Hypothyroïdie congénitale : nouvelles recommandations américaines

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

24 mai 2023

Etats-Unis – L'hypothyroïdie congénitale, qui concernerait de 1 sur 2 000 à 1 sur 4 000 nouveau-nés, est l'une des causes évitables les plus courantes de déficience intellectuelle dans le monde, mais tous les pays ne pratiquent pas de dépistage néonatal.

En France, le dépistage de l'hypothyroïdie congénitale est réalisé depuis 1978. Outre le dépistage, il est important que le diagnostic soit posé à temps, que le traitement soit efficace et que le suivi soit assuré.

Réunis au sein d'un groupe de travail, la Dre Susan Rose (endocrinologue, Cincinnati Children's Hospital Medical Center) et d'autres spécialistes ont mis à jour les conseils pour le dépistage et la prise en charge de cette pathologie.

Leur rapport a été publié en ligne dans Pediatrics[1]. Ce travail a été réalisé en collaboration avec la section endocrinologie de l'Association américaine de pédiatre (AAP), les conseillers en génétique de l'AAP, la Société d'endocrinologie pédiatrique et l'Association américaine de la thyroïde.

« Les médecins doivent envisager une hypothyroïdie en présence de symptômes cliniques, même si les résultats des tests thyroïdiens de dépistage chez le nouveau-né sont normaux », écrivent les auteurs. Avant d'ajouter que le dépistage de l'hypothyroïdie congénitale chez le nouveau-né, suivi d'un traitement rapide à la lévothyroxine, peut prévenir une déficience intellectuelle grave, un dysfonctionnement psychomoteur et des troubles de la croissance.

Les médecins doivent envisager une hypothyroïdie en présence de symptômes cliniques, même si les résultats des tests thyroïdiens de dépistage chez le nouveau-né sont normaux.

Quels sont les signes cliniques ?

Les symptômes d'une hypothyroïdie congénitale chez le nouveau-né comprennent une grande fontanelle postérieure, une léthargie, une grande langue, une jaunisse prolongée, une hernie ombilicale, une constipation et/ou une hypothermie. En présence de ces signes, le dosage de la thyréostimuline (TSH) et de la thyroxine libre (FT4) sériques est indiqué, quels que soient les résultats du dépistage.

Le dépistage doit être réalisé à partir d'un buvard. Le prélèvement, au niveau du talon, est idéalement réalisé entre 48 à 72 heures de vie. Les auteurs indiquent toutefois que ce délai peut être difficile à respecter car la grande majorité des nourrissons aux États-Unis et en Europe sortent de la maternité avant 48 heures, il est important de prélever l'échantillon avant la sortie de l'hôpital pour ne pas manquer un diagnostic précoce.

Reste que « le prélèvement de l'échantillon avant 48 heures, et en particulier avant 24 heures, nécessite l'utilisation d'intervalles de référence de TSH spécifiques à l'âge ou la répétition du dépistage, en particulier pour éviter les résultats faussement positifs », précisent les auteurs.

Trois stratégies de test, qui détectent l'hypothyroïdie congénitale primaire modérée à sévère avec une précision similaire, sont utilisées pour le dépistage : une mesure primaire de TSH - T4 réflexe ; une mesure primaire de T4 - TSH réflexe ; et une mesure combinée de T4 et de TSH. La plupart des programmes de dépistage des nouveau-nés utilisent une stratégie de test de TSH primaire.

Les jumeaux et les nourrissons atteints de trisomie 21 surreprésentés

Il est à noter que l'incidence de l'hypothyroïdie congénitale semble être plus élevée pour les naissances multiples : l'incidence est de 1sur 876 chez les jumeaux et de 1 sur 575 pour les triplés et plus. D'autres chiffres distinguent le cas des jumeaux de même sexe avec une incidence de l'hypothyroïdie congénitale de 1 sur 593, contre 1 sur 3 060 chez les jumeaux de sexe différent.

« La plupart des paires de jumeaux (> 95 %) sont discordantes pour l'hypothyroïdie congénitale », écrivent les auteurs. « Cependant, chez les jumeaux monozygotes qui partagent la circulation placentaire, le sang d'un jumeau fœtal euthyroïdien avec des niveaux normaux d'hormones thyroïdiennes peut passer à un jumeau fœtal atteint d'hypothyroïdie congénitale, corrigeant temporairement l'hypothyroïdie et empêchant sa détection par le dépistage néonatal à 24-72 heures de vie. Par conséquent, tous les jumeaux monozygotes, ou les jumeaux de même sexe dont la zygosité est inconnue, doivent faire l'objet d'un nouveau dépistage néonatal vers l'âge de 2 semaines ».

Tous les jumeaux monozygotes, ou les jumeaux de même sexe dont la zygosité est inconnue, doivent faire l'objet d'un nouveau dépistage néonatal vers l'âge de 2 semaines.

 

Concernant l'hypothyroïdie congénitale chez les nourrissons atteints de trisomie 21 (syndrome de Down), son incidence se situe entre 1 % et 12 % selon les études. Les nourrissons ont tendance à présenter des concentrations de T4 plus faibles et des concentrations de TSH plus élevées que les nourrissons non trisomiques. Le syndrome de Down est associé à d'autres comorbidités, dont la cardiopathie congénitale, « qui peuvent encore augmenter le risque de résultats anormaux du dépistage néonatal en raison d'une maladie aiguë ou d'une exposition excessive à l'iode », rappellent les auteurs.

Même les nourrissons atteints du syndrome de Down qui ne présentent pas d'hypothyroïdie congénitale courent un risque important de développer une hypothyroïdie primaire au cours de leur première année (environ 7 % dans une étude prospective).

« Par conséquent, chez ces nourrissons, il convient de procéder à un second dépistage néonatal entre 2 et 4 semaines de vie et de mesurer la TSH sérique à 6 et 12 mois de vie », préconisent Susan Rose et les experts du groupe de travail.

Que faire quand le dépistage néonatal identifie une hypothyroïdie congénitale ?

Si les résultats du dépistage chez un enfant suggèrent une hypothyroïdie congénitale, il faut procéder à un examen physique à la recherche d'un goitre, d'une glande thyroïde linguale et/ou de signes physiques d'hypothyroïdie et mesurer les concentrations de TSH et de FT4 (ou T4 totale) dans le sang. Selon les auteurs, pour confirmer des résultats de dépistage anormaux, il est préférable de mesurer la FT4 plutôt que la T4 totale.

Certaines interprétations sont claires. Ainsi « une TSH élevée accompagnée d'une FT4 faible lors du test sérique de confirmation indique une hypothyroïdie primaire manifeste », écrivent les auteurs. Mais d'autres résultats sont plus controversés : par exemple, lorsque la TSH est élevée et la FT4 est normale (hyperthyrotropinémie ou hypothyroïdie subclinique), ce qui témoigne d'une anomalie thyroïdienne primaire légère. Dans ce cas, la nécessité d'un traitement par la L-T4 est controversée dans la mesure où il n'y a pas de consensus sur l'impact d'une hypothyroïdie congénitale légère sur le développement cognitif.

« L'avis des experts suggère qu'une élévation persistante de la TSH > 10 mUI/L est une indication pour initier un traitement par L-T4 », écrivent les auteurs.

L'avis des experts suggère qu'une élévation persistante de la TSH > 10 mUI/L est une indication pour initier un traitement par L-T4.

 

Une TSH normale et une T4 basse sont observées chez les patients souffrant d'hypothyroïdie centrale, de prématurité, de faible poids de naissance, de maladie aiguë ou de déficit en globuline liant la thyroxine. « Le concept selon lequel l'hypothyroïdie centrale est généralement légère semble infondé » considèrent les auteurs rappelant que d'après une étude néerlandaise[2], les taux sériques moyens de FT4 avant traitement dans l'hypothyroïdie congénitale centrale étaient similaires à ceux des patients atteints d'hypothyroïdie congénitale primaire modérément sévère. Ils recommandent donc un traitement par L-T4 de l'hypothyroïdie congénitale centrale.

Quelle est la place de l'imagerie ?

L'imagerie thyroïdienne de routine est controversée pour les patients atteints d'hypothyroïdie congénitale. Dans la plupart des cas, elle ne modifiera pas la prise en charge clinique avant l'âge de 3 ans.

Réalisable à tout moment après le diagnostic d'hypothyroïdie congénitale, l'échographie thyroïdienne permet de détecter le tissu thyroïdien en évitant l'exposition aux radiations et « l'échographie est moins sensible que la scintigraphie pour détecter le tissu thyroïdien ectopique, la cause la plus fréquente d'hypothyroïdie congénitale, bien que sa sensibilité soit améliorée par l'utilisation du Doppler couleur », écrivent les auteurs.

Les nourrissons dont l'imagerie thyroïdienne est normale à la naissance peuvent présenter une hypothyroïdie transitoire. Chez ces petits patients, il peut être bénéfique de réévaluer le traitement par hormones thyroïdiennes après l'âge de 3 ans et d'identifier ou non la persistance de l'hypothyroïdie.

Que disent les experts américains sur le traitement ?

L'objectif du traitement initial par la L-T4 est de normaliser les taux sériques de FT4 et de TSH le plus rapidement possible. Les pronostics sont moins bons pour les nourrissons dont l'hypothyroïdie est détectée plus tard dans la vie, qui reçoivent des doses inadéquates de L-T4 ou qui présentent des formes plus sévères.

L'objectif du traitement initial par la L-T4 est de normaliser les taux sériques de FT4 et de TSH le plus rapidement possible.

 

L'hypothyroïdie congénitale est traitée avec de la L-T4 en comprimé à une dose initiale quotidienne de 10-15 mcg/kg de poids corporel administrée en une fois. Les comprimés génériques conviennent à la plupart des enfants, précisent les auteurs, ajoutant qu'une formulation de marque peut être plus adaptée pour les enfants atteints d'hypothyroïdie congénitale sévère. A savoir, une solution orale de L-T4 a été approuvée par la Food and Drug Administration (FDA) pour une utilisation chez les enfants. « Toutefois, l'expérience, certes limitée, de son utilisation a montré que le dosage n'est pas forcément équivalent à celui des comprimés », indique le groupe de travail.

Si les intervalles de référence de la TSH en fonction de l'âge varient selon les laboratoires, il est admis que la limite supérieure de la TSH normale chez les nourrissons au cours des trois premiers mois de la vie se situe entre 4,1 et 4,8 mUI/L.

« Par conséquent, les valeurs de TSH supérieures à 5 mUI/L sont généralement anormales si elles sont observées après l'âge de 3 mois », selon les recommandations. « La question de savoir si un surtraitement (défini par une élévation du taux sérique de FT4) est nocif n'est pas claire et les preuves sont contradictoires », précisent les auteurs.

Une surveillance étroite et attentive

Au cours du traitement par la L-T4, le suivi à court terme consiste à surveiller les taux sanguins de TSH et de FT4 afin de les maintenir dans les fourchettes cibles. Aussi, les études préconisent de mesurer ces taux tous les 1 à 2 mois au cours des 6 premiers mois de vie des enfants atteints d'hypothyroïdie congénitale, tous les 2 à 3 mois au cours des 6 mois suivants, puis tous les 3 à 4 mois entre l'âge de 1 et 3 ans.

Lors du suivi à long terme, il est important de prêter attention au développement comportemental et cognitif, car les enfants atteints d'hypothyroïdie congénitale peuvent présenter un risque plus élevé de dysfonctionnement neurocognitif et socio-émotionnel par rapport aux autres enfants du même âge, et ce, même avec un traitement adéquat de l'hypothyroïdie congénitale. En outre, environ 10 % des enfants atteints d'hypothyroïdie congénitale présentent des déficits auditifs.

Lors du suivi à long terme, il est important de prêter attention au développement comportemental et cognitif.

Pronostic neurodéveloppemental

Lorsque le traitement par la L-T4 est maintenu et que la TSH et la FT4 se situent dans la plage cible, la croissance et la taille adulte sont généralement normales chez les enfants atteints d'hypothyroïdie congénitale. En revanche, le pronostic neurodéveloppemental est moins sûr lorsque le traitement commence tardivement.

« Les nourrissons atteints d'hypothyroïdie congénitale sévère et d'hypothyroïdie intra-utérine (révélée par un retard de maturation du squelette à la naissance) peuvent avoir une intelligence faible à normale », indique le rapport.

« De même, bien que plus de 80 % des nourrissons ayant reçu un traitement de remplacement de la L-T4 avant l'âge de 3 mois aient un QI supérieur à 85, 77 % de ces nourrissons montrent des signes de déficience cognitive dans les capacités arithmétiques, l'élocution ou la coordination motrice fine plus tard dans la vie. »

Si un enfant est correctement traité pour une hypothyroïdie congénitale mais que sa croissance ou son développement sont anormaux, il est nécessaire de rechercher une autre maladie, un déficit auditif ou une autre déficience hormonale, indique le rapport.

Si un enfant est correctement traité pour une hypothyroïdie congénitale mais que sa croissance ou son développement sont anormaux, il est nécessaire de rechercher une autre maladie, un déficit auditif ou une autre déficience hormonale.

 

Cet article a initialement été publié sur Medscape.com sous l’intitulé AAP Updates Guidelines for Congenital Hyperthyroidism. Traduit et adapté par Marine Cygler.

 

Financements et liens d’intérêts

Les auteurs n'ont pas rapporté de liens financiers en rapport avec ce travail.

 

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