Infirmier.e : un métier en crise

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

5 juin 2023

Paris, France – En proie à une forte insatisfaction, nombreu.ses sont les infirmier.e.s qui songent à quitter leur profession. Selon une récente enquête IFOP réalisée pour Charlotte K, ils/elles seraient 57% à songer à s’éloigner du métier d’infirmier, soit en l’arrêtant définitivement, soit en exerçant à temps partiel.

Perte d’attractivité et perte de sens

Le monde de la santé est en crise. Non seulement les médecins se font de plus en plus rares, mais les infirmier.es, maillon essentiel du système de soin, crient leur mal-être et envisagent pour beaucoup d’entre eux, parfois après des épisodes de burnout de passer à autre chose. Les enquêtes auprès des soignants exerçant la profession d’infirmier diplomé d’etat (IDE) depuis quelques mois en témoignent.

Après le sondage exclusif OpinionWay pour l’Ordre National des Infirmiers  de novembre dernier qui montrait que 29% des 50 000 infirmier.es interrogé.es envisageaient de quitter leur métier, c’est aujourd’hui un sondage IFOP pour le collectif Charlotte K sur le vécu des infirmiers au travail qui met en évidence ce ras-le-bol. 57% des personnes interrogées envisagent d’arrêter leur métier ou de l’exercer à temps partiel.

La France pourrait donc rapidement encore manquer d’infirmiers et d’infirmières alors que leur présence fait cruellement défaut en France, par rapport aux autres pays européens. À titre de comparaison, une étude publiée par la revue The Lancet montre qu’il y a 211 infirmiers pour 10 000 habitants en Norvège… contre seulement 87,7 en France, indique le communiqué de presse .

« Aujourd’hui, les infirmiers ne cherchent même plus à se battre pour leur métier et pour réussir à travailler malgré les difficultés ! Ils veulent surtout fuir cette activité, en raison de sa perte d’attractivité et de sa perte de sens », explique Charlotte, la fondatrice de Charlotte K , un collectif d’infirmières qui aide les IDE à réussir à évoluer professionnellement.

6 sur 10 ne choisiraient plus ce métier 

Les interviews réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 06 au 30 mars 2023 par 4183 infirmiers / infirmières diplômé.es d’Etat (IDE) français.es, quel que soit leur statut ou structure de travail, pourvu qu’ils soient actifs, font état d’une situation de travail et un état d’esprit largement dégradés. Seuls 36% des infirmiers et infirmières déclarent être satisfaits de leur situation professionnelle actuelle, dont 3% qui en sont très satisfaits. Ce premier score est inférieur de moitié à celui observé auprès de l’ensemble des salariés français (74%).

Une appréciation de la situation de travail qui a tendance à se déprécier dans le temps puisque l’insatisfaction est plus marquée chez ceux qui ont 10 ans ou plus d’ancienneté dans le métier.

Sur 14 dimensions de satisfaction présentées, les infirmiers et infirmières n’en retiennent que 5 en majorité :

  • le sentiment d’être utiles (77%) ;

  • la reconnaissance obtenue de leurs patients (76%) ;

  • le niveau d’autonomie dans leur travail (75%) ;

  • l’ambiance de travail (66%) ;

  • leurs horaires (52%).

En souffrance au travail, ils se sentent en majorité isolés (55%), incompris (73%), stressés (77%), non reconnus (84%) et fatigués (94%, soit la quasi-unanimité d’entre eux).

La relation qu’ils développent avec leurs patients et la possibilité de mettre l’humain au centre de leurs priorités sont les deux raisons qui les font tenir.

Mais dans l’ensemble, les infirmiers et les infirmières portent un regard très critique sur leur profession : 6 sur 10 ne choisiraient plus ce métier (dont 25% qui ne le referaient « pas du tout » si on leur demandait de revenir dans le passé.).

Un niveau de bien-être très alarmant

Seule une petite moitié de soignants (54%) témoigne d’une situation de bien-être général.

Les problèmes les plus difficiles à vivre sont pour beaucoup en lien avec la crise de l’hôpital, et la (déjà présente) pénurie de soignants impliquant une surcharge de travail (58%), dont la charge administrative, le rythme de travail très soutenu, les pauses réduites, voire inexistantes mais aussi la déshumanisation du soin et de la prise en charge des patients (47%) ; entrainant la dégradation de leur état de santé psychologique (46%) : stress, burn-out, dépression, manque de sommeil.

Plus d’absentéisme que les autres salariés français

Le résultat de l’ensemble de ces contraintes a une conséquence directe sur la capacité de travail : 60% des infirmiers et infirmières déclarent avoir été arrêté depuis début 2022 (+10 points par rapport à la moyenne des salariés français), avec un nombre moyen de 17 jours d’arrêt (vs 9,7 jours). « Sachant que cet indicateur pourrait être sous-évalué, puisque certains sont contraints de travailler, par manque de remplaçants (ex. : infirmiers libéraux) alors qu’ils devraient ou souhaiteraient s’arrêter » précise le communiqué.

D’ailleurs, 26% s’arrêtent en raison de risques psycho-sociaux comme les situations de stress, mais aussi les burn-out et dépressions liés à l’épuisement professionnel, le surmenage et la fatigue accumulée.

  • Parmi tous les infirmiers et infirmières, certains profils sont plus impactés que d’autres :

  • les 18-24 ans, qui viennent de commencer leur carrière, sont davantage sujets à des souffrances psychologiques : 80% rencontrent des difficultés physiques et psychologiques dans leur travail, chiffre alarmant alors qu’ils viennent à peine de commencer leur carrière

  • les infirmières libérales (32 % sont satisfaites de leur travail) à cause des difficultés dues à leur statut ;

  • 87% de femmes en général, puisqu’elles sont plus nombreuses que les hommes à exercer ce métier.

  • les infirmiers en situation d’aidant.e. Ils sont 36% à être aidant dans leur vie personnelle, en cumul de leur emploi.

 

Elèves infirmier.es : désaffection pour les études

Et il ne pas trop compter sur la relève pour combler le déficit actuel en personnel infirmier car le malaise touche aussi les tout jeunes étudiants.En 2022, l’enquête de la Fédération Nationale des Étudiant·e·s en Sciences Infirmières (FNESI) mettait en exergue les conditions de vie et d’études toujours plus préoccupantes chez les étudiant.e.s en soins infirmiers, qu’il s’agisse de santé mentale dégradée, précarité financière, harcèlement, arrêt de formation prématuré…et révélait que 59,2% des élèves en soins infirmiers (ESI) avaient déjà pensé à arrêter leur formation et que parmi eux, 83,8% y avait pensé très récemment (moins d’un an).
« Cela fait déjà trop longtemps que les étudiant·e·s souffrent d’un système de santé dégradé. Cela fait déjà trop longtemps que des jeunes abandonnent la formation à cause de comportements violents tolérés, voire encouragés, et de l’inaction collective. Nous traversons une perte de sens sans précédent pour notre profession. Nous nous devons d’agir, de manière profonde, encadrée et durable », considérait alors Mathilde Padilla, présidente de la FNESI (2021-2022).

 

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