POINT DE VUE

« Je ne veux pas faire de l’abattage » : une généraliste explique pourquoi elle facture 30 euros ses consultations

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

26 mai 2023

Paris, France —Dans un communiqué paru le 30 mai, la Fédération des Médecins de France (FMF) a annoncé qu’elle soutenait « les médecins qui considèrent qu’une consultation ne devrait pas être rémunérée à moins de 30 euros » et qu’elle « souhaiterait que le plus grand nombre de médecins participe à ce mouvement ».

Elle invite donc ses militants à organiser localement des réunions pour mettre en place ce vaste mouvement de contestation tarifaire et a pris contact avec les autres syndicats médicaux pour qu’ils s’associent au mouvement.

La Dre Claire Cadix, médecin généraliste de 56 ans, qui exerce en secteur 1 à Ger, dans les Pyrénées-Atlantiques (64), a été parmi les premières à suivre ce mouvement. En activité depuis 23 ans, et exaspérée de la maigre revalorisation de la consultation adoptée dans le règlement arbitral qui entrera en vigueur à l’automne (de 25 à 26,50 euros), elle a décidé depuis début mai, comme un certain nombre de confrères, de facturer 30 euros la consultation. Elle explique à Medscape édition française les raisons de son geste.

Medscape France : Qu’est-ce qui vous a décidé à passer le tarif de votre consultation à 30 euros ?

Dr Claire Cadix

Dr Claire Cadix : La parution du règlement arbitral, qui entérine le passage à l’automne de la consultation à 26,50 euros a été le facteur déclenchant. Mais cela faisait un moment que j’y réfléchissais. Nous avons un cabinet attractif qui est neuf et aux normes, avec une secrétaire en présentiel. Nous avons donc des frais et je ne voulais pas faire de l’abattage avec une consultation à 25 euros ou à 26,50 euros. Je ne veux pas faire 40 patients par jour pour payer mes factures et garder un niveau de vie correct. Du coup, pour continuer à pratiquer une médecine de qualité, je ne voyais pas d’autres solutions

En pratique, comment faites-vous ? Pratiquez-vous un DE ? Informez-vous vos patients ?

Dr Cadix : J’ai apposé une grande affiche sur le mur derrière mon bureau pour expliquer ma démarche, les patients ne peuvent pas la louper. Celle-ci indique : « Devant l’absence d’une revalorisation du tarif de la consultation permettant le maintien d’une médecine de qualité, de proximité et humaine, face au niveau de l’inflation, votre médecin a décidé de facturer la consultation à 30 euros à compter du 2 mai 2023 ». En fin de consultation, je propose aux patients, s’ils acceptent, de payer 5 euros de plus. On en discute. Je ne le propose pas aux patients qui n’ont pas les moyens.

Je ne veux pas faire 40 patients par jour pour payer mes factures et garder un niveau de vie correct.

Vos patients acceptent-ils facilement de payer les 30 euros ?

Dr Cadix : Je dirais que 80% des patients comprennent, trouvent que nous avons raison et que 30 euros est un tarif normal. J’ai deux exemples récents à partager. Une patiente aux moyens modestes à qui je n’avais pas proposé de DE m’a demandé à payer 30 euros. Un autre que j’ai vu il y a 15 jours et que j’ai revu hier a spontanément fait un chèque de 30 euros. Les patients sont horrifiés de la hausse de 1,50 euro de la consultation et estiment qu’on se moque de nous.

Pour vous, aujourd’hui, 30 euros, c’est le juste prix d’une consultation ?

Dr Cadix : C’est le juste prix si on tient compte des forfaits (médecin traitant, structure, ROSP…). 30 euros, c’est le juste prix pour une consultation simple, qui tient dans les 20 minutes. Quand une consultation dure une heure, 30 euros, en revanche, ce n’est pas suffisant.

30 euros, c’est le juste prix pour une consultation simple, qui tient dans les 20 minutes.

Facturer 30 euros la consultation, c’est une décision que vous avez prise seule dans votre cabinet de groupe ?

Dr Cadix : Nous sommes 4 médecins généralistes dans ce cabinet de groupe. Ma collègue la plus âgée a informé ses patients qu’elle allait commencer mais nos deux jeunes collaboratrices ne sont pas prêtes à le faire.

A l’appel de certains syndicats (UFML), des médecins réfléchissent à se déconventionner pour avoir la liberté de fixer le montant de leurs tarifs. L’envisagez-vous ?

Dr Cadix : Ce serait une option que je prendrais en dernier recours. Je n’ai pas du tout envie de me déconventionner. Ce n’est pas dans mon ADN car l’impact est très fort pour les patients qui ne seraient quasiment plus remboursés (NDLR : moins d’un euro par consultation). Je suis très attachée aux principes de la Sécurité sociale de 1945. Je ne trouverais pas normal que les patients ne puissent pas être pris en charge.

La négociation pour une nouvelle convention a achoppé il y a quelques semaines. Qu’attendez-vous de ce mouvement de contestation ? Pensez-vous qu’il est susceptible de faire bouger les pouvoirs publics ?

Dr Cadix : J’ai espoir que ce mouvement fasse boule de neige comme cela avait été le cas en 2002. A l’époque, les médecins avaient appliqué de façon concertée le C à 20 euros et ils avaient obtenu que le C passe à 20 euros. Même si je ne suis pas optimiste, j’espère que les pouvoirs publics vont entendre que 30 euros la consultation, c’est le minimum. On ne peut pas avoir une médecine de qualité à 25 ou 26,50 euros. A 25 euros, on prend la tension et puis c’est tout. Ou alors, il ne faut pas avoir de secrétariat, avoir un cabinet pourri, et ne pas investir dans un ECG ou un échographe...

On ne peut pas avoir une médecine de qualité à 25 ou 26,50 euros.

Vous avez l’impression d’avoir été poussée à bout avec des tarifs trop bas ?

Dr Cadix : Nous sommes une profession définie comme nantie. Nous ne sommes pas à plaindre par rapport à d’autres mais on voit notre pouvoir d’achat diminuer. Je n’ai pas voulu me résoudre à faire de l’abattage. En avril, on a décidé avec ma collègue de limiter la consultation à 10 minutes et à un seul motif. Mais ça ne correspond absolument pas à notre façon de travailler. J’en étais frustrée, malheureuse. J’ai donc décidé de passer à 30 euros. Cela me permet de conserver une consultation de 20 minutes environ.

La médecine libérale est en crise avec beaucoup de départs et peu d’arrivées. Pensez-vous que ces difficultés tarifaires soient un frein à l’installation de nouveaux confrères ?

Dr Cadix : Il suffit de lire ce qui se passe sur les réseaux sociaux, de nombreux médecins remplaçants ne veulent pas s’installer tant que le C reste à 25 euros. On a un métier intéressant mais si on ne peut pas investir dans des locaux corrects ou du secrétariat, cela n’est pas attractif.

Depuis que vous vous êtes lancée dans la facturation de la consultation à 30 euros, avez-vous été contactée par votre CPAM ? Et savez-vous à quels risques vous vous exposez ?

Dr Cadix : La CPAM ne m’a pas encore contactée. Je m’y attends. Comme je ne fais pas toutes mes consultations à 30 euros mais à peu près la moitié, cela prendra peut-être un peu plus de temps. Le risque est que la caisse me déconventionne pour une durée plus ou moins longue. Mais j’en suis à un point où, soit je suis revalorisée, soit je vais faire autre chose. J’assume le risque.

Etes-vous désabusée au point d’être prête à abandonner le métier de généraliste ?

Dr Cadix : Je n’en suis pas encore là parce que je m’éclate dans mon boulot, j’ai l’impression de servir à quelque chose, j’ai des collègues avec lesquels je m’entends bien et qui me soutiennent. J’ai la chance d’avoir des patients agréables. Mais, je pourrais aller faire autre chose si les conditions d’exercice de la médecine se détérioraient trop. J’adore mon boulot, mais je ne veux pas me résoudre à en faire un boulot alimentaire et à enchaîner les consultations de 10 minutes. Car si c’est le cas, oui, je pourrais quitter la médecine et faire autre chose.

J’adore mon boulot, mais je ne veux pas me résoudre à en faire un boulot alimentaire et à enchaîner les consultations de 10 minutes.

Aujourd’hui, les syndicats ne peuvent pas porter de mot d’ordre de contestation tarifaire au risque de s’exposer à de lourdes amendes. Le regrettez-vous ?

Dr Cadix : Complètement, je suis dépitée de la réaction globale des syndicats qui n’osent pas franchir le pas. Je suis syndiquée à la FMF. Le syndicat a dit qu’il me soutenait mais de nombreux médecins qui ont envie de suivre ma démarche n’osent pas le faire par crainte des sanctions et parce qu’ils ont l’impression d’être seuls dans leur coin. Sur le groupe WhatsApp des médecins du Sud-Ouest, des confrères m’ont demandé de leur expliquer comment je faisais. Depuis quelques jours et la publication du règlement arbitral, on sent que les médecins s’interrogent.

 

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