POINT DE VUE

Prise en charge des dysthyroïdies: « il ne faut jamais se précipiter pour traiter une TSH élevée »

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

25 mai 2023

Montpellier, France —  La Haute Autorité de Santé (HAS) a récemment publié des recommandations sur la prise en charge des hyperthyroïdies et des hypothyroïdies en population générale, avec l’objectif notamment de réduire les explorations excessives de la fonction thyroïdienne et d’éviter les traitements inutiles.

Dr Isabelle Raingeard

Membre du conseil scientifique du groupe de recherche sur la thyroïde de la Société française d’endocrinologie (SFE), la Dr Isabelle Raingeard (service endocrinolgie-diabétologie, CHU de Montpellier) a participé au comité de lecture des recommandations. Nous l’avons interrogé pour dresser un état des lieux sur la question du surdiagnostic et du surtraitement des dysthyroidies en France.

Si des progrès sont constatés, avec notamment une baisse des explorations biologiques complètes en cas de symptômes suspects, des efforts restent à faire pour éviter de prescrire d’emblée des dosages et des traitements non justifiés. Des efforts qui impliquent de convaincre des patients souvent demandeurs d’une prise en charge thérapeutique à la moindre variation de la fonction thyroïdienne.

Medscape édition française : Quelle est la situation actuellement en France en ce qui concerne la prise en charge des dysthyroïdies? Est-ce que la question du surtraitement est mieux prise en compte ?

Dr Isabelle Raingeard: L’affaire du Levothyrox qui a débuté en 2017 [après la mise sur le marché d’une nouvelle formule du médicament à base de levothyroxine pour traiter les hypothyroïdies, accusée de provoquer des effets secondaires, ndr] a clairement fait prendre conscience qu’un grand nombre de patients étaient traités alors qu’ils n’en avaient pas besoin.

Pendant cette polémique, un grand nombre de patients sous Levothyrox ont arrêté le traitement et beaucoup ne l’ont pas repris devant l’absence de symptômes cliniques et l’absence d’hypothyroïdie biologique. On a eu la preuve qu’il y avait bien un surdiagnostic et un surtraitement de l’hypothyroidie.

L’affaire du Levothyrox a clairement fait prendre conscience qu’un grand nombre de patients étaient traités alors qu’ils n’en avaient pas besoin.

Et s’agissant des hyperthyroïdies?

Dr Raingeard: La situation est différente. A l’inverse de l’hypothyroïdie, l’hyperthyroïdie est rarement asymptomatique. Elle est aussi moins fréquente. Les facteurs qui abaissent la TSH sont peu nombreux. Certaines infections virales peuvent par exemple avoir cet effet en provoquant une inflammation des glandes thyroïdiennes et une hyperthyroïdie transitoire. Certains médicaments et l’iode des produits de contraste radiologiques peuvent aussi être en cause.

Lorsque le diagnostic est posé, les patients ont en général des symptômes et le traitement est justifié et rapidement initié, notamment parce que l’hyperthyroïdie est plus grave que l’hypothyroïdie. Elle est notamment délétère pour l’activité cardiaque. On ne peut pas prendre le risque de laisser les patients sans traitement, alors que dans le cas de l’hypothyroïdie, il n’y a pas de danger à attendre quelques semaines pour vérifier qu’il y a bien une hausse de la TSH.

Qu’est-ce qui a conduit à cette situation de surdiagnostic et de surtraitement des hypothyroïdies?

Dr Raingeard:  Le dosage de la TSH est devenu le premier examen hormonal prescrit en France en raison de la fréquence de l’hypothyroïdie dans la population générale et des symptômes cliniques qui peuvent être très variés. Le patient est également souvent demandeur de ce dosage biologique car l’hypothyroidie est une pathologie très médiatisée, en particulier sur les réseaux sociaux.

Par exemple, on a régulièrement en consultation des femmes qui demandent un dosage de TSH après une prise de poids, car elles sont persuadées qu’il s’agit d’une conséquence d’une hypothyroidie. La TSH peut effectivement se trouver légèrement élevée, mais il peut s’agir tout simplement d’une conséquence de la prise de poids et non l’inverse. Le niveau de TSH est en effet influencé par les variations pondérales.

Il faut savoir que la TSH peut s’élever très facilement dans de nombreuses situations : une prise de poids rapide, une infection virale ou bactérienne, un stress, important, une hospitalisation, une intervention chirurgicale…Il s’agit d’une adaptation de la fonction thyroïdienne et non pas d’une anomalie de la fonction thyroïdienne. On constate également des variations saisonnières : certains patients présentent une hausse de TSH en hiver qui se normalise à l’approche de l’été.

Des patients peuvent être demandeurs d’un bilan thyroïdien devant une fatigue banale ou une prise de poids modérée. En cas de TSH élevée pouvant évoquer une hypothyroidie, beaucoup demandent à être traités d’emblée. Certains médecins peuvent accéder à leur demande, afin de voir l’évolution des symptômes sous traitement, sans pour autant être convaincus de la nécessité de traiter. Mais, de nos jours, il est souvent difficile de résister à l’exigence des patients et de les convaincre d’attendre quelques semaines.

De nos jours, il est souvent difficile de résister à l’exigence des patients et de les convaincre d’attendre quelques semaines.

Les praticiens ont aussi tendance à demander des bilans complets alors que ce n’est pas recommandé...

Dr Raingeard: Effectivement, les bilans initiaux sont souvent très exhaustifs avec des demandes systématiques de dosages de TSH, T4 libre, T3 libre et même d’anticorps anti-thyroidiens. Pour rappel, les recommandations préconisent un simple dosage de la TSH lorsqu’une hypothyroïdie ou une hyperthyroïdie est suspectée. En cas de TSH anormale, la T4 libre peut être dosée.

Les médecins généralistes et même les spécialistes ont tendance à demander un bilan complet pour éviter de faire une nouvelle ordonnance et alléger ainsi leur charge administrative. Lors des réunions de formation médicale (FMC) avec les médecins généralistes sur ce sujet, nous conseillons de limiter l’ordonnance à un dosage isolé de la TSH et de préciser qu’un dosage de la T4 libre est à effectuer en cas de TSH anormale. C’est ce que recommande d’ailleurs la HAS.

Pour réduire ces dosages inutiles, nous rappelons également les dépenses engendrées. Un dosage de TSH coute environ 8 euros, une T4 libre ou une T3 libre environ 9 euros, et le bilan complet TSH T3 T4 près de 20 euros. Avec la multiplication des bilans de la fonction thyroïdienne, le coût pour la sécurité sociale est très élevé.

Avec la multiplication des bilans de la fonction thyroïdienne, le coût pour la sécurité sociale est très élevé.

Est-ce que ces excès dans la prise en charge des hypothyroïdies s’observent dans d’autres pays ?

Dr Raingeard: Je pense que c’est assez spécifique à la France. L’une des raisons, selon moi, est que les examens et les traitements sont justement couverts par l’assurance maladie. C’est une chance, mais la gratuité empêche de prendre conscience du couts des examens et des traitements. Aux Etats-Unis, on réfléchit à deux fois avant de doser une TSH et pour les patients sans assurance, je doute que les hypothyroïdies frustres asymptomatiques soient traitées. Il en est de même en Grande-Bretagne. En Espagne, la situation semble plus proche de la nôtre en ce qui concerne le remboursement des soins.

Revenons sur ces recommandations de la HAS. Quels sont les points qui vous semblent essentiels pour améliorer la prise en charge des dysthyroïdies en France?

Dr Raingeard: L’un des messages importants est qu’il ne faut jamais se précipiter pour traiter une TSH élevée. Il faut prendre le temps de contrôler à nouveau, dans un délai d’un mois minimum, plutôt que de traiter d’emblée. Avec un tel délai, on ne met pas en danger un patient qui serait atteint d’une hypothyroïdie. Il n’y a pas urgence. On évite ainsi les mauvais diagnostics et les traitements excessifs.

L’un des messages importants est qu’il ne faut jamais se précipiter pour traiter une TSH élevée.

 

Les recommandations insistent également sur la nécessité de confronter une analyse biologique aux symptômes du patient. Si une TSH est modérément élevée alors que le patient est asymptomatique, ce n’est pas suffisant pour justifier un traitement.

En s’appuyant sur ces recommandations, les médecins peuvent également y puiser des arguments pour convaincre les patients qu’un examen ou qu’un traitement n’est pas forcément indiqué. Si le patient se plaint de symptômes faiblement évocateurs d’une hypothyroïdie, il faut lui préciser qu’un délai d’un mois minimum est recommandé avant de pouvoir poser un diagnostic.

Si une TSH est modérément élevée alors que le patient est asymptomatique, ce n’est pas suffisant pour justifier un traitement.

En dehors de l’application de ces recommandations, comment peut évoluer la pratique des médecins généralistes dans la gestion des dysthyroidies ?

Dr Raingeard: A travers le DPC (développement professionnel continu), désormais obligatoire, et les réunions de FMC sur ce sujet, on peut espérer une évolution favorable dans les années à venir avec un changement des habitudes de prescription. Il faut toutefois souligner qu’il y a déjà eu des progrès. On observe désormais beaucoup moins de bilans complets systématiques de la fonction thyroïdienne.

La prise en charge des dysthyroïdies implique toutefois de savoir bien interroger les patients, de les examiner soigneusement, de reconnaitre les signes cliniques caractéristiques. Il faut pour cela donner du temps à l’examen clinique.

Les médecins généralistes sont tout à fait habilités à gérer cette prise en charge. Je pense d’ailleurs qu’il n’est pas nécessaire d’orienter vers un endocrinologue un patient avec une hypothyroïdie traitée efficacement.

La consultation avec le spécialiste ne se justifiera qu’en cas d’incapacité à équilibrer une hypothyroïdie, en cas de goitre important ou évolutif, ou encore de nodule thyroïdien suspect et bien sûr en cas d’hyperthyroïdie.

La consultation avec le spécialiste ne se justifiera qu’en cas d’incapacité à équilibrer une hypothyroïdie, en cas de goitre important ou évolutif, ou encore de nodule thyroïdien suspect et bien sûr en cas d’hyperthyroïdie.

 

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