Jeux de rôle : quand la simulation apprend aux médecins à annoncer une mauvaise nouvelle

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

5 juin 2023

Paris, France – Comment apprendre à annoncer un événement indésirable ou un mauvais diagnostic, ou encore faire face à un patient agressif ? Le jeu de rôle est une méthode de simulation pédagogique qui peut être utilisée en formation initiale et continue des médecins.

Lors de l’édition 2023 du salon SantExpo, Medscape édition française a assisté à une session de démonstration mettant en scène l’annonce à une patiente d’une erreur médicamenteuse par une équipe hospitalière.

Erreur médicamenteuse

L’équipe n’en mène pas large. Dans quelques minutes, Madame Jones, leur fera face. Il faudra lui annoncer qu’elle a été victime d’un surdosage médicamenteux. Retour sur les faits. La patiente d’une cinquantaine d’années a été admise il y a quelques jours à l’hôpital pour une crise d’épilepsie. On lui a administré une dose de charge élevée d’un antiépileptique le premier jour (300 mg par jour). Elle devait ensuite recevoir une dose d’entretien beaucoup plus faible (100 mg par jour). Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu. Lors de sa sortie du service de réanimation, la patiente s’est vu remettre une ordonnance avec la dose du premier jour, soit trois fois plus élevée qu’elle n’aurait dû l’être.

L’erreur n’a été corrigée ni par l’interne qui a rédigé l’ordonnance (ou le chef de service), ni par l’infirmière, ni par la pharmacie qui a délivré le produit.

La patiente a fait un malaise quelques jours plus tard et sa chute a provoqué un traumatisme crânien. A quelques minutes de recevoir la patiente, le chef de service, une interne, une infirmière et une cadre de santé se réunissent quelques instants.

Apprendre à communiquer

Tous n’abordent pas le rendez-vous dans le même état d’esprit. L’interne est dévastée par son erreur et souhaite à tout prix s’excuser, l’infirmière – 20 ans de métier – s’en veut de n’avoir rien remarqué. La cadre de santé veut avant tout rassurer la patiente. Quant au chef de service, autoritaire, acariâtre, et peu enclin à la repentance, il n’a qu’une envie, passer à autre chose !

Après quelques minutes, l’équipe convient de rassurer la patiente avec les résultats du scanner cérébral qui montrent l’absence de lésion, de lui présenter des excuses et de lui donner des explications sur sa prise en charge. 

La patiente, accompagnée de son frère, est ensuite reçue par l’équipe. Après un temps d’hésitation, l’interne prend la parole, la voix chevrotante. « D’abord, une bonne nouvelle, nous avons les résultats de votre scanner cérébral et vous n’avez rien ». Le chef de service reprend vite la main. 

« Vous avez fait un traumatisme crânien, le scanner montre effectivement que tout va bien. Nous avons mené notre enquête pour savoir ce qui s’était passé et nous sommes arrivés à la conclusion qu’une erreur s’était produite chez nous, une erreur de transcription qui a entraîné un surdosage médicamenteux. Le service vous présente ses excuses. La bonne nouvelle est que tout va bien », enchaîne-t-il, espérant abréger l’échange.

Quand l’échange tourne mal

« Ma sœur a fait un malaise et un traumatisme crânien et tout va bien ?, s’insurge le frère de la patiente, peu commode. Qui supervise les prescriptions ? Et maintenant, que se passe-t-il ? »

Mal à l’aise, l’équipe tente tant bien que mal de le rasséréner. Mais rien n’y fait. « Quelles peuvent être les séquelles ? poursuit le frère. Qu’allez-vous faire pour ce genre d’erreur ne se reproduise pas ? »

Courageux mais pas téméraire, le chef de service, qui a rejeté l’erreur sur l’interne et la pharmacie, prétexte une réunion pour quitter la pièce. Ce qui démultiplie la colère de M. Jones. « Si vous n’êtes pas plus clair que ça, je vais demander des expertises, clame le frère de la patiente. Ma sœur va demander le dossier médical. Quelles sont les modalités de recours ? »

« La cadre va vous expliquer », répond le chef de service avant de s’éclipser. La cadre de santé prend le relais : « Votre sœur doit faire un courrier à la direction de l’hôpital pour demander à recevoir son dossier médical ou elle peut venir le consulter sur place. Vous pouvez faire une réclamation auprès de la direction de la qualité ou de la direction de l’établissement avec copie aux représentants des usagers. Vous aurez une réponse avec une proposition de rencontre avec le médiateur. »

L’équipe tente de rassurer le frère et la sœur sur la suite des événements : « Il n’y aura aucune conséquence », assure l’interne. « Une psychologue va accompagner votre sœur », poursuit l’infirmière. « On est là pour vous si vous en avez besoin », conclut la cadre.

L’importance du débriefing

Au terme de l’exercice qui a duré une vingtaine de minutes, les participants débriefent leur prestation. Puis vient l’échange particulièrement instructif avec des membres de la communauté hospitalière qui relèvent les bonnes choses et surtout les points d’amélioration.

Une représentante d’usagers déplore que l’entretien n’ait pas été davantage cadré sur le contenu mais aussi sur sa durée. « On ne fait jamais de restitution à chaud avec la famille et, de mon côté, je n’aurais jamais envoyé l’interne devant la famille, il est important de la préserver dans un tel moment », analyse une ingénieure qualité dans un CH du sud de la France.

« Vous ne vous êtes pas suffisamment appuyés sur la chronologie des faits, affirme pour sa part un chef de service, adepte du jeu de rôle qu’il a d’ailleurs mis en place dans son établissement. Plus on obtient de oui, plus on se rapproche de la patiente et de son entourage. »

« Concernant les excuses, il ne faut les faire qu’une fois seulement pour ne pas se mettre en situation d’infériorité par rapport aux patients », estime le président d’un conseil de surveillance d’un établissement.

Savoir s’excuser

Le sujet des excuses revêt une importance cruciale dans le cas d’une erreur.

« Il est essentiel de s’excuser pour désamorcer les conflits, affirme un assureur, directeur d’indemnisation dans un groupe européen. Aujourd’hui, le médecin doit être formé pour apprendre à communiquer. Les établissements doivent investir sur ces formations qui peuvent avoir une incidence dans ce genre d’événements. »

Les statistiques montrent combien l’absence d’excuses peut avoir des conséquences sur le plan contentieux. « Les réclamations ont doublé à l’AP-HP entre 2021 et 2022, dans de nombreux cas, l’absence d’excuses a été à l’origine de poursuites », souligne le Dr Yên-Lan Nguyen, cheffe du service Risques et vigilances, Département Qualité Partenariat Patient, (DQ2P), Direction Patient Qualité Affaires Médicales (DPQAM) au CHU Cochin, (APHP), qui supervisait le jeu de rôle.

Il est essentiel de s’excuser pour désamorcer les conflits. Aujourd’hui, le médecin doit être formé pour apprendre à communiquer Un assureur.

Prendre soin de la deuxième victime : le soignant

Si l’information du patient et cruciale, le jeu de rôle permet également de mettre en lumière l’importance de veiller à prendre soin du soignant à l’origine de l’erreur.

« La première victime est le patient et la deuxième victime, ce sont les soignants, observe le Dr Nguyen. Du fait du sentiment de culpabilité, le professionnel de santé à l’origine d’une erreur peut développer un stress post-traumatique avec des troubles du sommeil, de l’anorexie, une manifestation qui peut aller jusqu’au burn-out voire à l’abandon du métier. »

D’où l’importance de leur apporter un soutien psychologique en cas d’erreur et de prévoir un debriefing avec un pair ou un tiers de confiance pour prévenir tout risque.

D’une manière générale, l’erreur, vécue comme un échec, demeure taboue dans le monde médical. « On n’a pas assez en France la culture de l’erreur apprenante », poursuit le Dr Nguyen.

« Derrière ces difficultés à parler de nos erreurs, il y a une culpabilité du soignant qui n’a pas bien fait son boulot. Il faut apprendre à nos enfants que l’on a le droit de se tromper, affirme une chirurgienne. Et surtout établir un plan d’actions pour éviter que l’erreur ne se reproduise ».

La première victime d’une erreur est le patient et la deuxième victime, ce sont les soignants. Du fait du sentiment de culpabilité, le professionnel de santé à l’origine d’une erreur peut développer un stress post-traumatique. Dre Yên-Lan Nguyen

 

Un exercice de simulation encore peu utilisé

Si la simulation numérique a gagné du terrain ces dernières années, le jeu de rôle demeure utilisé de façon marginale en France. « A l’AP-HP, nous formons les personnels aux bonnes pratiques. J’essaie d’inciter les doyens à développer cet exercice du jeu de rôle mais pour l’instant, il n’est malheureusement pas beaucoup déployé pendant les études de médecine », affirme le Dr Yên-Lan Nguyen.
Cet exercice présente pourtant bien des avantages. « Le jeu de rôle met en scène une situation hypothétique mais pas exceptionnelle que l’on peut être amené à gérer. C’est une méthode pédagogique qui demande peu de moyens, souligne le Pr Bertrand Guidet, chef de service de réanimation médicale à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP) et président du comité d’éthique de la FHF. Le jeu de rôle est facile à mettre en place, il ne nécessite pas de mannequin ou de matériel particulier, et il permet, en situation, de toucher du doigt les difficultés que l’on a à communiquer, qu’il s’agisse de la communication verbale ou non verbale. »

 

C’est une méthode pédagogique qui demande peu de moyens. Pr Bertrand Guidet

 

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