Simplifier le diagnostic de rejet de greffe après transplantation rénale

Nancy A. Melville

Auteurs et déclarations

5 juin 2023

Paris, France – Une équipe de recherche internationale, placée sous la houlette du Pr Alexandre Loupy (hôpital Necker, France) a mis au point un nouveau modèle de prédiction de la perte du greffon avec des performances de prédiction encore jamais atteintes.

Dans un nouvel article, les chercheurs démontrent la capacité de ce système automatisé – qui fonctionne comme un agent conversationnel – à corriger 40 % des diagnostics erronés de rejet d’allogreffe chez l’humain et de mieux orienter la prise en charge des patients. Leurs travaux ont été publiés en ligne le 4 mai dans Nature Medicine .

Diagnostic du rejet : une classification complexe

Le diagnostic du rejet repose sur une classification internationale qui s’est considérablement complexifiée au cours des 30 dernières années. Il est maintenant nécessaire pour les médecins d’analyser et intégrer des données complexes et extrêmement diversifiées – données histologiques, immunologiques, ou encore transcriptomiques – pour poser un diagnostic correct, qui guidera la prise en charge thérapeutique des patients.

Pour répondre à ce besoin, le  Pr Alexandre Loupy et ses collègues du Centre d’expertise de la transplantation multi-organes de Paris, ont réuni un consortium d’experts en transplantation, néphrologie, anatomopathologie mais aussi en sciences des données, épidémiologie, biostatistiques, programmation informatique et intelligence artificielle, capables de développer ce système informatique et de recruter des patients dans le monde entier afin de tester s’il était capable de correctement diagnostiquer les rejets.

Le consortium a dans un premier temps conduit une revue systématique de la littérature scientifique afin de colliger l’ensemble des règles diagnostiques de la classification du rejet (selon le système de classification de Banff) publiées au cours des 30 dernières années.

« Les médecins et les pathologistes ont ensuite travaillé avec les data scientists, développeurs et programmeurs informatiques, afin que ces derniers puissent traduire ces règles diagnostiques en un algorithme informatique couvrant l’ensemble des scénarios possibles de rejets. Ils ont ensuite créé un assistant informatique automatisé disponible en ligne et facile d’utilisation, qui interprète instantanément grâce à l’algorithme les données médicales complexes renseignées par les médecins, afin de fournir aux patients un diagnostic en appliquant scrupuleusement les règles de la classification internationale » indique un communiqué Inserm.

Un système intelligent et très convivial 

Le système peut être comparé à « un agent conversationnel spécialisé dans les rejets », a expliqué, dans un communiqué de presse, Daniel Yoo, doctorant au Centre d’expertise de la transplantation multi-organes de Paris (France) et premier auteur de l’article.

Le système peut être comparé à un agent conversationnel spécialisé dans les rejets.

 

« Les médecins peuvent obtenir un diagnostic correct pour leurs patients en quelques clics. L’assistant informatique leur fournit également un compte-rendu de l’analyse ainsi qu’un arbre décisionnel qui explique le raisonnement de l’algorithme », a-t-il déclaré.

Le système en ligne, qui a été validé par des sociétés internationales de transplantation, notamment la Société américaine de transplantation et la Société européenne de transplantation d'organes, a été mis gratuitement à la disposition de la communauté médicale sous la forme d'une application en libre accès, et sera régulièrement mise à jour.

Le système informatique a permis un classement plus fin

Pour analyser la capacité du nouveau système à reclasser les diagnostics de rejet, l'algorithme a été testé chez des adultes et des enfants ayant subi une transplantation rénale dans le cadre de trois cohortes multicentriques internationales et de deux grands essais cliniques prospectifs.

Les essais ont porté sur 4409 biopsies de 3054 patients suivis dans 20 centres de référence pour les transplantations en Europe et en Amérique du Nord. Dans l'ensemble, 62,1 % des patients étaient de sexe masculin.

« Le système a identifié des rejets non identifiés par les pathologistes, qui auraient pu bénéficier d'un traitement, ainsi que des cas de non-rejet, initialement identifiés comme des rejets, qui n'auraient pas dû être traités par les médecins », a déclaré à Medscape Medical News, le Pr Loupy qui a dirigé le travail.

Le système a identifié des rejets non identifiés par les pathologistes, qui auraient pu bénéficier d'un traitement, ainsi que des cas de non-rejet, initialement identifiés comme des rejets. Pr Loupy

 

Dans la population adulte ayant subi une transplantation rénale, l'utilisation du système d'automatisation de Banff a permis de reclasser 83 cas sur 279 (29,8 %) en rejet à médiation par anticorps, et 57 cas sur 105 (54,3 %) en rejet à médiation par les lymphocytes T.

En outre, 237 des 3 239 (7,3 %) biopsies diagnostiquées par les pathologistes comme n'étant pas des rejets ont été reclassées par le système automatisé comme étant des rejets.

Ces résultats ont été confirmés dans la population pédiatrique, avec 8 cas sur 26 (30,8 %) reclassés comme rejet à médiation anticorps et 12 cas sur 39 (30,8 %) reclassés comme rejet à médiation lymphocytaire T.

Prendre en compte des facteurs cliniques dépassant le cadre de l'algorithme

Pour évaluer les résultats cliniques des réaffectations, une analyse des receveurs de greffes adultes et pédiatriques a montré que 144 (6,6 %) ont perdu leur greffon après un suivi médian de 2,7 ans après la biopsie.

Il est important de noter que les patients diagnostiqués par un pathologiste comme n'ayant pas subi de rejet mais reclassés par le système automatisé de Banff comme ayant subi un rejet ont présenté une survie du greffon significativement plus faible par rapport aux patients n'ayant pas subi de rejet (rapport de risque, 6,4 ; P < 0,0001), ce qui suggère que le diagnostic de rejet du système automatisé était en effet correct.

En outre, les patients diagnostiqués par un pathologiste comme étant en rejet mais reclassés par le système automatisé comme n'étant pas en rejet ont montré une excellente survie du greffon, similaire à celle des patients sans rejet (P = 0,754).

Bien que le système automatisé permette d'éviter les principales causes d'erreur de classification par le pathologiste, des facteurs cliniques échappant à son champ d'application peuvent néanmoins finir par prévaloir sur la prise de décision, a souligné M. Loupy.

« Il est important de noter que cet outil ne prend pas en compte l'histoire clinique du patient, qui peut parfois amener le pathologiste à décider d'un diagnostic de rejet sans répondre à tous les critères de la classification de Banff », a-t-il expliqué.

Il est important de noter que cet outil ne prend pas en compte l'histoire clinique du patient, qui peut parfois amener le pathologiste à décider d'un diagnostic de rejet sans répondre à tous les critères de la classification de Banff.

Commentaires d’experts

Invité à commenter les résultats, Andrew Malone, MBBCh, professeur agrégé de médecine en néphrologie de transplantation à l'université de Washington à St. Louis (Missouri), a déclaré que l'étude soulignait les complexités et la confusion qui existent en l'absence d'automatisation.

« D'un point de vue philosophique, le message à retenir est que nous ne comprenons pas totalement ce qu'est le rejet ou comment le diagnostiquer/classifier et ses différentes formes », a-t-il déclaré à Medscape Medical News.

Il a aussi fait remarquer que « d'un point de vue pragmatique, ce manuscrit nous indique qu'il existe encore d'énormes variations dans la précision... ou en termes de fidélité quant à l'utilisation du système de Banff par les pathologistes lorsqu'ils établissent des diagnostics de biopsie de transplantation. »

Cela dit, « notre compréhension de la pathobiologie du rejet, en particulier du rejet médié par les anticorps, continue d'évoluer. Par conséquent, notre approche du diagnostic continuera à changer et, espérons-le, à s'améliorer. Des systèmes automatisés comme celui-ci sont également utiles pour assurer la cohérence de la définition des mesures de résultats dans les essais cliniques », a conclu le Dr Malone.

De son côté, la Dre Roslyn B. Mannon, du centre médical de l'université du Nebraska, à Omaha, a ajouté qu' « un défi majeur [en médecine de transplantation] sont les situations limite de rejet (borderline rejection). Ces [cas] peuvent être traités ou non et sont associés à une perte de greffe à long terme ».

« Ce [nouveau système automatisé] a en fait classé 57 % des cas limites à un niveau de rejet plus élevé, ce qui aurait plus que probablement déclenché des traitements immunosuppresseurs supplémentaires », a-t-elle déclaré à Medscape Medical News.

Dans l'ensemble, elle a noté qu' « il s'agit d'un article bien fait, d'une technologie innovante et d'une opportunité d'améliorer les soins aux patients. Les résultats sont très prometteurs pour l'avenir et pour la prise en compte de la technologie en tant qu'élément important de la gestion personnalisée des soins ».

D'un point de vue philosophique, le message à retenir est que nous ne comprenons pas totalement ce qu'est le rejet ou comment le diagnostiquer/classifier et ses différentes formes.

 

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous l’intitulé Simplifying Diagnosis of Rejection After Kidney Transplant. Traduit et complété par Stéphanie Lavaud.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....