France — À la suite de la publication par l’IHU méditerranée d’une étude portant sur plus de 30 000 patients évaluant favorablement l’efficacité de l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine dans le traitement du covid-19, des sociétés savantes et scientifiques de renom dénoncent des manquements graves aux règles éthiques par les praticiens de l’IHU.
Malgré une retraite forcée (es qualité de praticien hospitalier), le Pr Didier Raoult suscite encore la controverse, et pour la même raison que celle qui l'a rendu célèbre, au-delà du cercle restreint de la recherche biomédicale : l'utilisation de l'hydroxychloroquine (associée ou non à l'azithromycine et au zinc) dans le traitement du Covid-19.
Depuis plusieurs semaines, le Pr (honoraire) Raoult a de nouveau une activité soutenue sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter.
C'est que le 25 avril dernier, il a retweeté l'étude publiée par le Dr Mathieu Million de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée (IHU), portant sur le traitement de 30 423 patients atteints de Covid-19. Il s'agit de fait d'une étude monocentrique comparant des patients infectés par le Covid-19, traités ou non avec hydroxychloroquine et azithromycine, entre le 2 mars 2020 et le 31 décembre 2021.
L’étude conclut que l'hydroxychloroquine, prescrite suffisamment tôt permet de réduire la mortalité liée au Covid-19.
Le 2 mai dernier, comme pour compléter son précédent envoi, Didier Raoult retweetait un tweet du Pr Philippe Parola (IHU) qui publiait une étude portant sur l'innocuité de l'hydroxychloroquine dans le Covid 19.
« Hydroxychloroquine et mensonges »
Le 24 mai, le Pr Raoult signait un tweet intitulé : « Hydroxychloroquine et mensonges ». Il y affirmait notamment : « Notre dernier travail, contrôlé par huissier, rapporte une diminution de 70% de morts chez les patients traités précocement et 40% sur 30 000 patients hospitalisés entre 2020 et 2021, soit 800 à 1000 morts évités à Marseille (étude en ligne). Oui mais c'est illégal. [...] Est-ce illégal de sauver des gens ? Il devient urgent qu'une commission indépendante examine ces résultats qui sont tous disponibles sur internet. »
Car entre-temps, la publication de son étude portant sur plus de 30 000 patients suscitait des remous dans le monde de la recherche académique.
À tel point qu'une tribune, publiée dans le Monde, réunissant 16 sociétés savantes et co-signée à titre personnel par le Pr Alain Ficher, président de l'Académie des sciences, et Dominique Costaglia, membre de l'Académie des sciences, en appellent à des poursuites contre les « graves manquements » constatés dans la conduite de cette étude de l'IHU.
Règles enfreintes
Les tribuniciens rappellent que « la démonstration des effets thérapeutiques des médicaments chez l’homme répond à des normes éthiques et scientifiques construites depuis des décennies [...] Cela implique notamment le consentement éclairé des participants, l’obtention préalable des autorisations par les comités de protection des personnes et l’Agence nationale de sécurité du médicament, la transparence des méthodes et du recueil des données, la validation des résultats de manière indépendante et la prise en compte de la balance bénéfices-risques des traitements avant de valider leur indication. »
Certaines de ces règles, selon eux, ont été enfreintes par les biologistes et cliniciens de l'IHU : « La prescription systématique aux patients atteints du Covid-19, quels que soient leur âge et leurs symptômes, de médicaments aussi variés que l’hydroxychloroquine, le zinc, l’ivermectine ou l’azithromycine, sur des ordonnances préimprimées, s’est d’abord effectuée sans bases pharmacologiques solides, et en l’absence de toute preuve d’efficacité. »
Ils s’insurgent également contre le fait que « ces prescriptions systématiques ont été poursuivies, ce qui est plus grave, pendant plus d’un an après la démonstration formelle de leur inefficacité ».
Ces prescriptions, poursuivent les auteurs de cette tribune, ont été réalisées en dehors de toute autorisation de mise sur le marché, « mais aussi en dehors de tout cadre éthique ou juridique ».
Opprobre jetée sur le monde académique
Deuxième effet de la publication de cette étude : elle a jeté l'opprobre sur la recherche clinique, les autorités sanitaires, « et les experts en général ».
Constatant que la loi Jardé de 2012 encadrant les recherches scientifiques a été bafouée par les équipes de l'IHU, les scientifiques signataires de cette tribune en appellent à des sanctions lourdes contre ces praticiens fautifs :
« Nous demandons que l’ensemble des institutions compétentes (établissements de tutelle, autorités administratives et judiciaires, Haute Autorité de santé, Comité consultatif national d’éthique, Conseil national de l’ordre des médecins…) prennent conscience des enjeux et assument leurs responsabilités, compte tenu de la gravité de la situation, en adoptant les positions et les mesures adaptées aux fautes commises par ceux qui se sont ainsi placés hors du champ des engagements déontologiques, de l’éthique médicale et de l’honnêteté scientifique. »
Sanctions en 2022
Pour rappel, l'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) n'est pas restée les bras croisés depuis que l'IHU promeut son traitement contre le Covid, à base d'hydroxychloroquine et d'azithromycine.
En juin 2022, à la suite d'une inspection de l'institut marseillais, l'ANSM avait notamment décidé suspendre « la recherche impliquant la personne humaine menée dans les locaux de l'IHU-MI, intitulée pathologies associées au voyage et acquisition de pathogènes et de bactéries multi-résistantes chez des étudiants en médecine effectuant un stage pratique hors de France. »
Depuis l'inspection de l'ANSM, l'IHU fait l'objet de deux instructions pénales.
Nouvelles poursuites ?
Selon le quotidien Le Monde , à la suite de la publication de cette nouvelle étude portant sur plus de 30 000 patients, l’ANSM pourrait de nouveau ester en justice : « Il semble apparaître, des premières analyses de l’ANSM, que cette étude pourrait être qualifiée de RIPH de catégorie 1. C’est-à-dire qu’elle aurait dû bénéficier d’un avis favorable d’un comité de protection des personnes et d’une autorisation de l’ANSM pour être mise en œuvre, nous a-t-elle fait savoir. L’ANSM poursuit ses analyses et saisira, le cas échéant, de nouveau la justice si ces dernières mettent en évidence des manquements à la réglementation des essais cliniques », a déclaré l'ANSM au Monde.
« Tribune d’imbéciles »
Le Pr Raoult pour sa part dénonce une "tribune d'imbéciles" auprès de France Info , et demande que les autorités fassent leur enquête à propos de l'hydroxychloroquine. Il assure aussi que ce nouveau preprint n'est pas un essai thérapeutique, mais une étude rétrospective.
Même son de cloche du côté de Pierre-Édouard Fournier, successeur de Didier Raoult, à la tête de l'IHU : « La décision de réaliser cette étude a été prise bien longtemps après que les patients ont été traités, indique Pierre-Edouard Fournier. Donc il n’était pas nécessaire de porter tout cela devant un comité de protection des personnes ou devant l’ANSM. D’ailleurs, l’ANSM, dont c’est le rôle, n’a pas relevé d’anomalies lors de sa dernière inspection », a-t-il confié au Monde.
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Des sociétés savantes demandent de nouvelles sanctions contre Didier Raoult - Medscape - 31 mai 2023.
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