Psilocybine : molécule potentielle pour lutter contre la dépression liée au cancer

M. Alexander Otto

30 mai 2023

Rockville, États-Unis – Les résultats d’une nouvelle étude de phase 2, publiés en ligne le 13 avril dans JAMA Oncology , sont « très importants » [1] d’après des chercheurs américains.

La dépression est fréquente chez les patients atteints de cancer, mais les options thérapeutiques classiques – antidépresseurs et thérapie – ne sont souvent pas d’un grand secours. Ce problème a conduit une équipe de chercheurs à essayer une nouvelle approche du traitement de la dépression cancéreuse : la psilocybine, un psychédélique.

Après que 30 patients adultes atteints de cancer – tous avec un épisode dépressif majeur et 16 avec une maladie métastatique incurable – ont pris une dose unique de 25 mg de psilocybine (COMP360, Compass Pathways) sous surveillance médicale, la moitié d’entre eux ont connu une rémission complète de leurs symptômes dépressifs et 30 % ont montré des améliorations durables après 8 semaines. Le traitement s’est avéré sûr, sans aucun effet indésirable grave lié au traitement.

« Les participants ont connu une amélioration cliniquement significative, rapide et durable des symptômes de la dépression pendant 8 semaines après un traitement unique à la psilocybine », écrivent les chercheurs.

Après 15 ans passés à traiter des patients atteints de cancer, « je n’ai jamais rien vu qui puisse affecter l’attitude d’une personne et la façon dont elle se perçoit et sa santé émotionnelle en si peu de temps », a déclaré à l’édition américaine de Medscape, l’oncologue et chercheur principal Manish Agrawal.

« Je suis prudent parce qu’il est encore tôt et qu’il ne s’agit pas d’une solution miracle, mais les transformations observées sont impressionnantes », a déclaré le Dr Agrawal, désormais PDG de Sunstone Therapies à Rockville, dans le Maryland, et travaille à la création de centres de traitement psychédélique pour les patients atteints de cancer.

Le Dr Charles White, pharmacologue, titulaire de la chaire de pratique pharmaceutique à l’université du Connecticut (Mansfield, États-Unis) et auteur d’une méta-analyse publiée en mars sur les psychédéliques dans le traitement de la dépression et de l’anxiété causées par le cancer, n’a pas participé à l’étude. « Les preuves issues d’études préliminaires comme celle-ci sont de plus en plus nombreuses à montrer que les psychédéliques, en particulier la psilocybine, pourraient constituer une thérapie efficace contre la dépression chez les patients atteints de cancer », a-t-il déclaré.

Néanmoins, il reconnaît que la recherche est encore à ses débuts. La prochaine étape serait un essai randomisé comparant la psilocybine à un placebo ou à des thérapies traditionnelles, telles que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS).

« Les futurs essais cliniques de phase 3 devront tenir compte des principales faiblesses de la littérature à ce jour », a ajouté le Dr White.

Plus efficace sur les dépressions sévères

Le Dr Agrawal s’est tourné vers la psilocybine contre la dépression cancéreuse car, après une vingtaine d’années de pratique, il s’est senti frustré de voir ses patients atteints de dépression ne pas tirer grand profit des thérapies habituelles.

Bien qu’initialement sceptique à l’égard de la psilocybine en raison du battage médiatique entourant son utilisation en médecine, le Dr Agrawal a finalement décidé d’étudier si le psychédélique pouvait aider à soulager la douleur émotionnelle et les sentiments de désespoir de ses patients.

L’équipe a mené une étude monocentrique de phase 2, à dose fixe et en ouvert, afin d’évaluer l’innocuité de la psilocybine et de déterminer si elle pouvait améliorer la dépression des patients.

En utilisant l’échelle d’évaluation de la dépression de ‘‘Montgomery-Asberg” (60 points), les patients avaient un score initial moyen de 25,9 points, indiquant une dépression modérée, et certains patients avaient un score bien plus élevé.

Huit semaines après le traitement, les patients ont montré une amélioration significative de la sévérité de la dépression, avec une réduction moyenne de 19,1 points par rapport au début du traitement.

Les patients ont également fait état d’une amélioration moyenne de 48 % des symptômes de la dépression et d’une baisse moyenne de 53 % de la gravité de la dépression.

« Je n’y croyais pas jusqu’à ce que je le voie moi-même », a déclaré le Dr Agrawal. « Nous avons en fait constaté que les personnes souffrant de la dépression la plus grave sont celles qui sont le plus aidées. »

Il reconnaît néanmoins que le traitement à la psilocybine est puissant et souvent épuisant pour les patients, en particulier à la dose de 25 mg utilisée pendant l’étude.

 

Mais l’expérience peut aussi être très agréable.

Expérience cathartique 

Il en résulte souvent un changement majeur de perspective, même si, en détail, cela soit différent pour chaque patient. Les patients ne sont plus autant accaparés par leur histoire. Au contraire, ils sont capables de voir leur histoire de l’extérieur et voir comment elle s’inscrit dans un contexte plus large, a déclaré le chercheur principal de l’étude.

Le Dr Agrawal se souvient d’une patiente de l’étude qui souffrait d’un cancer du rein métastatique.

« Il lui était difficile d’expliquer son voyage, si ce n’est qu’elle avait vécu sa propre mort et qu’elle était sortie de l’autre côté en sachant qu’elle pouvait faire face à n’importe quoi », a-t-il expliqué.

Quelques jours après sa séance, elle s’est assise au bord d’un lac par une chaude soirée d’été et s’est émerveillée du chant des grillons. Elle se sentait en paix.

Peu à peu, elle a pris conscience que, l’hiver venu, tous les grillons mourraient, mais qu’une nouvelle récolte de grillons apparaissait au printemps, et qu’il en allait de même pour les êtres humains.

« Quand elle est née, il y avait tous ces humains, et ils sont morts au cours de sa vie, et elle mourra, puis il y aura une nouvelle récolte d’humains. Cela fait partie du cycle naturel et n’a rien de personnel », a déclaré le Dr Agrawal.

« Son expérience de la psilocybine lui a permis d’avoir cette sorte de compréhension. On dit aux patients que la mort fait partie de la vie, mais c'est très intellectualisé », a-t-il ajouté. « Pour elle, le fait de le ressentir quelque part à l’intérieur d’elle-même et pas seulement sur le plan cognitif, c’est ce qui l’a aidée », a-t-il ajouté.

Le Dr White a également constaté que lorsque la thérapie par la psilocybine est couronnée de succès, les patients peuvent « vivre une expérience cathartique ». Ils peuvent traiter avec leurs émotions au lieu de les réprimer et les accepter davantage.

Cette perspective « les aide à voir que leurs problèmes sont vraiment insignifiants dans le grand ordre des choses et leur permet d’aller de l’avant d’une manière qu’ils n’étaient pas en mesure d’envisager auparavant », a-t-il déclaré.

L’importance de l'environnement et de la sélection des patients

Bien que ces histoires soient très fortes, le Dr White souligne que « les mêmes hallucinations » qui peuvent être si thérapeutiques « peuvent aussi provoquer des terreurs et des automutilations si l’environnement n’est pas adéquat ».

Les patients doivent être préparés à l’expérience, guidés pendant celle-ci et conseillés après coup pour lui donner un sens. L’environnement doit être sûr, calme et favorable.

Guider les patients tout au long du processus requiert une certaine expertise, c’est pourquoi le Dr Agrawal et sa société développent des centres de traitement spécialisés.

L’étude actuelle représente un essai de fonctionnement de ces centres de traitement. Les patients ont été traités au troisième étage de l’Aquilino Cancer Center, dans un cadre semblable à celui d’un spa, entouré d’un éclairage doux, de bois naturel et d’une musique apaisante. Les patients étaient allongés sur des canapés pendant leur séance de traitement, avec des masques pour les yeux et leur thérapeute à leurs côtés.

Trois ou quatre patients recevaient le traitement en même temps dans des chambres adjacentes. Ils ont bénéficié d’une séance de thérapie de groupe et d’une thérapie individuelle avant et après le traitement pour les préparer à ce qui les attendait en premier lieu, puis dans un second temps afin de les aider à assimiler l’expérience et à en tirer profit.

Les Drs Agrawal et White reconnaissent toutefois que, même dans un cadre approprié, la thérapie à la psilocybine ne convient pas à tout le monde. L’une des préoccupations principales est que chez les personnes ayant des antécédents de pensées psychotiques, d’hallucinations ou de schizophrénie, ces symptômes pourraient être aggravés par l’expérience. La psilocybine pourrait également exacerber des arythmies cardiaques préexistantes. Le travail émotionnel de la thérapie psychédélique peut également faire monter la pression artérielle de manière significative, ce qui est préoccupant pour les personnes souffrant de problèmes cardiovasculaires.

L’étude du Dr Agrawal n’a cependant révélé aucun problème de ce type. Les effets indésirables étaient légers ou prévisibles et comprenaient des maux de tête (n = 24), des nausées (n = 12), une altération de l’humeur (n = 8) et de l’anxiété (n = 7).

Néanmoins, cette expérience « exige que l’on soit capable de faire une introspection et de se tourner vers soi-même, d’être calme et tranquille, ce que certaines personnes ne peuvent tout simplement pas faire », a déclaré le Dr Agrawal. Si les gens sont à la recherche d’une solution miracle, ce n’est « probablement pas celle-là ».

 

Financement et liens d’intérêt

Les travaux ont été financés en partie par Compass Pathways, qui fabrique la psilocybine utilisée dans l’étude. L’entreprise a participé à la conception de l’étude, mais pas à sa réalisation, à son interprétation ou à l’approbation du manuscrit. Un investigateur a déclaré avoir reçu des subventions de Compass ; un autre a déclaré avoir reçu un soutien non financier de la société et détenir des actions de Sunstone. Le Dr White n’a fait état d’aucune relation financière pertinente.

 

Cet article a initialement été publié sur Medscape.com sous l’intitulé Psilocybin May Offer Profound Relief From Cancer Depression. Traduit et adapté par Mona El-Guechati

 

 

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