérêt qu’ils lui portent dans leur vie quotidienne. Les résultats ont été et publiés dans le Journal of Alzheimer's Disease [1] .
La musique classique en fond sonore ne favorise pas l'apprentissage
Savoir si la musique pourrait être utilisée pour renforcer les effets de la stimulation cognitive chez les personnes souffrant de troubles cognitifs liés à l'âge a fait l’objet de peu d’explorations dans la littérature et les données disponibles à ce jour proviennent principalement d'études menées auprès de patients souffrant de la maladie d'Alzheimer [2].
Dans cette population, les effets positifs de la musique de fond ont été démontrés sur la mémoire autobiographique et la récupération lexicale.
Toutefois, dans les états cliniques qui précèdent la maladie d'Alzheimer ou la démence, tels que les troubles cognitifs légers, il n'existe pas de conclusions claires quant à l'effet de la musique d'ambiance sur la cognition.
D’où l’intérêt de cette nouvelle étude espagnole qui a porté sur 65 patients de l'unité de neuropsychologie de l'hôpital de Sant Pau à Barcelone souffrant de troubles cognitifs légers amnésiques. L'étude a été réalisée en collaboration avec des chercheurs de l'hôpital de Barcelone, de l'université Concordia au Canada et de l'institut de recherche en santé Gregorio Marañón à Madrid.
Pour tester l'effet de la musique de fond lors d'une tâche mnémotechnique, les auteurs ont conçu trois expériences. Toutes consistaient à regarder 24 photographies de visages humains avec l'instruction de les mémoriser et, dix minutes plus tard, à revoir une nouvelle série d'images comprenant, outre les précédentes, 24 nouvelles images, afin d'identifier celles qui avaient déjà été vues auparavant.
Dans la première expérience, la musique n'a été diffusée que pendant la phase de mémorisation de la tâche, tandis que dans la seconde, elle a été diffusée pendant les phases d'encodage et de reconnaissance. Dans les deux cas, les auteurs ont constaté que la musique n'améliorait ni ne détériorait les performances des participants.
Dans les deux expériences 1 et 2, les scientifiques ont utilisé un thème de musique classique (l'"adagio" en ré mineur de Bach). « La musique classique se caractérise par sa capacité à la fois relaxante et activante, et s'est avérée la plus efficace pour renforcer la mémoire », explique Marco Calabria, chercheur à l'UOC et premier auteur de l'article, dans un communiqué de presse.
Dans la troisième expérience, les scientifiques ont exploré le rôle de l'activation induite par la musique sur la mémoire, impliquant l'hypothèse (dite arousal-mood hypothesis) que les performances de la mémoire sont modulées par la musique de fond grâce à sa capacité à modifier l'humeur et l'état d'éveil de l'auditeur [3].
Des différences individuelles importantes avec une musique stimulante
Des études antérieures décrivent que la musique "à fort niveau d'éveil" peut améliorer les performances dans les tâches de mémoire. C'est pourquoi, dans l'expérience 3, les auteurs ont examiné deux situations : "faible éveil" et "éveil élevé". Dans la situation "faible éveil", les patients ont été exposés à l'"adagio" en ré mineur de Bach. Pour la situation "éveil élevé", les auteurs ont cherché une sonorité plus stimulante que relaxante et, suite à une étude précédente, ils ont choisi une version instrumentale de "A ray of sunshine" de Los Diablos.
« Dans cette étude, nous avons évalué le rôle des différences individuelles dans les bienfaits de la musique », a expliqué Marco Calabria à Univadis Espagne, ajoutant : « Nous avons évalué cet aspect à travers les préférences et les attitudes individuelles envers la musique et son utilisation dans la vie quotidienne ». Pour ce faire, les auteurs ont utilisé deux questionnaires d'auto-évaluation : le Mood Rating Scale, qui évalue les sentiments subjectifs à l'égard des extraits musicaux utilisés dans les expériences, et le Barcelona Music Reward Questionnaire, qui évalue les préférences interindividuelles à l'égard de la musique.
Les chercheurs ont constaté que les effets positifs de la musique sur la mémoire étaient modulés par les différences d'utilisation de la musique dans la vie des patients. « Si les gens utilisent habituellement la musique comme régulateur émotionnel dans leur vie quotidienne — par exemple, pour se calmer ou pour se tenir compagnie — ils sont plus susceptibles d'en bénéficier lorsqu'ils doivent faire un nouvel apprentissage », explique Marco Calabria dans un communiqué de presse.
« Les personnes qui utilisaient habituellement la musique comme régulateur émotionnel dans leur vie quotidienne ont obtenu des performances plus élevées dans la tâche de mémorisation lorsqu'elles étaient exposées à une musique 'stimulante' », a déclaré le chercheur à Univadis Espagne.
« Ces bénéfices s'expliquent par le rôle des émotions dans le contexte de l'apprentissage », poursuit-il. « En d'autres termes, un niveau d'activation suffisant est nécessaire pour que les conditions physiologiques optimales soient réunies afin de consolider l'apprentissage. Si ce niveau n'est pas atteint (comme dans le cas de la musique classique, qui est relaxante), ce que nous apprenons n'est pas consolidé ».
Elaborer des recommandations spécifiques pour l'utilisation de la musique de fond
Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles recherches pour continuer à explorer le rôle des préférences et des attitudes interindividuelles à l'égard de la musique chez les patients souffrant de troubles cognitifs légers. « Plus nous en savons sur la façon dont la musique de fond façonne les processus cognitifs, mieux nous pouvons l'utiliser comme outil thérapeutique dans la stimulation cognitive », écrivent les auteurs.
« Cette étude vise à contribuer à l'élaboration de recommandations spécifiques pour l'utilisation de la musique de fond dans la stimulation cognitive des patients souffrant de déficits de mémoire », a affirmé Marco Calabria à Univadis Espagne.
« Premièrement, il est important de choisir une musique susceptible de produire des bénéfices sur la tâche utilisée (mémoire, attention, etc.). Ensuite, il faut tenir compte du fait que ces bénéfices peuvent être modulés par les préférences et l'utilisation que la personne fait de la musique », conclut le chercheur.
Cet article a initialement été publié sur Univadis.es, membre du réseau Medscape. Traduit par Stéphanie Lavaud
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Déficit cognitif léger : la musique en fond sonore aide-t-elle à mémoriser ? - Medscape - 9 juin 2023.
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